Article original

Me´decine et Sante´ Tropicales 2015 ; 25 : 414-418

Cryoglobulinémie : expérience dans un service de médecine interne tunisien Cryoglobulinemia in a Tunisian internal medicine department Boukhris I., Azzabi S., Che´rif E., Ben Hassine L., Kaouech Z., Kooli C. CHU Charles Nicolle de Tunis, universite´ de Tunis El Manar, service de me´decine interne B, hoˆpital Charles Nicolle, 1006 Tunis, Tunisie Article accepte´ le 11/01/2015

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Re´sume´. Objectif : les cryoglobulines, qu’elles soient asymptomatiques ou responsables d’une atteinte polyvisce´rale, imposent la recherche d’une pathologie sous-jacente. Le but de ce travail est d’analyser les caracte´ristiques clinicobiologiques des cryoglobuline´mies chez un groupe de patients nord-africains a` travers une e´tude re´trospective de seize observations tunisiennes. Re´sultats : il s’agissait de douze femmes et de quatre hommes, d’aˆge moyen de 41 ans. La cryoglobuline´mie e´tait associe´e a` une pathologie sous-jacente chez quatorze patients. Il s’agissait de neuf cas de lupus, de deux cas de syndrome de Gougerot-Sjo¨gren et de un cas de pe´riarte´rite noueuse. Il y avait une infection dans six cas : trois infections par l’he´patite B, une infection par l’he´patite C, une infection par le parvovirus B19 et une tuberculose ganglionnaire. Un seul cas de syndrome lymphoprolife´ratif e´tait note´. Les signes ge´ne´raux e´taient pre´sents dans 81 % des cas, les atteintes cutane´es dans 43 %, des signes vasomoteurs dans 37 %, des signes articulaires dans 62 %, une atteinte re´nale dans 68 %, une atteinte neurologique dans 25 %, une atteinte pulmonaire dans 56 %, une atteinte abdominale dans 37 % et une atteinte cardiaque dans 31 %. L’e´volution sous traitement e´tait favorable dans cinq cas, cinq de nos patients sont de´ce´de´s suite a` des complications infectieuses et re´nales. Conclusion : la cryoglobuline´mie est une pathologie peu fre´quente car souvent sous-diagnostique´e. Elle peut eˆtre grave, sa prise en charge de´pend de la se´ve´rite´ des le´sions et de la pathologie sous-jacente.

Abstract. Aim: Cryoglobulinemia is characterized by multiple organ involvement, mainly including the skin, liver, kidneys, and peripheral nerves. Our aim was to investigate the demographic, clinical, and serologic features, as well as survival in a group of 16 Tunisian patients with cryoglobulinemia. Results: The study included 12 women and 4 men, and their mean age was 41 years. In all but two, the cryoglobulinemia was associated with another disease. These included lupus for 9, Sjo¨gren syndrome for 2, and polyarteritis nodosa for one. They also included infectious diseases: 3 patients with hepatitis B virus infection, one with hepatitis C virus infection, one with parvovirus B19, and another with lymph node tuberculosis. Only one case of lymphoproliferative disease was noted. General symptoms were present in 81% of the patients, cutaneous vasculitis in 43%, peripheral vascular-Raynaud phenomenon in 37%, joint polyarthralgia or arthritis in 62%, renal involvement in 68%, neuropathy in 25%, lung involvement in 56%, gastrointestinal involvement in 37%, and finally cardiac involvement in 31%. In some cases it was difficult to determine if the clinical signs were attributable to cryoglobulinemia or the underlying pathology. The course was favorable under treatment for 5 patients, while 7 patients became sicker and 5 finally died. Conclusion: Cryoglobulinemia is underdiagnosed. Treatment depends on the severity of the lesions and the underlying disease. Key words: cryoglobulinemia, hepatitis C, vasculitis, systemic lupus erythematosus, Tunisie.

Mots cle´s : cryoglobuline´mie, he´patite C, vascularite, lupus e´rythe´mateux syste´mique, Tunisie.

