Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 42 (2014) 644–648

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Dix-neuvie`mes journe´es nationales de la Fe´de´ration franc¸aise d’e´tude de la reproduction (Issy-les-Moulineaux, 17–19 septembre 2014)

Diversite´ culturelle et dons de game`tes et d’embryons Cultural diversity in gamete and embryos donation S. Epelboin Service de gyne´cologie obste´trique AMP, hoˆpital Bichat-Claude-Bernard, Assistance publique–Hoˆpitaux de Paris, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 8 juillet 2014 Accepte´ le 17 juillet 2014 ˆ t 2014 Disponible sur Internet le 19 aou

Par les dons de game`tes, puis l’accueil d’embryons, ont successivement e´merge´ de nouveaux modes de conception des individus qui, a` leur tour, ont ge´ne´re´ des mutations du concept de parentalite´. Les pratiques de dons mobilisent les inte´reˆts contradictoires du donneur de game`tes, du couple receveur, de l’enfant, dont les origines seront complexes, bien que sa filiation soit le´galement clairement de´finie. Enfant du don ou de l’accueil, sa place dans la ge´ne´alogie familiale peut eˆtre examine´e au regard d’autres socie´te´s, qui admettent des concepts pluriels de parente´s dites « classificatoires ». Celles-ci instaurent des jeux de roˆles et la partition entre parents concepteurs et e´ducateurs. La mise en perspective anthropologique fournit un e´largissement de la re´flexion pour re´pondre aux questionnements issus des pratiques de dons, parmi lesquels les questions ge´ne´alogiques, celle de la re´ve´lation a` l’enfant de son mode de conception, de son incorporation au groupe familial et social, et l’importance d’une compensation qui aurait valeur de contre-don pour toutes les parties. ß 2014 Publie´ par Elsevier Masson SAS.

Mots cle´s : Don d’ovules Don de game`tes Don d’embryons Parente´ Filiation

A B S T R A C T

Keywords: Egg donation Embryo donation Parenthood Filiation

Through gamete and embryo donation have successively emerged new ways of designing individuals who, in turn, have generated mutations in the concept of parenthood. A debate is open to the society, which often raises ideological cleavages. Indeed, donation practices mobilize the conflicting interests of donor of gametes, the recipient couple, child, whose origins are complex, although his filiation is legally clear. Its place in the family genealogy can be examined in relation to other societies, which admit plural concepts called ‘‘classificatory’’ kinship. They set up role partition between parents and educators. Setting anthropological perspective provides a broadening of the reflection to answer questions from the donation practices, including genealogical questions of revelation to the child of his conception, his incorporation in family and social group and the importance of compensation of donation. ß 2014 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Introduction Par les dons de game`tes, puis l’accueil d’embryons, ont successivement e´merge´ de nouveaux modes de conception des individus qui, a` leur tour, ont ge´ne´re´ des mutations du concept de parentalite´. Un de´bat est ouvert au sein de la socie´te´, qui suscite des clivages souvent ide´ologiques. En effet, les pratiques de dons mobilisent les inte´reˆts contradictoires du donneur de game`tes, du

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2014.07.028 1297-9589/ß 2014 Publie´ par Elsevier Masson SAS.

couple receveur, de l’enfant, dont les origines seront complexes, bien que sa filiation soit le´galement clairement de´finie. Enfant du don ou de l’accueil, sa place dans la ge´ne´alogie familiale peut eˆtre examine´e au regard d’autres socie´te´s, qui admettent des concepts pluriels de parente´s dites « classificatoires ». Celles-ci instaurent des jeux de roˆles et la partition entre parents concepteurs et e´ducateurs. La mise en perspective anthropologique fournit un e´largissement de la re´flexion pour re´pondre aux questionnements issus des pratiques de dons, parmi lesquels les fantasmes d’adulte`re ou d’inceste, la queˆte de traits de ressemblance avec la parente´, la

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question de la re´ve´lation a` l’enfant de son mode de conception, de son incorporation au groupe familial et social, la valeur du temps de maternite´ ute´rine, et l’importance d’une compensation qui aurait valeur de contre-don pour toutes les parties.

