Revue des Maladies Respiratoires (2015) 32, 296—300

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IMAGE ET DIAGNOSTIC

Un collapsus expiratoire diffus et circonférentiel Diffuse and circumferential expiratory collapse B. Coiffard a, S. Laroumagne a, J. Plojoux a, P. Astoul a,b, H. Dutau a,∗ a

Oncologie thoracique, maladies de la plèvre et pneumologie interventionnelle, CHU Nord, Assistance Publique—Hôpitaux de Marseille (AP—HM), chemin des Bourrely, 13915 Marseille cedex 20, France b Aix-Marseille université, 58, boulevard Charles-Livon, 13284 Marseille cedex 07, France Rec ¸u le 7 avril 2014 ; accepté le 7 juillet 2014 Disponible sur Internet le 30 aoˆ ut 2014

Une femme de 68 ans est adressée pour dyspnée associée à un trouble ventilatoire obstructif sévère inexpliqué. Cette patiente, non fumeuse, a pour principal antécédent, depuis des années, une hypothyroïdie d’origine auto-immune traitée par hormonothérapie substitutive. Son histoire a commencé il y a plus d’un an avec l’apparition de polyarthralgies périphériques inflammatoires dans un contexte fébrile, associées à l’apparition d’une toux sèche et d’une dyspnée ainsi qu’à des douleurs nasales atypiques. Ce syndrome est à l’époque exploré en rhumatologie, et le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde non érosive est retenu malgré la séronégativité des auto-anticorps (facteur rhumatoïde et anti-peptides cycliques citrullinés). Il n’a pas été réalisé pendant cette période d’exploration à visée respiratoire. La patiente est alors traitée par une corticothérapie systémique à la dose de 1 mg/kg/j suivie d’une décroissance progressive de la posologie. La fièvre, les douleurs rhumatismales et les douleurs nasales s’amendent, mais persistent la toux et la dyspnée qui s’aggravent progressivement durant la dernière année. Lors de la prise en charge dans le service, la patiente est traitée par levothyroxine 75 ␮g/j et prednisone 5 mg/j. Chez cette patiente en très bon état général, l’examen clinique respiratoire met en évidence une toux sèche, une dyspnée stade MRC 2 et des sibilants expiratoires à l’auscultation thoracique haute. Le reste de l’auscultation pulmonaire est normal. L’interrogatoire n’est pas en faveur d’un syndrome d’apnée du sommeil, avec un score à 3 au questionnaire de somnolence d’Epworth. L’examen extra-respiratoire



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (H. Dutau).

http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.07.010 0761-8425/© 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Collapsus trachéobronchique expiratoire

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met en évidence une déformation du nez dite « en selle » et des oreilles correctement ourlées sans caractère inflammatoire franc mais avec néanmoins une rougeur de l’hélix (bord de l’oreille externe) (Fig. 1). Le reste de l’examen est

Figure 3. Courbe débit-volume. Obstruction sévère, bronchique et trachéale.

Figure 1. Photo de profil de la patiente. Déformation du nez dite « en selle ». Rougeur de l’hélix (bord de l’oreille externe) sans œdème ni déformation.

normal, avec notamment l’absence d’atteinte auditive ou ophtalmologique et aucun signe d’arthrite. La tomodensitométrie thoracique retrouve un épaississement circonférentiel et diffus des parois de l’arbre trachéobronchique avec franche réduction du calibre de la lumière (Fig. 2). Un TEP-scanner n’a retrouvé aucune hyperfixation suspecte. Les explorations fonctionnelles respiratoires sont en faveur d’un trouble ventilatoire obstructif sévère de l’ensemble de l’arbre trachéobronchique (VEMS/CVF = 23 %, VEMS = 31 % de la théorique, DEMM 25/75 = 11 % de la théorique, CPT = 97 % de la théorique, VR = 100 % de la théorique) (Fig. 3). L’endoscopie bronchique

Figure 2. Tomodensitométrie thoracique. Épaississement diffus et circonférentielle des parois de l’arbre trachéobronchique proximal (flèches rouges) avec réduction franche du calibre de la lumière en regard.

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B. Coiffard et al.

Figure 4. Endoscopie bronchique. A. Trachée ; muqueuse trachéale épaissie avec effacement des reliefs cartilagineux et réduction du calibre de la lumière en regard. B. Épaississement de la carène. C. et D. Réduction de calibre avec malacie sévère des bronches principales droites et gauches.

met en évidence un épaississement circonférentiel et diffus des parois, effac ¸ant les reliefs cartilagineux de la muqueuse de la trachée et des voies aériennes droites et gauches. Une malacie sévère est également détectée avec collapsus complet télé-expiratoire des deux bronches principales (Fig. 4 et Vidéo disponible en ligne). Le bilan biologique n’a

pas montré d’anomalie significative, en dehors d’une légère élévation de la CRP à 30 mg/L. Le bilan auto-immun standard est resté négatif.

Quel est votre diagnostic ?