L

es cryoglobuline´mies (CG) sont caracte´rise´es par la pre´sence persistante dans le se´rum d’immunoglobulines anormales, qui pre´cipitent a` des tempe´ratures infe´rieures a` 37 ˚C et se solubilisent a` nouveau lors du re´chauffement. La pre´sence d’une cryoglobuline peut rester une anomalie

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biologique isole´e ou eˆtre responsable d’une vascularite des vaisseaux de petit calibre avec une atteinte de la peau, des articulations, du syste`me nerveux pe´riphe´rique et du rein [1]. Apre`s la mise en e´vidence d’une CG, une enqueˆte e´tiologique s’impose. Les CG monoclonales, de type I, sont associe´es le plus

Pour citer cet article : Boukhris I, Azzabi S, Che´rif E, Ben Hassine L, Kaouech Z, Kooli C. Cryoglobuline´mie : expe´rience dans un service de me´decine interne tunisien. Med Sante Trop 2015 ; 25 : 414-418. doi : 10.1684/mst.2015.0477

doi: 10.1684/mst.2015.0477

Correspondance : Boukhris I

Cryoglobuline´mie

souvent a` une pathologie lymphoprolife´rative. Les CG mixtes (CM), de type II et III, de´finies par la pre´sence de plusieurs immunoglobulines, sont plus souvent secondaires a` des he´mopathies, des pathologies auto-immunes, des maladies infectieuses ou des ne´oplasies. Une infection par le virus de l’he´patite C (VHC) est a` rechercher syste´matiquement. Lorsque l’enqueˆte e´tiologique reste ne´gative, on parle de CG essentielle [2, 3]. L’objectif de notre travail est d’analyser, a` partir de dossiers de patients pre´sentant une CG, les signes re´ve´lateurs et les caracte´ristiques cliniques des CG, les pathologies qui leur sont associe´es, ainsi que la conduite the´rapeutique et l’e´volution de la maladie.

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Patients et me´thodes Il s’agit d’une e´tude monocentrique, descriptive et re´trospective de dossiers de patients pre´sentant une CG et hospitalise´s au sein du service de me´decine interne B de l’hoˆpital Charles-Nicolle de Tunis (Tunisie), sur une pe´riode de dix-huit ans. Les donne´es recueillies a` partir des observations cliniques et les re´sultats des diffe´rents examens morphologiques et biologiques ont e´te´ transcrits sur des fiches. Les diffe´rents examens immunologiques et la recherche de CG, faite par un screening a` 4 puis par un € typage par immunodiffusion double type Ouchterlony, ont e´te´ pratique´s au service d’immunologie de l’hoˆpital Charles Nicolle de Tunis. La recherche de CG e´tait uniquement qualitative, le dosage de la cryoglobuline n’e´tait pas re´alise´.

Re´sultats Nous avons retenu seize dossiers de patients pre´sentant une CG de de´couverte re´cente, confirme´e au cours de l’hospitalisation. Il s’agissait de douze femmes et de quatre hommes, soit un sexratio (H/F) e´gal a` 0,33. La moyenne d’aˆge des patients e´tait de 41 ans avec des extreˆmes allant de 16 a` 68 ans, la me´diane se situait dans la tranche d’aˆge de 40 a` 50 ans. Tous les patients e´taient symptomatiques (tableau 1). Des signes ge´ne´raux e´taient pre´sents dans treize cas ; la fie`vre e´tait le symptoˆme le plus fre´quent (pre´sent chez onze patients). Une fie`vre au long cours e´tait re´ve´latrice de la CG dans quatre cas. L’atteinte cutane´e e´tait pre´sente dans sept cas, elle e´tait re´ve´latrice dans cinq cas. Le purpura vasculaire (figure 1) et les ne´croses cutane´es (figure 2) e´taient les deux types d’atteintes cutane´es les plus fre´quentes, observe´es chez respectivement six et quatre patients. Ces ne´croses cutane´es ont ne´cessite´, chez