2. Annonce de l’infertilite´ et proposition du recours au don : repre´sentations culturelles Dans nos consultations pluriculturelles, que ce soit en Afrique ou dans des hoˆpitaux parisiens recevant de nombreux couples issus des migrations re´centes, il n’est pas discriminant, mais « obligatoire » de s’inte´resser pour les 2 membres du couple a` l’origine sociale, ge´ographique, a` la religion, l’histoire de vie de l’individu et de sa famille, de prendre conscience d’e´ventuels recours diagnostiques et the´rapeutiques paralle`les pour trouver un pont de communication, au moment de la proposition du don comme recours a` l’infertilite´. En cas de diagnostic d’insuffisance de re´serve ovarienne, chez la femme, d’azoospermie chez l’homme, l’accueil par les personnes concerne´es de l’annonce et de l’orientation vers le don de game`tes varie selon le ve´cu social et culturel de l’infertilite´. Celle-ci est l’objet de repre´sentations relatives aux mode`les explicatifs de la causalite´ du malheur : volonte´ et/ou e´preuve divine (ou diabolique), faute ou rupture d’interdits, me´faits de jaloux, d’ennemis, de malfaisants ou de sorciers-de´voreurs, male´diction d’esprits non humains, ge´nies, djinns (Fig. 1), mamiwatas, « diable(s) », ou d’anceˆtres, Inte´grer cette dimension permet de prendre conscience du poids des mots du vocabulaire biome´dical et du sens des images propose´es pour expliquer le diagnostic et la de´marche the´rapeutique, tenir compte de l’incompre´hension des processus biologiques et e´tapes du parcours de don, anticiper la repre´sentation de l’enfant et son inte´gration au groupe familial et social a` la naissance, e´laborer des mate´riaux didactiques adapte´s e´ventuellement a` l’illettrisme et/ou la non-francophonie. L’analyse organe par organe, fonction par fonction, des parame`tres re´gissant la fertilite´, n’a pas de re´sonance dans la plupart des syste`mes traditionnels. L’ovocyte ou le spermatozoı¨de et leurs de´faillances ne repre´sentent pas des repe`res pertinents, donc leur substitution ne peut suffire a` re´parer le malheur ste´rilite´. De meˆme, la ge´ne´tique et les biostatistiques ne re´pondent pas a` la question : « pourquoi moi, a` cette heure et dans mon contexte de vie ? ». Cela explique la certitude des patients en la pre´e´minence du traitement « e´tiologique » traditionnel auquel ils ont paralle`lement recours, qui est ignore´ ou minimise´ en pratique clinique. Le traitement biome´dical est conside´re´ comme « symptomatique »,

Fig. 1. Rencontre en brousse de la femme sortie puiser de l’eau et du djinn jetant un male´fice sur sa grossesse [4]. Dessin re´alise´ par Doudou Ba, Ibel, Se´ne´gal, 1978.

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puisque la biome´decine n’est pas cense´e eˆtre efficace si la cause du malheur n’est pas leve´e. Cette cure de la causalite´ peut retarder l’adhe´sion au projet de prise en charge biome´dicale, meˆme parfaitement expose´, ge´ne´rant des dysfonctionnements divers, dont les rendez-vous manque´s, mal ve´cus par l’e´quipe me´dicale.

