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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2015) xxx, xxx—xxx

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ÉDITORIAL

Pénurie des médicaments, vers une médecine « régressive » ? Medicines shortage: Moving towards ‘‘regressive’’ medicine? Dans « Mad Max », film d’anticipation des années 1980, George Miller relatait l’aventure vécue par des hommes dans un monde sans essence. Des bandes rivales s’affrontaient souvent violemment pour prendre possession des stations service et autres sources de gazoline indispensables à la vie moderne. La fiction semble rejoindre la réalité, mais ici il ne s’agit plus d’essence mais de médicaments qui sont sans aucun doute dans certaines situations plus qu’indispensables, car irremplac ¸ables. La dermatologie comme les autres spécialités est touchée de plein fouet par des annonces de tension d’approvisionnement auxquelles font suite des annonces de rupture de stock, obligeant les médecins des sociétés savantes à produire des recommandations pour des alternatives parfois également menacées. Nous avons appris à nous passer de médicaments souvent historiques mais essentiels, pour les remplacer par des traitements plus compliqués souvent plus chers et parfois moins efficaces. Cet état de fait n’en est pas moins vécu par certains comme une régression et un paradoxe. Régression pour nos patients à qui l’on ne peut plus offrir la même qualité et sûreté de soins, régression d’autant plus paradoxale que nous vivons une nouvelle ère où émergent les molécules ciblées et autres biothérapies, qui certes sont parfois efficaces, mais au prix d’effets secondaires que nous découvrons sans les maîtriser tous les jours et qui économiquement ne sont plus compatibles avec notre système de santé bien incapable de faire face à toutes ces charges secondaires au progrès biotechnologique. Il faut bien reconnaître que vivre sans la Caryolysine® c’est plus compliqué, que faire face à l’épidémie de syphilis sans l’Extencilline® c’est plus qu’angoissant, que se passer d’Ascabiol® pour la gale c’est une vraie frustration. Ce d’autant plus que les solutions alternatives reposent sur des thérapies elles-mêmes menacées, comme la carmustine pour la Caryolysine® et la doxycycline pour l’Extencilline® , pour ne citer que ces deux cas. La multiplication des situations de ruptures de stock au cours des dernières années est un phénomène sociétal et les raisons de ces pénuries ont été bien détaillées dans un rapport de l’Académie nationale de pharmacie daté du 24 avril 2013 [1]. Du coup, il est certain que ces ruptures de stock ne sont pas amenées à disparaître au cours des prochaines années, et il va falloir que les professionnels concernés apprennent à les anticiper et à « vivre avec », notamment en rationalisant le recours aux traitements de substitution. Parmi les causes de la multiplication de ces situations de ruptures de stock, on peut souligner que jusqu’à 80 % des matières premières à usage pharmaceutique sont fabriquées en dehors de l’Europe (essentiellement en Inde et en Chine), contre 20 % il y a 30 ans, avec une perte d’indépendance de l’Union européenne vis-à-vis de son approvisionnement. Par ailleurs, la mondialisation de la crise économique fragilise de nombreuses entreprises, et conduit à abandonner des productions de faible rentabilité (dont certains médicaments

http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2015.01.022 0151-9638/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Dupin N, Bédane C. Pénurie des médicaments, vers une médecine « régressive » ? Ann Dermatol Venereol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2015.01.022

