Presse Med. 2016; 45: 4–6

Éditorial

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Dénosumab : traitement à vie de l'ostéoporose ? Michel Laroche

CHU de Toulouse, hôpital Pierre-Paul-Riquet, centre de rhumatologue, 1, place du Dr-Baylac, 31059 Toulouse cedex, France [email protected]

Denosumab: Lifetime treatment of osteoporosis?

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e dénosumab, anticorps entièrement humain, inhibiteur de la résorption ostéoclastique, par son action anti-Rank ligand, est remboursé depuis septembre 2013, en France, dans le traitement de l'ostéoporose, chez des femmes à risque élevé de fracture ayant déjà été traitées par bisphosphonates. Même si nous ne disposons pas d'études comparatives, ses « performances » anti-fracturaires sont du niveau des traitements les plus efficaces disponibles jusque-là (tériparatide et zolédronate) [1] et les 2 injections sous-cutanées par an lui confèrent une grande facilité d'administration. On peut donc penser que de nombreuses malades bénéficieront de cette thérapeutique. Cette molécule a deux particularités qui la différencient des bisphosphonates :  alors qu'avec un traitement par bisphosphonates, le gain densitométrique s'atténue après 2 à 3 ans de traitement, pour devenir anecdotique lors des années suivantes, sous dénosumab le gain densitométrique est important et se poursuit dans le temps. La prolongation des études initiales montre que ce gain se maintient au moins 10 ans et atteint 21,6 % au rachis, 9,1 % à la hanche [2]. Ce gain continu est-il dû à un effet anti-ostéoclastique plus important que l'effet antiostéoblastique inévitablement associé à l'inhibition de la résorption et/ou à un effet bénéfique prolongé sur la minéralisation osseuse ?  contrairement aux bisphosphonates, dont les effets biologiques (marqueurs du remodelage osseux), densitométriques et cliniques (prévention des fractures) peuvent persister, selon les molécules, plusieurs mois, voire plusieurs années (alendronate et zolédronate) après l'arrêt du traitement, l'effet biologique du dénosumab ne dure que 6 à 9 mois. On observe en effet, dans les 6 à 12 mois après l'arrêt du dénosumab, une ré-ascension des marqueurs du remodelage osseux qui grimpent à des taux plus élevés qu'avant l'injection initiale avant de revenir à leurs taux initiaux au bout de 2 ans [3]. On sait maintenant qu'à l'arrêt d'un traitement par dénosumab poursuivi pendant 2 ans, la perte densitométrique est importante dans la première année qui suit l'arrêt du traitement : –6,6 % au rachis, –5,5 % à la hanche [4]. Cette perte s'atténue et

tome 45 > n81 > janvier 2016 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2015.12.010 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Les recommandations récentes du GRIO, qui proposent de faire le point après 5 ans de traitement [10], sont parfois mal interprétées par certains rhumatologues et médecins généralistes qui concluent à tort que le traitement (la plupart du temps un bisphosphonate) peut être dangereux et doit être arrêté au terme de ces 5 ans. Ce d'autant que ces recommandations ont été écrites alors que de nombreuses publications ont fait état d'ostéonécroses de la mâchoire ou de fractures atypiques, évènements restant très rares comparés à l'efficacité anti-fracturaire [11]. Avec le dénosumab, le suivi de pharmacovigilance concernant 1 252 566 patient/années n'a enregistré que 32 cas d'ostéonécrose de mâchoire, 4 fractures fémorales atypiques, 8 cas d'hypocalcémie sévère et 5 allergies graves [12]. Ces recommandations pourraient être revues pour les malades traités par dénosumab : en effet, il est logique, au vu des