3. Les questions de parente´ et de filiation 3.1. Parente´ ge´ne´tique, biologique, ute´rine et sociale La dissociation entre la parente´ biologique (ou ge´ne´tique) et la parente´ sociale ge´ne´re´e par les dons de game`tes ou d’embryons peut s’appre´cier au regard d’attribution de fonctions parentales dissocie´es dans de nombreuses socie´te´s. Selon l’anthropologue de la parente´ He´ritier, « Tous les ersatz de la procre´ation naturelle que nous de´couvrons aujourd’hui ont – ou ont eu – peu ou prou des re´pondants institutionnels dans diverses socie´te´s historiques ou actuelles (. . .). Sans le recours a` des artifices techniques qu’il e´tait impossible de mettre en œuvre (. . .), le simple jeu de re`gles sociales et de repre´sentations particulie`res de la personne a concouru ici ou la` a` l’invention de situations originales qui pallient de fait la ste´rilite´ individuelle (. . .). L’enfant n’y est pas toujours obligatoirement conc¸u dans le ventre de la « me`re », et les parents peuvent eˆtre plus de deux. » [1]. Il existe diffe´rentes qualifications anthropologiques des fondements de la fonction parentale selon les techniques d’AMP faisant intervenir un tiers donneur. Dans le don d’ovules, la maternite´ est ute´rine, mais non ge´ne´tique, la paternite´ ge´ne´tique, quand dans le don de sperme, cette dernie`re est sociale, la maternite´ e´tant ge´ne´tique et ute´rine. Dans l’accueil d’embryons, la valorisation du temps de maternite´ ute´rine motive les couples en ce qu’elle repre´sente une alternative essentielle a` l’adoption, quand dans la gestation pour autrui c’est l’aspiration a` la filiation ge´ne´tique maternelle qui pre´domine [2]. Dans le de´bat sur la gestation pour autrui (GPA), ses partisans ont souvent oppose´ les maternite´s de substitution des anne´es 1990, inadmissibles, car la me`re porteuse inse´mine´e e´tait e´galement me`re « biologique », a` l’origine de l’ovule fe´conde´, et la GPA concernant l’embryon du couple demandeur, replace´ dans l’ute´rus de la me`re porteuse, en pre´supposant que la me`re ute´rine ne serait plus en situation de se conside´rer me`re a` part entie`re puisque non « biologique » [3]. Or nul ne peut arguer du fait que porter un enfant d’autrui ge´ne`re une re´trocession plus facile apre`s la grossesse. L’expe´rience des maternite´s apre`s don d’ovules indique combien les femmes ont le sentiment de fac¸onner leur enfant pendant le temps de la grossesse qui minimise la part de l’ovule e´tranger. De meˆme, dans la plupart des cultures, le temps de la grossesse est-il un temps de fac¸onnage de l’enfant, mais e´galement de fragilite´ et de responsabilite´ de la me`re dont les e´ve`nements de vie ou les transgressions d’interdits sont conside´re´s a` l’origine d’anomalies ou spe´cificite´s physiques de l’enfant. En culture africaine, les rapports entretenus par une femme avec son mari ge´nie (djinn, mamiwata, diable), au-dela` de la ste´rilite´, ge´ne´reront des fausses couches, des enfants morts-ne´s, des enfants handicape´s [4]. Dans nos contre´es, les angiomes, les taches lie-de-vin du nouveau-ne´ de l’enfant e´taient (sont encore) nomme´es « envies », conse´quence d’une envie insatisfaite de fraises en hiver. La naissance d’enfants malforme´s e´tait (est) attribue´e a` une grande frayeur e´prouve´e par leur me`re pendant la grossesse. La pe´rinatalogie transcrit de fac¸on scientifique les liens intimes me`re–enfant a` travers la circulation placentaire, ve´hiculant vitamines et hormones, alcool, tabac et autres toxiques. La pre´ponde´rance du temps de gestation ute´rine est e´galement atteste´e dans notre droit qui, comme dans l’ensemble des socie´te´s traditionnelles, e´tablit que la naissance de´termine la filiation.

