Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 383—386

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FICHE THÉMATIQUE / PATHOLOGIE GÉNITALE MASCULINE

Diagnostic et prise en charge des pénodynies Diagnosis and management of penodynia J.-N. Dauendorffer a,∗, C. Renaud-Vilmer a, B. Cavelier-Balloy b a

Service de dermatologie, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France b Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Rec ¸u le 23 octobre 2013 ; accepté le 3 mars 2014 Disponible sur Internet le 2 avril 2014

Introduction La pénodynie appartient au spectre des douleurs péniennes chroniques. Initialement dénommée « syndrome douloureux pénien », c’est Markos qui proposa le terme de pénodynie en 2002 par analogie à la vulvodynie [1]. Le syndrome douloureux pénien est défini par l’European Association of Urology comme une douleur située au niveau du pénis mais dont l’origine n’est pas urétrale, sans infection prouvée ni autre pathologie évidente. Les douleurs péniennes ne survenant qu’au cours des rapports sexuels sont dénommées dyspareunies masculines. Elles peuvent avoir une origine organique (dermatologique ou urologique) ou s’intégrer à un syndrome douloureux pelvien chronique. Si le dermatologue est désormais familiarisé avec la notion de vulvodynie, il l’est moins avec les pénodynies. Or de part son rôle dans la pris en charge des dermatoses génitales et des infections sexuellement transmissibles, il est, au



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-N. Dauendorffer).

http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.03.010 0151-9638/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

même titre que l’urologue, susceptible de rencontrer cette pathologie de description récente.

Nosologie Le syndrome douloureux pelvien chronique est défini par l’International Pelvic Pain Society comme une douleur pelvienne évoluant depuis plus de 6 mois, sans rapport avec l’importance des dommages tissulaires et fréquemment associée à un syndrome dépressif réactionnel [2,3]. On peut le concevoir comme un dérèglement végétatif, potentiellement déclenché (par une infection, un traumatisme, un stress ?), survenant sur un terrain favorisant (immunitaire, psychologique ?), sous-tendu par des anomalies neurologiques infra-cliniques et entretenu (par des interventions ultérieures ou la répétition des explorations locales). Il nécessite de raisonner en pathologie des mécanismes de régulation de la douleur plutôt qu’en pathologie d’organe. Il comprend, à côté des pénodynies, les prostatites chroniques, les cystites interstitielles, les vulvodynies et le syndrome de l’intestin irritable.

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Définition La pénodynie se définit par une sensation de douleur ou de brûlure cutanée génitale contrastant avec un examen physique génital cutané et neurologique strictement normal. Cette définition n’est pas sans rappeler celle de la vulvodynie, précisée par l’International Society for the Study of Vulvovaginal Disease [4]. Lorsque la douleur concerne la peau pénienne et scrotale, on parle volontiers de pénoscrotodynie. La méconnaissance de cette pathologie par de nombreux médecins laisse supposer une sous-notification des cas. Aucune étude de prévalence de la pénodynie n’a été publiée. L’analyse des quelques cas publiés suggère cependant que les pénodynies sont plus fréquentes que les scrotodynies.

Étiologie-physiopathologie En l’absence de facteur causal clairement identifié, on parle de pénodynie dysesthésique [5]. De rares cas de pénodynie induite ont été décrits, en rapport avec une consommation d’alcool ou de caféine [6]. Un cas associant pénodynie et stomatodynie a été rapporté [7]. Nous avons également décrit le cas d’un patient présentant une pénodynie après posthectomie, la douleur étant ressentie en dehors de la cicatrice de posthectomie [8]. Différentes hypothèses physiopathologiques ont été proposées, dont un mécanisme neurovasculaire, sous-tendu, d’une part, par une réponse, quoique inconstante, aux molécules actives sur les douleurs neuropathiques (antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, anti-épileptiques), et d’autre part, par analogie au caractère algique du red scrotum syndrom [9].

Classification Elle distingue, d’une part, les pénodynies généralisées (ou pénoscrotodynies) lorsque la sensation douloureuse concerne le scrotum et le pénis, des pénodynies localisées (dénommées pénodynie, scrotodynie ou glandodynie selon que la douleur concerne électivement le pénis, le scrotum ou le gland) [5]. Elle propose, d’autre part, de différencier les pénodynies provoquées (hyperesthésie ou allodynie aux sous-vêtements ; dyspareunie en cas de douleur coïtale ou post-coïtale) des pénodynies non provoquées (ou spontanées). La classification des pénodynies n’est pas superposable à celle des vulvodynies. En effet, les vulvodynies consistent par définition uniquement aux douleurs vulvaires non provoquées et correspondent ainsi chez l’homme aux pénodynies spontanées, et non aux pénodynies provoquées.

