Table ronde

Enseignement de la pédiatrie : de la théorie à l’évaluation (GPG)

La pédagogie par l’algorithme décisionnel A. Martinot*, F. Dubos Service de Pédiatrie générale, Urgences et maladies infectieuses, Pôle Enfant, hôpital Jeanne de Flandre, ChRU et Université de Lille, France

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n algorithme ou arbre de décision est une procédure utilisant un cheminement en un nombre fini d’étapes comportant chacune un choix, souvent de type binaire, et qui dans l’exercice médical a pour objectif d’aider le médecin à résoudre un problème diagnostique, pronostique ou thérapeutique. Le terme de pédagogie par l’algorithme décisionnel doit être relativisé car il ne s’agit que d’une des modalités ou plutôt d’un des outils, utile mais aux capacités limitées, du raisonnement clinique du médecin [1]. Cet outil se révèle par sa nature même particulièrement adapté aux programmes informatiques et au développement de l’intelligence artificielle. Il est intégré de plus en plus souvent dans des dossiers médicaux informatisés, dans des logiciels d’appareillages médicaux (électrocardiographes, glucomètres, défibrillateurs externes). Il est aussi utilisé dans des recommandations thérapeutiques et peut conditionner la prescription de médicaments très coûteux. Nous limiterons ici le propos de notre texte aux algorithmes à visée diagnostique. Ceux-ci se présentent comme une série de questions débouchant chacune sur une réponse univoque appelant elle-même d’autres questions, la recherche de symptômes ou signes cliniques, ou la réalisation d’examens complémentaires. Les exemples d’algorithmes diagnostiques sont nombreux (ictère, céphalées, vertiges...). Le raisonnement par arbre diagnostique ou algorithme ne représente qu’un des outils du raisonnement clinique diagnostique dont il convient dans un premier temps de rappeler les différentes grandes approches.

1. Le raisonnement clinique diagnostique Le raisonnement clinique constitue un des trois éléments contribuant à la qualité du diagnostic, avec la dimension relationnelle (instauration d’un climat de confiance, d’une relation empathique) qui facilite le recueil de données lors de l’interrogatoire et de l’examen physique, et la qualité du recueil de ces données (bon ordonnancement) [2,3]. Le raisonnement clinique est une activité intellectuelle qui synthétise l’information obtenue, l’intègre avec les connaissances préalables et l’expérience, pour poser un diagnostic et prendre des décisions thérapeutiques. Selon la nature

*Correspondance : [email protected]

174 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):174-175

habituelle ou non de la situation clinique, son caractère simple ou complexe, le clinicien emploie différentes stratégies associant des modèles de raisonnement analytique (conscient, contrôlé) et non analytique (inconscient, automatique) [1,3,4]. Les erreurs diagnostiques sont nombreuses et résultent en grande partie d’une faute du raisonnement clinique. Les recherches en sciences cognitives, les théories de la décision, l’intelligence artificielle nous fournissent des données sur les procédures cognitives complexes utilisées dans le raisonnement des médecins [5]. • La première approche est la réalisation d’un dossier d’évaluation exhaustif, comportant un inventaire de tous les éléments susceptibles de permettre un diagnostic. Elle ne comporte aucun élément intuitif pour ne négliger aucune hypothèse. Le médecin recueille l’ensemble des signes et formule l’ensemble des diagnostics différentiels. Ce raisonnement analytique implique la capacité d’intégrer tous les signes dans un raisonnement diagnostique grâce à la connaissance des signes des différentes maladies. Cette démarche permet de diagnostiquer des maladies qu’un médecin n’aurait jamais vues auparavant. Ses inconvénients sont la lenteur, l’encombrement par des données parasites, l’évocation de nombreux diagnostics et la multiplicité des investigations complémentaires, le diagnostic reposant sur l’élimination successive de tous les autres diagnostics possibles [3,5]. • La deuxième est au contraire une démarche intuitive de reconnaissance d’un archétype ou canevas (pattern recognition) qui permet de poser un diagnostic d’emblée en fonction d’un tableau type reconnu par le médecin. Le médecin reconnaît par analogie une maladie qu’il a déjà vue, ce qui nécessite expérience et mémoire visuelle. Elle s’applique dans un faible nombre de situations, pour des tableaux cliniques de reconnaissance facile, dans la reconnaissance d’une image connue (dermatologie, imagerie). Elle a pour avantage la rapidité et est particulièrement utile dans les situations où il faut agir en urgence [3,5]. • La démarche hypothéticodéductive est particulièrement appropriée aux situations médicales complexes. Elle consiste à baliser efficacement la situation clinique, pour fixer particulièrement une partie du tableau clinique, sans accumuler des détails d’importance secondaire mais sans non plus ignorer d’autres éléments qui pourraient s’avérer essentiels par la suite. Le diagnostic est établi par une série d’inférences issues de l’histoire de la maladie, des données de l’examen clinique et d’examens complémentaires. Le médecin expérimenté