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Ne´anmoins, la question fondamentale : « la ge´ne´alogie d’un enfant se fonde-t-elle par sa conception, ou par sa naissance ? » est sans cesse reformule´e dans les AMP par don, telles les demandes actuelles qui e´mergent de femmes homosexuelles ayant recours hors frontie`res au don de spermatozoı¨des, souhaitant le transfert dans l’ute´rus de l’une d’un embryon conc¸u avec un ovule de l’autre, afin de partager parente´ biologique et ute´rine. L’auteure-patiente, Lhomme, a` propos du don d’ovules, re´sume assez bien la place des diffe´rents protagonistes des procre´ations par don : « Il y a se´paration entre parente´ ge´ne´tique ou biologique et parente´ gestationnelle et sociale. . . Le couple receveur est seul porteur du projet d’enfant et en assume pleinement les conse´quences. Il est a` l’origine de l’e´closion de l’œuf. » [5]. La psychanalyste Delaisi de Perceval estime que l’anthropologie de la parente´ peut donner un e´clairage quant aux « ame´nagements de la parente´ qui s’ope`rent au cours de ces transactions ». Elle rappelle que « l’adoption comme le don d’enfants constituent une pratique tre`s courante pour pallier la ste´rilite´ dans de nombreuses socie´te´s » [6]. 3.2. La diversite´ traditionnelle de la parentalite´ Dans l’ouvrage, « Me´tamorphoses de la parente´ », l’anthropologue Godelier rede´finit la parentalite´ en se re´fe´rant aux diffe´rents stades de la « fabrication » de l’enfant, c’est-a`-dire, la fe´condation, la gestation et la parturition. « Alors que dans nos socie´te´s, la femme qui mettait au monde un enfant e´tait perc¸ue a` la fois comme la ge´nitrice et la me`re de cet enfant, a` partir du moment ou` l’on peut disjoindre artificiellement les trois moments naturellement indivisibles de la fabrication de celui-ci, la question se pose de savoir ce que sont, pour l’enfant ne´ dans ces conditions, les diverses femmes qui ont l’une apre`s l’autre contribue´ a` sa naissance » [7]. En Europe, depuis des sie`cles, la pense´e dominante est que la parente´ est fondamentalement un univers de liens ge´ne´alogiques, a` la fois biologiques et sociaux, entre des individus de sexes diffe´rents et appartenant a` la meˆme ge´ne´ration ou a` des ge´ne´rations diffe´rentes qui se succe`dent dans le temps. En AMP, l’argument de la parente´ dite « biologique » est a` certains e´gards contestable puisque l’on entend par biologique ce qui est lie´ au vivant, terme employe´ comme synonyme de ge´ne´tique, tandis que, par exemple, la maternite´ issue d’accueil d’embryons, ne re´pondant pas a` cette de´finition, est ne´anmoins un temps fondamental d’e´changes biologiques, la naissance s’inscrivant dans l’histoire ge´ne´alogique. Godelier dessine les contours des diffe´rentes fonctions qui forgent le statut de parents dans toutes les socie´te´s, celle de conception et d’engendrement, celle qui consiste a` e´lever, nourrir, aider, prote´ger, e´duquer le jeune enfant. Ainsi, l’expriment des proverbes de l’ancienne France collecte´s par l’anthropologue Loux : « Qui t’a mis au monde, qu’il te de´barbouille », « qui fait l’enfant, doit le nourrir ») [8]. Parents concepteurs ou e´ducateurs peuvent ou doivent doter cet enfant d’un nom, d’un statut social, et peuvent exercer certains droits sur lui. « Ces fonctions sont pour la plupart divisibles, et partageables, et peuvent donc eˆtre redistribue´es de fac¸on tre`s diverses » [7]. Selon Carminati, les liens de filiation d’un individu dans les socie´te´s occidentales viennent d’un ordre juridique qui copie la me´canique biologique : on dit « ne´ de me`re unetelle et pe`re untel ou ne´ de me`re/ou pe`re inconnu. Dans l’accueil d’embryon, un enfant va naıˆtre de me`re et de pe`re untels, mais aura e´te´ conc¸u de me`re et pe`re connus et non re´ve´lables dans le droit actuel [9]. Quelques mode`les de champs de la parentalite´ cite´s par Godelier enrichissent la re´flexion sur les repre´sentations des nouvelles procre´ations par dons. Chez les Baruya de Nouvelle-Guine´e, patriline´aires, le pe`re est pre´sente´ a` la fois comme concepteur et nourricier (par son sperme), le corps de la femme servant de re´ceptacle a` un eˆtre