Diagnostic Il repose sur l’interrogatoire du patient, la normalité de l’examen clinique cutané et neurologique (en dehors de rares cas de cyanose ou d’hyperhémie du gland décrits au cours des épisodes douloureux) et l’exclusion des diagnostics différentiels.

J.-N. Dauendorffer et al. Il peut être demandé au patient de tenir un journal des épisodes douloureux permettant de préciser leur fréquence et leur intensité, afin de définir la sévérité de la pathologie et les facteurs déclenchant alimentaires possibles (caféine, alcool). La réalisation d’une biopsie cutanée n’est pas recommandée car l’examen histologique est normal dans tous les cas publiés.

Diagnostic différentiel Le diagnostic de pénodynie est un diagnostic clinique d’élimination [10]. Il nécessite d’éliminer les autres causes de douleurs péniennes chroniques et justifie le plus souvent une collaboration avec l’urologue, voire la réalisation d’examens complémentaires : • imagerie pelvienne par tomodensitométrie (TDM) ou imagerie par résonance magnétique (IRM) ; • IRM pénienne ; • échographie scrotale en cas de scrotodynie ; • uréthrocystosopie ; • bilan neurophysiologique à la recherche d’une douleur neuropathique. Les diagnostics différentiels à évoquer sont : • les dermatoses infectieuses, tumorales ou inflammatoires (lichen scléreux, lichen plan érosif) à évoquer en cas d’anomalie de l’examen dermatologique génital ; • la maladie de Lapeyronie et les anomalies anatomiques (adhérences préputiales, phimosis, brièveté du frein du prépuce, déformations congénitales de la verge) : les douleurs surviennent alors plus volontiers lors de l’érection ; • douleurs post-traumatiques (rupture des corps caverneux) et postopératoires (implants péniens, chirurgie de la maladie de Lapeyronie) survenant dans un contexte évident ; • douleurs projetées : elles peuvent être perc ¸ues au niveau du pénis mais trouver leur origine au niveau de la vessie (syndrome douloureux vésical) ou de la prostate (prostatite chronique), souvent associés à des troubles mictionnels. Elles peuvent aussi avoir une origine musculo-squelettique, et sont dans ce cas volontiers accompagnées de douleurs testiculaires ; • douleur neuropathique : elle doit être évoquée lorsque le patient décrit une sensation d’engourdissement, d’anesthésie ou de picotements (paresthésies) du pénis, signes évocateurs d’une atteinte neurologique par lésion du système nerveux périphérique, qu’il s’agisse d’une atteinte distale du nerf dorsal de la verge (neuropathie pénienne) ou d’une atteinte plus proximale (névralgie pudendale par atteinte du nerf pudendal, anciennement dénommé nerf honteux interne) (Tableau 1). Il s’agit d’un diagnostic difficile à établir, faisant courir le risque de conclure à tort à une origine psychogène. L’origine de la névralgie pudendale peut être radiculaire (syndrome de la queue de cheval, canal lombaire étroit, fracture ou tumeur du sacrum), plexique (par atteinte du plexus pudendal après amputation du rectum, étirement sur table de chirurgie orthopédique) ou tronculaire (compression du nerf pudendal, neuropathie métabolique, toxique ou infectieuse). Cinq critères sont indispensables au diagnostic de névralgie pudendale tronculaire compressive :

Diagnostic et prise en charge des pénodynies Tableau 1

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Diagnostic différentiel clinique des pénodynies et douleurs péniennes neuropathiques. Douleur pénienne

Douleur scrotale

Examen neurologique pénien

Troubles de l’érection

Douleur ano-rectale

Constipation Troubles mictionnels

Péno(scroto)dynie Présente Présente Syndrome de compression du nerf dorsal de la verge Présente Compression du nerf pudendal