Figure 1. Photo de le´sions de purpura vasculaire infiltre´es confluentes des membres infe´rieurs. Figure 1. Photo of infiltrated vascular purpura of the lower limbs.

l’une des patientes, une amputation. Il a e´galement e´te´ observe´ des le´sions e´rythe´mateuses (n = 3), des nodules (n = 3), des bulles (n = 2) et des ulce`res de jambes dans un cas. Cinq patients pre´sentaient un phe´nome`ne de Raynaud, et l’un d’entre eux un livedo. Des arthralgies ont e´te´ rapporte´es dans neuf cas, touchant pre´fe´rentiellement les chevilles, les genoux, les poignets, les articulations me´tacarpophalangiennes et interphalangiennes. L’association arthralgie-purpura-asthe´nie (triade de Meltzer) e´tait note´e dans un seul cas. Des arthrites ont e´te´ objective´es dans quatre cas. Des myalgies ont e´te´ note´es dans trois cas. Une atteinte re´nale e´tait mise en e´vidence chez onze patients. Six de ces patients pre´sentaient des œde`mes des membres infe´rieurs, sept avaient une prote´inurie supe´rieure a` 1 g/24 h et cinq avaient une he´maturie microscopique. Les complications re´nales comprenaient cinq cas de syndrome ne´phrotique, cinq cas d’insuffisance re´nale et huit cas

Tableau 1. Signes cliniques Table 1. Clinical signs Signes ge´ne´raux Manifestations cutane´es Signes vasomoteurs Signes articulaires Manifestations re´nales Manifestations neurologiques Manifestations abdominales Manifestations pleuropulmonaires Manifestations cardiaques Syndrome sec

81,2 % 43,7 % 37,5 % 62,5 % 68,7 % 25 % 37,5 % 56,2 % 31,2 % 18,7 %

Figure 2. Photo de le´sions de ne´crose cutane´e. Figure 2. Photo of cutaneous necrosis.

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d’hypertension arte´rielle. Parmi ces patients pre´sentant une atteinte re´nale, six e´taient atteints de lupus e´rythe´mateux syste´mique (LES). La ponction-biopsie re´nale, pratique´e dans huit cas, mettait en e´vidence une glome´rulone´phrite membranoprolife´rative type double contours dans trois cas et une ne´phropathie lupique dans quatre (classe V de l’OMS dans deux cas, classe II dans un cas et hyalinose segmentaire et focale pour un cas). L’histologie re´nale e´tait normale chez le dernier patient. Une atteinte neurologique e´tait pre´sente chez quatre de nos patients, a` type de polyneuropathie sensitivomotrice chez un patient et de mononeuropathie axonale sensitive des membres infe´rieurs asyme´trique chez un autre. Les deux autres patients, des femmes, pre´sentaient une atteinte du syste`me nerveux central. Il s’agissait de ce´phale´es, de syndrome quadripyramidal et d’he´mi-syndrome ce´re´belleux chez l’une des deux patientes, atteinte e´galement d’un LES. Chez l’autre patiente, il s’agissait d’un discret syndrome pyramidal et ce´re´belleux avec, a` l’IRM ce´re´brale, deux lacunes ische´miques d’allure se´quellaire du centre semi-ovale droit. Six patients pre´sentaient des manifestations abdominales a` type de douleurs abdominales (n = 4), d’he´patome´galie (n = 2), de sple´nome´galie (n = 1), d’ascite (n = 2) ou d’he´morragie digestive (n = 1). Dans notre se´rie, les manifestations pleuropulmonaires e´taient note´es chez neuf patients. Un e´panchement pleural e´tait note´ chez sept patients, dont cinq e´taient lupiques, les deux autres pre´sentant un syndrome ne´phrotique. Une dyspne´e e´tait rapporte´e dans cinq cas et une toux se`che dans deux. Un seul cas d’he´moptysie en rapport avec une he´morragie intra-alve´olaire confirme´e par un lavage bronchopulmonaire e´tait survenu, la fibroscopie bronchique avait re´ve´le´ un aspect inflammatoire diffus et la biopsie avait mis en e´vidence une infiltration lymphoı¨de suspecte du chorion bronchique. Des manifestations cardiaques e´taient retrouve´es chez cinq patients. Il s’agissait d’un e´panchement pe´ricardique dans cinq cas, d’une myocardite dans deux cas et d’une d’atteinte valvulaire a` type d’insuffisance mitrale mode´re´e dans un cas. Sur le plan biologique, la CG e´tait d’isotype immunoglobuline G (IgG=) dans sept cas. Une association IgG-IgM-IgA e´tait mise en e´vidence dans trois cas, IgG-IgM dans trois cas, IgM-IgA dans deux cas (tableau 2). Chez un de nos patients, le type de la CG n’e´tait pas pre´cise´. Trois patients avaient une vitesse de se´dimentation faussement abaisse´e. Les complexes immuns circulants, recherche´s chez huit patients, ont e´te´ mis en e´vidence chez cinq d’entre eux. Le dosage du comple´ment se´rique, re´alise´ chez quatorze patients, e´tait diminue´ chez douze d’entre eux. Les re´sultats mettaient en e´vidence une baisse du CH50 (n = 10), du C3 (n = 11), ou du C4 (n = 11). La