engendre´ et nourri par l’homme, l’animation de l’enfant de´pendant du pouvoir de puissances ce´lestes. Chez les Trobriandais du Pacifique matriline´aires, c’est la me`re qui conc¸oit lorsqu’un esprit– enfant ancestral pe´ne`tre son corps pour former l’embryon. Le pe`re est nourricier par son sperme et pe`re social de cet enfant, mais il n’est pas conside´re´ ge´niteur [10]. Dans la socie´te´ Maenge, en Oce´anie, e´tudie´e par Panoff, c’est le sperme de l’homme qui est cense´ fabriquer le corps de l’enfant. La femme contient celui-ci dans son ute´rus, et lui donne alors son « aˆme inte´rieure ». Panoff reprend une expression de l’ancien droit franc¸ais, pour parler de « la parente´ par la verge », oppose´e a` « la parente´ par le ventre » [11]. Le roˆle de l’homme et de la femme dans le processus de conception concorde dans tous les cas avec le principe qui fonde l’appropriation des enfants coˆte´ paternel (Baruya), maternel (Trobriand), ou les deux (Maenge,). Dans tous les cas, l’intervention des humains ne suffit pas a` faire un enfant. Dans le don d’ovocytes, e´crit Lhomme, « le couple infertile est a` la fois l’auteur de son projet sans en eˆtre l’entier producteur, mais il est e´galement sujet de sa propre histoire. . . Nous devions admettre qu’autour de notre projet s’activaient de nombreux intervenants : nous deux dans un partenariat et une comple´mentarite´ originaux, une donneuse secre`te qui incarnait la moitie´ de l’apport ge´ne´tique, le gyne´cologue franc¸ais qui me pre´parait a` recevoir les embryons, le gyne´cologue e´tranger de´positaire de l’inte´gralite´ des informations, le laborantin qui proce´dait a` la fe´condation et a` la culture des embryons. . ., les the´rapeutes qui m’accompagnaient, sans oublier le banquier aupre`s duquel j’ai emprunte´. . . En comptant a` minima, nous arrivions a` huit personnes, cela faisait du monde dans notre lit ! » [5]. Dans l’accueil d’embryon, personne humaine potentielle venue d’ailleurs (un autre couple), le temps de la grossesse est celui ou` s’exprime le roˆle nourricier de la me`re, et se forge la paternite´ sociale vers l’appropriation de l’enfant, finalise´e a` la naissance qui de´termine la filiation. Dans un sens oppose´ a` celui des surrogate mothers, cette grossesse se pre´sente dans la continuite´ du destin initial de l’embryon projete´ par les parents concepteurs, comme une maternite´ de substitution, qui s’initie comme contractuelle et devient titulaire. 3.3. L’enjeu de la ressemblance/au lignage L’amalgame est souvent fait entre liens ge´ne´tique et ge´ne´alogique, c’est-a`-dire, de´terminisme biologique pour l’un et partage de l’histoire et du lignage pour le second. Le concept ge´ne´tique, parents et enfants partageant une meˆme ascendance, est souvent confondu avec le souhait de ressemblance de l’enfant au parent. La ressemblance physique peut e´voquer l’identification de l’enfant a` un aı¨eul comme a` un parent. L’appariement dans le don de game`tes ou d’embryons vise essentiellement a` ce que la dissemblance ne soit pas repe´rable. Citant Wade, la juriste Brunet e´crit « la race comme classification biologique semble avoir e´te´ ressuscite´e par les techniques d’AMP » [12]. Lhomme e´voque dans son ouvrage la difficulte´ du parcours de renoncement, le sentiment de « trahison de mes anceˆtres qui seraient absents de ma descendance ». Question ressemblance, elle e´crit non sans humour : « Un point positif. . . e´tait que mon enfant n’he´riterait ni de ma myopie, ni des pathologies cardiovasculaires ou osseuses » [5]. 3.4. La circulation des enfants et la parente´ multiple Envisageant la circulation des enfants en milieu traditionnel dans une perspective plus large que dans les cas de ste´rilite´ individuelle, l’anthropologue Lallemand de´crit les syste`mes largement re´pandus de parente´ dites « classificatoires », qui sont un ensemble de parents plus ou moins affilie´s biologiquement a`