Possible Absente

Normal Anesthésie, paresthésies

Absents Possibles

Absente Absente

Absente Absente

Absents Absents

Possible

Anesthésie, paresthésies

Possibles

Possible

Possible

Possibles

◦ douleur située dans le territoire anatomique du nerf pudendal, de l’anus au pénis, ◦ douleur prédominant en position assise, mais soulagée par la position assise sur le siège des toilettes, ◦ douleur ne réveillant pas la nuit, ◦ absence de déficit sensitif superficiel périnéal, la présence de ce déficit orientant vers une atteinte radiculaire sacrée ou plexique, ◦ soulagement des douleurs après infiltration anesthésique du nerf pudendal. En distalité, le nerf dorsal de la verge, issu du nerf pudendal, peut également être comprimé, entraînant le syndrome de compression du nerf dorsal, favorisé par le diabète et le cyclisme [5]. Il se traduit par des douleurs péniennes, une diminution de la sensibilité du gland ou de la verge, des paresthésies génitales et parfois des troubles de l’érection. L’absence de douleur scrotale, ano-rectale, de constipation, de troubles mictionnels et le fait que le toucher rectal ne déclenche pas de douleur exquise au niveau de la région de l’épine ischiatique permettent de le différencier d’une compression proximale du tronc du nerf pudendal (névralgie pudendale). Le bilan neurophysiologique (vitesse de conduction sensitive du nerf dorsal de la verge, latence du réflexe bulbo-caverneux) manquant de sensibilité et spécificité, le diagnostic de compression du nerf dorsal de la verge est confirmé par la disparition de la douleur lors d’un bloc anesthésique réalisé au niveau du nerf dorsal, dans la région sous-pubienne ; • douleurs d’origine psychologique ou psychiatrique : traumatismes répétés par activités sexuelles multiples ou par des auto-examens répétés lors de troubles obsessionnels compulsifs.

Traitement Il est difficile et repose sur des cas isolés rapportés et sur la connaissance du traitement des vulvodynies : antalgiques de niveau 1 (paracétamol) et 2 (codéine, tramadol), antidépresseurs tricycliques (amitriptyline, imipramine), inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (paroxétine), de la sérotonine et la noradrénaline (duloxetine), carbamazépine, prégabaline et gabapentine. Les doses quotidiennes doivent être augmentées progressivement, jusqu’à obtention de la dose minimale efficace, en évitant un effet sédatif. Des traitements locaux (xylocaïne

topique) peuvent se discuter. Des thérapies cognitivocomportementales peuvent être proposées. La qualité de la relation médecin—malade est un point essentiel du traitement de cette pathologie chronique, à la physiopathologie méconnue et donc non-explicable au patient, d’autant plus que celui-ci se sent souvent considéré par le corps médical comme un « malade imaginaire ».

Conclusion Le dermatologue peut être amené à diagnostiquer une pénodynie, notamment chez des hommes qui le consultent pour des douleurs péniennes leur faisant craindre une infection sexuellement transmissible. Le rôle du dermatologue est alors complexe : évoquer précocement l‘affection, en assurer le diagnostic (en éliminant les diagnostics différentiels avec la collaboration de l’urologue) et la prise en charge thérapeutique associée à un accompagnement psychologique. Celui-ci est rendu nécessaire par la chronicité de la pathologie, la difficulté du traitement mais aussi par le caractère symbolique du pénis pour l’homme.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Markos AR. The male genital skin burning syndrome Dysaesthetic penoscrotodynia. Int J STD AIDS 2002;13:271—2. [2] Labat JJ, Riant T, Robert R, Watier A, Rigaud J. Les douleurs périnéales chroniques. Acta Endosc 2009;39:47—61. [3] Fall M, Baranowski AP, Elneil S, Engeler D, Hugues J, Messelink EJ, et al. EAU guidelines on chronic pelvic pain. Eur Urol 2010;57:35—48. [4] Haefner HK. Report of the International Society for the Study of Vulvovaginal Disease terminiology and classification of vulvodynia. J Low Genit Tract Dis 2007;11:48—9. [5] Markos AR. Dysaesthetic penoscrotodynia: nomenclature, classification, diagnosis and treatment. Int J STD AIDS 2011;22:483—7. [6] Markos AR. Alcool-induced penodynia. Int J STD AIDS 2004;15:492—3.

386 [7] Mancuso G, Berdondini RM. Simultaneous occurrence of dysaesthetic peno/scrotodynia and stomatodynia. Int J STD AIDS 2005;16:830—1. [8] Dauendorffer JN, Renaud-Vilmer C, Bagot M, Cavellier-Balloy B. Pénodynie induite par une circoncision. Ann Dermatol Venereol 2013;139:566—7.

J.-N. Dauendorffer et al. [9] Prevost N, English JC. Red scrotal syndrome: a localized phenotypical expression of erythromelalgia. J Drugs Dermatol 2007;6:935—6. [10] Delavierre D, Rigaud J, Sibert L, Labat JJ. Approche symptomatique des douleurs péniennes chroniques. Prog Urol 2010;20:958—61.

[Diagnosis and management of penodynia].

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