Tableau 2. Immunochimie des cryoglobulines Table 2. Immunochemistry of cryoglobulins Type de cryoglobuline´mie IgG IgG + IgM + IgA IgG + IgM IgM + IgA Non type´e

Nombre de cas 7 3 3 2 1

recherche de facteur rhumatoı¨de e´tait re´alise´e chez treize patients et e´tait positive dans six cas. Les anticorps antinucle´aires e´taient prescrits chez tous les patients, ils sont revenus positifs dans dix cas. La CG e´tait associe´e a` une autre pathologie chez quatorze patients. Dans les deux autres cas, la CG e´tait conside´re´e comme essentielle (tableau 3). Les maladies syste´miques e´taient les pathologies les plus fre´quentes dans notre se´rie : elles e´taient retrouve´es chez onze patients. Il s’agissait du LES pour neuf d’entre eux et du syndrome de Gougerot-Sjo¨gren pour les deux autres. Une seule vascularite (pe´riarte´rite noueuse) e´tait rapporte´e. Les maladies infectieuses associe´es aux CG e´taient, dans notre se´rie, essentiellement virales. Il s’agissait de trois cas d’infection par le virus de l’he´patite B (VHB), d’un cas d’infection par le VHC, d’un cas d’infection par le parvovirus B19 et d’un cas de tuberculose ganglionnaire. Le LES e´tait associe´ a` d’autres pathologies auto-immunes ou infectieuses chez trois patients. Il s’agissait dans un cas d’une cirrhose biliaire primitive conjointe a` un syndrome de Gougerot-Sjo¨gren, dans un autre d’une he´patite virale B et dans le dernier d’une tuberculose ganglionnaire. Un seul cas de syndrome lymphoprolife´ratif e´tait diagnostique´ dans cette se´rie, il s’agissait d’un syndrome de Gougerot-Sjo¨gren primitif avec transformation lymphomateuse maligne de bas grade. Sur le plan the´rapeutique, en pre´sence d’une CG secondaire, le traitement e´tait celui de la pathologie associe´e. Une corticothe´rapie e´tait indique´e chez quinze patients ; tous ont be´ne´ficie´ d’un traitement a` base de prednisone (Cortancyl1), avec une dose initiale moyenne de 1 mg/kg/j, les extreˆmes e´tant de 0,5 et 2 mg/kg/j. Cinq de nos patients ont rec¸u des bolus de me´thylprednisolone (Solu-Me´drol1). Un traitement immunosuppresseur e´tait indique´ dans cinq cas. Le cyclophosphamide (Endoxan1) e´tait prescrit chez quatre patients, sous forme de bolus mensuel chez trois d’entre eux et par voie orale a` la dose de 100 mg/j chez un seul patient. L’azathioprine (Imurel1) e´tait prescrite chez un patient. Des e´changes plasmatiques e´taient pratique´s chez trois patients, avec une moyenne de onze