La pédagogie par l’algorithme décisionnel

utilise beaucoup l’heuristique  (méthode de résolution d’un problème qui ne passe pas par l’analyse détaillée du problème mais par son appartenance ou adhérence à une classe de problèmes donnés déjà identifiés) : raccourcis, intuitions, règles empiriques minimisent les examens complémentaires et raccourcissent la prise de décision. L’heuristique offre ainsi de grands avantages et est habituellement efficace, mais peut aussi être cause d’erreurs importantes [1,4,5]. Cette démarche combine ainsi l’heuristique et les différentes méthodes du raisonnement clinique, pouvant utiliser pour partie des outils comme les algorithmes. • La quatrième démarche est celle utilisant un algorithme ou arbre de décision dont nous allons envisager successivement les avantages et les limites

2. Avantages des algorithmes L’algorithme aide au raisonnement et à la logique, et facilite une démarche diagnostique analytique. Il est ainsi particulièrement utile chez l’étudiant et le médecin débutant, car il permet de suivre une démarche diagnostique cohérente et de formuler un diagnostic différentiel sans expérience préalable. Chez le médecin plus expérimenté, il se révèle utile en cas de difficultés à formuler un diagnostic différentiel satisfaisant, ou pour compenser un oubli ou une erreur d’interprétation. Il est particulièrement adapté à des tableaux cliniques simples, non intriqués. Il bénéficie des outils informatiques et constitue le socle des systèmes d’aide à la décision.

3. Inconvénients et limites des algorithmes La démarche ne prend en compte ni la chronologie, ni l’histoire naturelle, ni le contexte des plaintes. Elle reste de peu d’utilité dans la prise en charge d’une situation complexe, de tableaux cliniques intriqués, car elle risque de cibler un symptôme en méconnaissant l’ensemble des plaintes et le contexte, et nécessiterait l’utilisation combinée de nombreux arbres décisionnels indépendants. Le raisonnement diagnostique mobilise plus d’éléments complexes que les questions de la plupart des algorithmes.

Une autre limite pratique tient à la nature même d’un algorithme avec une suite de questions qui s’enchaînent. Si la réponse à une question est fausse, toute la suite le sera. Il convient donc de rester vigilant à chaque embranchement de l’algorithme et de les réexaminer systématiquement dès lors qu’on n’aboutit pas à des diagnostics différentiels cohérents. Il en est de même lorsque plusieurs réponses paraissent possibles, nécessitant d’étudier la suite des questions dans les deux parcours possibles. L’algorithme peut se conclure par une liste de plusieurs diagnostics parmi lesquels le clinicien doit poursuivre son raisonnement clinique en utilisant éventuellement d’autres données que celles de l’algorithme, son expérience clinique ou le recours à des examens complémentaires.

4. Conclusion Le médecin utilise tout un répertoire de stratégies utiles selon le type de situation clinique (habituelle ou non, simple ou complexe) où les deux processus de raisonnement (analytique et non analytique) coexistent (dual-process theory)  [1,3,5]. Le praticien très expérimenté aurait une capacité particulière à utiliser l’heuristique en le combinant à des méthodes analytiques, parmi lesquelles les algorithmes de décision représentent un outil intéressant. L’étudiant ou le jeune médecin peut également en tirer bénéfice pour une démarche diagnostique cohérente et formuler un diagnostic différentiel sans expérience préalable.

Références [1] Bowen JL. Educational strategies to promote clinical diagnostic reasoning. N Engl J Med 2006;355:2217-25. [2] Eva KW. Ce que tout enseignant devrait savoir concernant le raisonnement clinique. Pédagogie Médicale 2005;6:225-34. [3] Pestiaux D, Vanwelde C, Laurin S, et al. Raisonnement clinique et décision médicale. Le Médecin du Québec 2010;45:59-63. [4] Sandhu H, Carpenter C, Freeman K, et al. Clinical decision-making: opening the black box of cognitive reasoning. Ann Emerg Med 2006;48:713-9. [5] Thammasitboon S, Cutrer WB. Diagnostic decision-making and strategies to improve diagnosis. Curr Probl Pediatr Adolesc Health Care 2013;43:232-41.

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[Clinical decision making algorithms].

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