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l’enfant, ou des parents d’appoint ou de comple´mentarite´ appartenant au groupe social des parents biologiques [13]. Hors du monde occidental, les enfants ne sont pas syste´matiquement e´leve´s dans le foyer parental. Lallemand donne de nombreux exemples de la circulation des enfants dans les socie´te´s traditionnelles. Parmi d’autres, au Liberia, 40 % des me`res mentionnent l’existence d’un de leurs enfants e´leve´ a` l’exte´rieur du foyer. En Sierra Leone, Isaac et Conrad de´nombrent 44 % d’enfants e´leve´s par des collate´raux de leurs ge´niteurs (fostered-in), et 29 % a` l’exte´rieur de la re´gion (fostered-out) [14]. Il peut y avoir un maintien partiel ou complet de l’identite´ et de l’affiliation initiale ou un abandon de celles-ci, une re´versibilite´ ou une permanence du transfert, la nature et l’e´tendue des obligations et devoirs parentaux de´le´gue´s, ainsi que l’impact sur les droits successoraux. Goody distingue deux types de transferts enfantins : l’adoption et le gardiennage ou fosterage [15]. Le premier, selon Lallemand, « a un caracte`re officiel, il peut impliquer le secret des origines, est cense´ eˆtre durable, non re´versible, et priver les ge´niteurs de leurs droits et devoirs relatifs a` l’enfant au profit des tuteurs » [16]. Il n’est pas sans nous rappeler la re´glementation en vigueur chez nous quant a` l’adoption ple´nie`re . . . et l’accueil d’embryons. Le second, par contre (le fosterage), « a un caracte`re momentane´, il s’adapte aux circonstances puisqu’il suppose le partage ou l’alternance des pre´rogatives parentales entre ascendants directs et gardiens ». Il n’y a donc, dans cette pratique, aucune ambiguı¨te´ vis-a`-vis du secret des origines. Confier un enfant peut re´pondre a` divers motifs, tel que souci e´conomique ou souhait d’une e´le´vation sociale par l’e´ducation qui lui sera fournie. Une femme peut e´galement se voir dans l’obligation de confier son premier-ne´ a` la sœur aıˆne´e ste´rile de son mari. Inversement, apre`s une succession de fausses couches ou de morts d’enfants, une femme peut confier un enfant a` une autre femme de la famille, parfois de re´sidence e´loigne´e, afin de prote´ger celui-ci du sort qu’ont connu les autres, rapporte´ a` une cause surnaturelle. Apre`s de´ce`s d’enfants, les femmes Peuls Bande´ du Se´ne´gal Oriental en 1978 pouvaient placer symboliquement le nouveau-ne´ a` la croise´e de chemins (Fig. 2) ; la dation du nom par le premier qui le voyait (selon le « hasard », mais sans anonymat) e´tait cense´e a` la fois de´tourner de lui une agression surnaturelle, mais e´galement l’inscrire dans un rapport de parente´ e´largi [4]. Ces mode`les de circulation des enfants en milieu traditionnel peuvent eˆtre un outil contributif, pour aborder diffe´remment les questionnements fondamentaux que suscitent les dons, d’un couple a` un autre couple. 3.5. L’enfant du don et sa ge´ne´alogie Dans l’accueil d’embryons ce´de´s par un couple a` l’origine de la conception, il existe pour l’enfant une ce´sure entre une potentialite´ sociale initiale et l’acquis d’un de´veloppement social ulte´rieur. Pour les couples concerne´s, le choix d’une de´marche alternative reste souvent duel, entre accueil d’embryons et adoption, chacune des deux options ayant son poids de difficulte´s. Dans le choix de l’accueil d’embryons, outre la pauvrete´ de l’offre en France, d’autres motivations vont conduire les couples a` choisir, s’ils le peuvent financie`rement, le double don de game`tes, afin de s’affranchir, eux et l’enfant, d’une histoire ante´rieure qui ne serait pas la leur, issue d’un projet parental d’autrui. Dans l’accueil/don d’embryons, il y a e´mergence d’un imaginaire quant a` la famille originelle et un questionnement sur l’existence d’une fratrie e´leve´e chez les parents concepteurs, source d’inquie´tude pour les parents receveurs. En France, tous les professionnels implique´s dans le don d’embryons ont entendu les motivations et re´ticences de certains couples candidats donneurs d’embryons lie´s aux projections sur le devenir de l’embryon. Ils sont amene´s a` e´voquer leur difficulte´ a`

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Fig. 2. Don symbolique de l’enfant ne´ de me`re initialement ste´rile ou ayant perdu des enfants ante´rieurement dans le groupe social (a : enfant confie´ aux masques ; b : enfant place´ a` la croise´e des chemins) [4]. Re´alise´ par Doudou Ba, Ibel, Se´ne´gal, 1978.

donner des « fre`res et sœurs potentiels » qui ne seront pas socialement apparente´s a` leurs enfants, et le souhait d’avoir prise sur l’appariement : a` de´faut de lui donner la vie, obtenir des « garanties » d’une belle vie pour l’embryon, conservant ainsi une part de fonction parentale [2]. Pourtant, dans d’autres contre´es, ce proble`me est traite´ diffe´remment. Ainsi, la sociologue Collard a-t-elle e´tudie´ les rapports entre les familles canadiennes donneuses et receveuses d’embryons [17]. La le´gislation canadienne n’impose pas de protocole obligeant a` de´truire les embryons, de´termine le droit aux origines apre`s adoption. Il existe des programmes nationaux d’adoption des embryons. L’inscription ge´ne´alogique des enfants conside`re les enfants des couples donneurs et receveurs comme « jumeaux d’e´tuve », fre`res et sœurs de ge`nes, ou « cousins » de ge´ne´alogie commune. Le concept having a pair conduit a` une familiarite´ entre les deux familles, avec organisation de rencontres pour que les enfants adopte´s in utero ne soient pas isole´s. Il existe donc une possibilite´ nouvelle de parente´ de familles recompose´es par la germanite´, et non par la recomposition parentale. Cette position n’est bien e´videmment pas consensuelle, mais la donne´e re´cente de l’extension des familles recompose´es banalise cependant la notion de parente´s multiples s’invitant dans les structures familiales traditionnelles. 4. Don et contre-don : gratuite´ et re´mune´ration De 1994 a` 2011, le le´gislateur a confirme´ le principe de la gratuite´ et de l’anonymat du don en France [18]. Le be´ne´fice pour le donneur est conside´re´ eˆtre la satisfaction d’aider indirectement un