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pourtant essentiels). Enfin, l’accroissement des exigences réglementaires et des contrôles qualité conduit à disqualifier un nombre croissant de traitements au cours des circuits de production et de distribution. Selon le service des ruptures de stock de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) [2], les principales causes de rupture de stock des médicaments indispensables ou essentiels sont liées à des problèmes de production notamment des retards de fabrication (38 %). Les autres causes concernent des arrêts de commercialisation (12 %), des difficultés d’approvisionnement en matière première (14 %), des défauts qualitatifs des produits finis (11 %) ou des matières premières (4 %), ou mettent en cause la chaîne de distribution (4 %). Cette multiplicité des causes ne facilite pas la résolution des problèmes. Les anti-infectieux viennent en tête des classes thérapeutiques affectées par ce phénomène de ruptures de stock. La tentation de dénoncer le(s) coupable(s) est forte, mais il n’y a pas lieu de désigner ici un bouc émissaire. L’ANSM et nos collègues des pharmacies hospitalières ont su organiser les circuits d’information des prescripteurs sur les ruptures de stock prévisibles (afin que l’on puisse anticiper), et la recherche de solutions, comportant notamment l’importation, le contingentement ou la proposition d’alternatives. L’exemple de la gestion de la rupture du stock d’Extencilline® est assez remarquable pour être ici un peu plus détaillé. L’Extencilline® est le traitement recommandé par tous pour la syphilis précoce [3]. Il y a donc un besoin évident de conserver l’accès à cette molécule, d’autant plus que l’incidence de la syphilis est en nette augmentation un peu partout dans le monde. Mais, paradoxalement, alors que l’Extencilline® est le traitement de référence, la rupture de stock ne nous permettrait plus d’appliquer les recommandations. La rupture de stock annoncée par le laboratoire le produisant en France n’a cependant pas surpris les professionnels de la syphilis, car depuis plusieurs années nous avions ressenti des tensions d’approvisionnement, avec des difficultés d’obtenir le nombre de lots correspondant à nos demandes. En septembre 2013, le laboratoire annonce qu’au mieux il sera possible de fournir de l’Extencilline® version 2,4 millions d’unités jusqu’au 1er trimestre 2014. Cette annonce est d’autant plus inquiétante qu’elle est contemporaine d’une « tension d’approvisionnement » de sa principale alternative, la doxycycline. Suite à cette annonce, on assiste à la création informelle d’un groupe de réflexion multidisciplinaire d’experts provenant de la Société franc ¸aise de dermatologie (SFD), la Société de pathologie infectieuse de langue franc ¸aise (SPILF), la Société franc ¸aise de lutte contre le sida (SFLS) et le Collège des universitaires de maladies infectieuses et tropicales (CMIT). Ce groupe va permettre de définir la place des alternatives disponibles et a probablement évité quelques dérapages. Quelques semaines plus tard, l’ANSM qui a travaillé sans relâche pour négocier avec les pays voisins annonce la possibilité d’importer une pénicilline retard italienne, la Sigmacillina® . Celle-ci fera l’affaire, même si les contraintes d’utilisation et les recommandations ne sont pas toujours adaptées à son utilisation quotidienne et ce d’autant plus qu’elle ne peut être délivrée qu’en pharmacie hospitalière. . . Bref, autant dire qu’elle ne pourra satisfaire aux exigences du traitement d’une telle MST et la fin d’année a été marquée par l’annonce qu’un laboratoire reprend la production de l’Extencilline®

et qu’avant la fin du 1er trimestre 2015, le problème de sera réglé. On espère que oui, mais pour combien de temps ? Car, finalement, ni les raisons de la rupture de stock ni celles de son retour ne sont bien connues et l’absence de réelle transparence ne facilite pas l’appréhension des problèmes actuels et futurs. . . S’adresser aux voisins, c’est ce qui a été fait également pour l’Antiscabiosum® que l’on va chercher en Allemagne. Mais là encore, une lueur d’espoir scintille en cette fin d’année, puisqu’on nous annonce la commercialisation d’une crème à la perméthrine pour le premier semestre de 2015, ce qui démontre bien que des solutions sont toujours envisageables et qu’on apprend à vivre avec. Nous pouvons cependant craindre qu’à l’avenir, dans nos maladies dermatologiques rares, d’autres médicaments ne soient menacés comme c’est le cas pour la Disulone® ou le thalidomide. Nous devons donc rester vigilants et nous devons faire valoir que rien ne peut déroger aux soins que nous devons apporter à nos patients. La fermeté et notre capacité à mobiliser nos forces pour remédier à ce phénomène doivent être à la hauteur de celles des associations militantes dans les premiers temps de l’infection VIH qui ont su faire accélérer les processus de mise sur le marché de molécules innovantes. Il faut aussi que nous sachions travailler et collaborer avec les institutions et les associations de patients et que nous développions des interactions avec d’autres spécialités menacées, pour ne pas avoir à gérer dans l’urgence des situations ô combien paradoxales et indubitablement régressives.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Académie nationale de pharmacie. Médicaments : rupture de stock, ruptures d’approvisionnement : une problématique polymorphe, diversité d’origines, solutions plurielles. Recommandations, avril 2013; 2015. Accessible sur http://acadpharm. org/dos public/Recommandations ruptures de stock et appro VF 2013.04.24.pdf. [2] Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ruptures de stock; 2013. Accessible sur http://www.acadpharm.org/ dos public/ANSM 20 MARS 2013.ACADEMIE pdf. [3] Clement ME, Okeke NL, Hicks CB. Treatment of syphilis: a systematic review. JAMA 2014;312:1905—17.

N. Dupin a,∗ , C. Bédane b a

Service de dermatologie, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France b Service de dermatologie, hôpital Dupuytren, CHRU, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France ∗ Auteur

correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (N. Dupin)

Pour citer cet article : Dupin N, Bédane C. Pénurie des médicaments, vers une médecine « régressive » ? Ann Dermatol Venereol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2015.01.022

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