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données dont nous disposons, de ne pas interrompre le traitement par dénosumab, ou, s'il est responsable d'effets secondaires, de le remplacer rapidement par un autre traitement anti-résorptif afin de conserver le bénéfice du gain de masse osseuse obtenu. Pourquoi ne pas envisager un traitement « à vie » de l'ostéoporose, d'autant que l'on sait que l'incidence des fractures et le risque de chute, augmentent inéluctablement avec l'âge ? Les études randomisées concernant l'efficacité des statines dans la prévention des accidents coronariens ou des antihypertenseurs dans la prévention des accidents vasculaires cérébraux, pour la plupart, n'ont porté que sur quelques années, ce qui n'empêche pas les cardiologues de prescrire à tous leurs malades des traitements à vie, or le risque de décès est aussi important après une fracture du col fémoral qu'après un infarctus du myocarde. Les cardiologues ont, eux, des « cibles » aisées à contrôler : maintien d'une tension artérielle inférieure à 14/9, d'un cholestérol LDL inférieur à 1 g [13]. Avec le dénosumab [14] et contrairement aux bisphosphonates [15], le lien entre gain densitométrique et efficacité antifracturaire est important : 50 à 70 % de la réduction de ce risque, selon le site, étant expliquée par le gain densitométrique. Des études, avec l'alendronate ou le zolédronate, démontrent que les patientes dont le T-score reste inférieur à –2,5, bénéficient de la poursuite du traitement [16,17]. Dans ces conditions, peut-on envisager l'obtention et le maintien d'un T-score à la hanche supérieur à –2,5 avec mesure tous les 2 ans de ce paramètre ? Ce d'autant que d'ores et déjà le dénosumab [18] et prochainement l'association tériparatide et dénosumab [19] ou les anticorps anti-sclérostine [20] permettront d'atteindre cet objectif chez un nombre croissant de malades. En cas de T-score obtenu supérieur à –2,5, l'arrêt ou non du traitement dépendra de sa rémanence : possible avec les bisphosphonates (et la durée de la « fenêtre » thérapeutique dépendra de la durée de blocage de la résorption évaluée par un dosage annuel du CTX), non envisageable avec le tériparatide et le dénosumab en raison de leur réversibilité. Cette attitude pourrait permettre d'optimiser, avec le dénosumab, le bénéfice en termes de prévention des fractures si la corrélation gain densitométrique et efficacité clinique se maintient à long terme, comme peuvent le laisser envisager les extensions à 8 et 10 ans de l'étude FREEDOM et éviter l'effet rebond à l'arrêt du traitement [2,21]. Des études de cohortes, de longue durée, indépendantes de l'industrie devraient être mises en place pour confirmer le rapport bénéfice–risque favorable d'une telle stratégie thérapeutique ainsi que son impact socioéconomique. Déclaration de liens d'intérêts : honoraires pour interventions ponctuelles : Lilly, MSD, Amgen, Abbvie, Pfeizer, Novartis.

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devient nulle lors de la deuxième année suivant l'arrêt du traitement. De ce fait, à la hanche, en un an, les malades ont perdu la totalité de la quantité de densité minérale osseuse gagnée en deux ans. Au rachis, la perte concerne plus des deux tiers du gain obtenu. On sait, par ailleurs, que l'hyper résorption ostéoclastique est potentiellement fragilisante pour le tissu osseux, l'inhibition rapide de celle-ci par les bisphosphonates pourrait expliquer leur efficacité sur la prévention fracturaire avant même qu'ils aient un effet densitométrique [5–7]. On peut légitimement craindre que l'hyper résorption importante qui survient pendant les premiers mois après l'arrêt du traitement par dénosumab et qui occasionne une perte de 6 à 7 % de DMO dans la première année après l'arrêt, s'accompagne d'une augmentation rapide du risque fracturaire, surtout chez des sujets âgés ou à DMO basse au terme du traitement. Brown et al. [8] ont réalisé une analyse post-hoc de l'incidence des fractures survenant chez les patientes après arrêt du dénosumab ou du placebo durant les 3 premières années contrôlées de l'étude FREEDOM. L'incidence fracturaire a augmenté de manière similaire dans les deux groupes durant les 7 à 24 mois de suivi, sans qu'apparaisse un excès de fracture dans le groupe dénosumab par rapport au groupe placebo. Il est cependant à noter qu'il s'agissait de malade exclus de l'étude FREEDOM : l7 % des malades sous placebo le furent pour perte importante de DMO contre 1 % sous dénosumab et qu'en relais du placebo ou du dénosumab, respectivement, 28 et 42 % des malades eurent un traitement de l'ostéoporose, le plus souvent par bisphosphonates, Une publication très récente, à l'inverse, semble étayer la crainte de fractures à l'arrêt du traitement par dénosumab : en effet Lamy et al. rapportent le 28 octobre 2015 dans Osteoporosis International [9] trois malades ayant présenté des « cascades » fracturaires vertébrales 9 à 16 mois après l'arrêt d'un traitement par dénosumab, dénosumab arrêté après obtention d'un T-score < –2,5 pour deux d'entre eux.

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