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S. Epelboin / Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 42 (2014) 644–648

tiers connu, la valorisation de l’estime de soi. Le concept du « contre-don » s’est banalise´ dans les de´bats qui opposent partisans et adversaires de la compensation ou re´mune´ration des dons de game`tes. Qu’en est-il ? Mauss, dans Essai sur le don, e´tablit le fondement de cette pratique sociale proche du phe´nome`ne de potlatch de´crit par Boas chez les Inuit, « Quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donne qui fait que le donataire la rend ? », s’interroge -t-il ? [19]. Derrie`re des pratiques d’apparente ge´ne´rosite´, gratuite´ et liberte´, dit-il, se cache un cadre tre`s strict de re`gles et codes sociaux qui obligent a` donner, a` recevoir et a` rendre. Le refus de donner, recevoir ou rendre signifierait une rupture des rapports sociaux. Ne pas pouvoir rendre — ou ne pas pouvoir rendre a` la hauteur de ce que l’on a rec¸u — c’est aussi se maintenir dans une position d’infe´riorite´ vis-a`-vis du donateur/aire. Le don est le de´part d’une relation de re´ciprocite´, mais le contre-don est souvent diffe´re´ dans le temps ou dans l’espace social. Ce laps de temps ne´cessaire est celui de la dette qui maintient le lien social actif. Ce qui oblige a` rendre, c’est « l’esprit de la chose donne´e ». Il est e´galement mis l’accent dans ces travaux sur l’importance de ce qui est conserve´. Selon Godelier, les pie`ces e´change´es (pre´cieuses) ne sont que des substituts de celles qui sont garde´es (sacre´es), concept que l’on comprend bien dans le cadre du don d’embryons [7]. En France existe une sensibilisation particulie`re ge´ne´rant un contre-don explicite dans le cas des femmes, me`res graˆce au don de spermatozoı¨des, candidates au don d’ovules en guise de « rendu ». Dans le don direct, bien connu dans certains pays limitrophes, des praticiens franc¸ais, ayant exerce´ avant la loi de 1994, ou suivant des grossesses obtenues dans les pays voisins, sont mis en avant le be´ne´fice de l’importance du lien affectif, mais aussi le poids de la tutelle, de la dette inter-individus alors que dans le don anonyme, la dette des receveurs est vis-a`-vis de la socie´te´. Ne´anmoins, e´crit Lhomme dans le re´cit personnel de son parcours de don dans des centres e´trangers, la re´mune´ration de la donneuse n’efface pas dans l’esprit des femmes receveuses la notion de dette. Le terme de compensation propose´e pour le don en France est oppose´ aux valeurs marchandes qui ge`rent le don a` l’e´tranger. Le syste`me ou` le ˆ t de la FIV si la femme candidate a` be´ne´fice d’une diminution du cou l’AMP ce`de une partie de ses ovocytes pour le don, voire d’une tentative supple´mentaire sans frais si l’autre femme est enceinte et pas elle, est celui qui se rapproche le plus des mode`les de´crits de circulation (de game`tes et non d’enfants, en l’occurrence). Dans les nouvelles dispositions de la loi de 2011, la politique de promotion du don d’ovocyte (en attente d’un de´cret en Conseil d’E´tat pour en pre´ciser les modalite´s) stipule que la donneuse qui n’a pas encore procre´e´ pourra se voir proposer de congeler une partie de ses ovocytes, en vue d’une e´ventuelle re´alisation d’AMP a` son be´ne´fice (au cas ou` une infertilite´ se re´ve´lerait a` distance du don). Il s’agit bien d’une indication non me´dicale de don, et d’un contre-don socie´tal, ou « potlatch », peut-eˆtre un don empoisonne´, ce d’autant que si la mise en œuvre ulte´rieure de l’AMP s’effectue selon les principes qui l’encadrent (infertilite´ me´dicalement ave´re´e), quel be´ne´fice re´el pour la donneuse d’avoir entretenu un espoir tout ce temps [20] ?