Collapsus trachéobronchique expiratoire Ce tableau clinico-radiologique d’atteinte de l’ensemble des cartilages est typique de polychondrite chronique atrophiante (PCA). Chez cette patiente le diagnostic a été facilement orienté par l’atteinte respiratoire quasi-pathognomonique associant un épaississement circonférentiel et diffus des parois de l’arbre trachéobronchique avec franche malacie au scanner et à la bronchoscopie. Cette maladie rare se caractérise, en effet, par une atteinte pouvant toucher l’ensemble des cartilages de l’organisme : articulations, arbre trachéobronchique, nez et oreilles (interne et externe). C’est une maladie inflammatoire systémique dont l’étiologie précise reste encore inconnue mais dont les voies physiopathologiques d’autoimmunisation ciblant le cartilage sont de mieux en mieux décrites, comme en témoigne une récente revue de la littérature par Arnaud et al. [1]. Comme souvent dans les maladies inflammatoires, d’autres organes peuvent être affectés, avec le plus fréquemment pour cette maladie une atteinte ophtalmologique, cardiovasculaire, cutanée ou rénale [2]. Le diagnostic reste principalement clinique avec, dans un contexte souvent fébrile, des polyarthralgies non érosives, une atteinte respiratoire obstructive par destruction du cartilage de soutien de l’arbre trachéobronchique (dont la prévalence varie de 20 à 50 % selon les auteurs [2,3]), une inflammation des cartilages de l’oreille externe, une baisse de l’acuité auditive et une déformation douloureuse « en selles » de l’arête nasale. Dans le cas de notre patiente, la corticothérapie en cours au moment de notre prise en charge a minimisée probablement les signes inflammatoires de ces différentes atteintes. Il n’existe pour le moment aucun examen complémentaire assez sensible et spécifique pour le diagnostic de PCA. Le dosage d’anticorps spécifiques anti-collagène de type II (non réalisé chez notre patiente) est le plus connu, mais n’est pas facile d’accès et n’est positif que dans 30 % des cas. Plus récemment l’anticorps anti-matrillin-1 semble impliqué mais est également très peu sensible (13 % des cas) [1]. D’autres auto-anticorps plus courants et non spécifiques peuvent être retrouvés surtout en phase active de la maladie (anticorps anti-nucléaires et ANCA) [2]. Sur le plan histologique, la maladie se manifeste par une destruction inflammatoire du cartilage, avec en immunofluorescence des dépôts de C3 et d’immunoglobulines. Les lésions sont ensuite remplacées par un tissu de granulation et évoluent vers la fibrose dystrophique [4]. En radiologie, les parois de l’arbre respiratoire apparaissent épaissies, plus ou moins calcifiées, avec en phase expiratoire une malacie et un air trapping. Les autres cartilages de l’organisme apparaissent typiquement remaniés et calcifiés [2]. Plus récemment, l’imagerie obtenue par le TEP-scanner comme témoin d’une inflammation active des cartilages semble utile pour le diagnostic et le suivi de la maladie [5—7]. Dans le cas de notre patiente, le traitement par corticoïde peut expliquer la négativité de l’examen. Le traitement repose généralement, en cas d’atteinte sévère, sur la corticothérapie systémique voir sur les immunosuppresseurs classiques (azathioprine, cyclophosphamide, méthotrexate, mofétilmycophénolate), en cas d’insuffisance d’efficacité ou d’effet(s) secondaire(s) de ces derniers. L’efficacité inconstante de ces différentes thérapeutiques a amené à tester d’autres traitements, ainsi

299 plusieurs publications récentes rapportent l’efficacité des biothérapies tels l’abatacept (anti-CD80/86), le tocilizumab (anti-IL6) ou l’adalimumab (anti-TNF) [8—10]. La gravité de cette maladie est liée, le plus souvent, à l’atteinte respiratoire et la prise en charge par le pneumologue prend toute son importance. L’absence de cartilage de soutien entraîne un collapsus expiratoire des voies aériennes aboutissant à une trachéobronchomalacie le plus souvent diffuse et sévère [11]. La mise en place de prothèses trachéales par endoscopie interventionnelle peut être une solution pour maintenir ouverte les voies aériennes [3,12]. Cette option reste cependant une solution palliative de dernier recours et si possible transitoire, car les complications liées aux prothèses peuvent être graves sur des bronches inflammatoires [13]. Dans les cas les plus extrêmes, le recours à une ventilation mécanique en pression positive continue (ventilation non invasive voir trachéotomie) est parfois incontournable pour maintenir les voies aériennes ouvertes et améliorer le flux expiratoire [11]. L’atteinte exclusive de l’arbre respiratoire ne peut malheureusement faire retenir la greffe pulmonaire comme option thérapeutique, qui logiquement ne peut être indiqué aux maladies trachéobronchiques. Dans le cas de notre patiente, l’atteinte respiratoire sévère, d’installation relativement rapide, justifiait un traitement systémique. Il a été décidé, après concertation pluridisciplinaire avec les médecins internistes, une élévation transitoire de la corticothérapie et l’initiation d’un traitement immunosuppresseur par méthotrexate (10 mg/semaine), ayant permis une stabilisation fonctionnelle respiratoire à presque un an de suivi.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Annexe A. Matériel complémentaire Le matériel complémentaire (Vidéo) accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www.sciencedirect.com et http://dx.doi.org/ 10.1016/j.rmr.2014.07.010.

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[Diffuse and circumferential expiratory collapse].

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