5. Conclusion Les pratiques de dons mobilisent donc des logiques mate´rielles et symboliques re´gissant la circulation des spermatozoı¨des, ovules et embryons, qui trouvent un e´cho vis-a`-vis de celle des enfants en milieu traditionnel. La mise en perspective anthropologique fournit un e´largissement de la re´flexion pour re´pondre aux questionnements issus des pratiques de dons, parmi lesquels les fantasmes d’adulte`re ou d’inceste, la queˆte de traits de ressemblance avec la parente´, la question de la re´ve´lation a` l’enfant de son mode de conception, de son incorporation au groupe familial et social, la valeur du temps de maternite´ ute´rine, et l’importance d’une compensation qui aurait valeur de contre-don pour toutes les parties. ˆ ts De´claration d’inte´re L’auteur de´clare ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Heritier F. Masculin/fe´minin : la pense´e de la diffe´rence. Paris: Odile Jacob; 1996. [2] Epelboin S. « Approche clinique et mise en perspective anthropologique de l’accueil d’embryons ». Med Reproduction Gynecol Endocrinol 2008;10(1) [John Libbey Eurotext]. [3] Epelboin S. « Gestation pour autrui, une assistance me´dicale a` la procre´ation comme les autres ?» Info Psychiatr 2011;87(7):573–9 [John Libbey eurotext]. [4] Epelboin S. « La femme inconcevable : ste´rilite´ chez les femmes Peuls Bande´ du Se´ne´gal oriental ». Rev Psychosom 1985;1:67–92 [« Eˆtre ste´rile »]. [5] Lumel-Lhomme G. L’impossible enfant ; don d’ovocytes, l’envers du de´cor. Paris: Ere`s; 2013 [200 p]. [6] Delaisi de Parceval G. « La gestation pour autrui, un bricolage des repre´sentations de la paternite´ et de la maternite´ euro-ame´ricaines ». Homme 2007;183. [7] Godelier M. « Me´tamorphoses de la parente´ ». Paris: Fayard; 2004. [8] Loux F, Richard P. Sagesses du corps ; la sante´ et les maladies dans les proverbes franc¸ais. Paris: Maisonneuve et Larose; 1978. [9] Carminati JP. « Inscrire quoi ? »In: « Familles bouscule´es, invente´es, magnifie´es », colloque GYPSY VII. Paris: Odile Jacob; 2008. [10] Monberg T. ‘‘Fathers were not genitors’’. Man 1975;10. [11] Panoff M. ‘‘Patrifiliation as ideology and practice in a matrilineal society’’. Ethnology 1976;15(2):175–88. [12] Brunet L. Procre´ations me´dicalement assiste´es et cate´gories « ethno-raciales » : l’enjeu de la ressemblance. In: Canselier G, Desmoulins S, editors. Les cate´gories ethno-raciales a` l’e`re des biotechnologies. Paris; 2011. p. 135–54. [13] Lallemand S. La circulation des enfants en milieu traditionnel : preˆt, don, e´change. Paris: L’Harmattan; 1993. [14] Isaac B, Conrad SR. ‘‘Child fosterage among the Mende of upper Bambara chiefdom, Sierra Leone: rural–urban and occupational comparisons’’. Ethnology 1982;21(3). [15] Goody E. Parenthood and social reproduction. Fostering and occupational roles in Western Africa. In: Studies in social anthropology. Paris: Cambridge University Press; 1982. [16] Guidetti M, Lallemand S, Morel MF. Enfances d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. Paris: Armand Colin; 1997. [17] Collard C, Zonaben F. Parente´ sans sexualite´ ; le paradigme occidental en question. Homme 2013;206. ˆ t 2004 relative a` la bioe´thique et Loi no 2011-814 du [18] Loi no 2004-800 du 6 aou 7 juillet. 2011 relative a` la bioe´thique. [19] Mauss M. Essai sur le don. Forme et raison de l’e´change dans les socie´te´s archaı¨ques ; l’anne´e sociologique; 1923. [20] Epelboin S. Filiationsin vitro. In: L’autre, le semblable, le diffe´rent ; actes du colloque GYPSY XIII. 2013;15–32 [214p ; puf].

[Cultural diversity in gamete and embryos donation].

Through gamete and embryo donation have successively emerged new ways of designing individuals who, in turn, have generated mutations in the concept o...
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