Tableau 3. E´tiologies de cryoglobuline´mies Table 3. Causes of cryoglobulinemia Maladies associe´es Nombre de maladies associe´es Nature des maladies associe´es

Maladies syste´miques 11 LES (neuf cas) SGS (deux cas) CBP (un cas) Pe´riarte´rite noueuse (un cas)

Maladies infectieuses 6 He´patite virale C (un cas) He´patite virale B (trois cas) Parvovirus B19 (un cas) Tuberculose (un cas)

Aucune 2

LES : lupus e´rythe´mateux syste´mique, SGS : syndrome de Gougerot-Sjo¨gren, CBP : cirrhose biliaire primitive

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Cryoglobuline´mie

se´ances par malade, en association au traitement corticoı¨de et immunosuppresseur. L’e´volution apre`s traitement e´tait favorable chez cinq patients. Les complications observe´es e´taient une insuffisance re´nale chronique, dans cinq cas, des complications infectieuses, dans trois cas, et des ne´croses cutane´es e´tendues dans un cas. Un cas d’he´morragie digestive e´tait apparu. Les causes des sept de´ce`s survenus e´taient essentiellement l’insuffisance re´nale et les complications infectieuses.

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Discussion En Tunisie, pays a` climat me´diterrane´en, la CG est rare, et sa pre´valence est donc inconnue. L’aˆge et le sex-ratio des patients pre´sentant une CG sont variables selon les se´ries. Dans une e´tude multicentrique du nord de la Me´diterrane´e [4], l’aˆge moyen des patients e´tait de 53 ans et le sex-ratio F/H e´tait e´gal a` 2,2. Dans notre e´tude, ainsi que dans deux autres se´ries tunisiennes, les patients e´taient plus jeunes, et la pre´dominance fe´minine e´tait plus nette ; les moyennes d’aˆge e´taient respectivement de 41, 45 et 36 ans et le sex-ratio F/H e´tait respectivement e´gal a` 3, 4,5 et 3 [5, 6]. Cliniquement, la CG peut eˆtre totalement asymptomatique ou pre´senter une atteinte multivisce´rale mortelle, ou` tous les organes peuvent eˆtre atteints [7]. Certains re´sultats de la litte´rature rapportent des signes ge´ne´raux dans 36 % des cas ; dans notre se´rie, la fie`vre e´tait objective´e chez un patient sur trois [8]. Il y avait une atteinte cutane´e chez 43 % de nos patients, essentiellement a` type de purpura et de ne´croses cutane´es. La pre´valence des manifestations cutane´es semble plus importante dans la litte´rature [9]. Cela pourrait eˆtre explique´ par la forte pre´valence du purpura dans les CG essentielles, par rapport aux CG secondaires [4], notre se´rie e´tant essentiellement compose´e de CG secondaires. Le phe´nome`ne de Raynaud, objective´ chez moins d’un patient sur deux dans ce travail, mene´ dans un pays a` climat me´diterrane´en, est plus fre´quent dans d’autres se´ries [10], notamment en cas de CG monoclonale ou dans des se´ries mene´es dans des pays a` climat plutoˆt froid. Les atteintes articulaires e´taient fre´quentes chez nos patients, probablement en lien avec les nombreux cas de connectivites associe´s. L’atteinte re´nale, facteur pronostique majeur de morbimortalite´, e´tait observe´e dans onze cas dans notre se´rie, parmi lesquels six patients lupiques. La le´sion glome´rulaire la plus fre´quemment rapporte´e dans la litte´rature est une prolife´ration endocapillaire focale ou diffuse. Typiquement, il peut y avoir un thrombus intraluminal et un aspect en double contours. La ne´phropathie peut donner, dans 10 a` 15 % des cas, une glome´rulone´phrite rapidement progressive avec une insuffisance re´nale chronique et he´modialyse [11-13]. Chez nos patients, la ponction-biopsie re´nale avait note´ trois cas de glome´rulone´phrites membranoprolife´ratives type double contours, quatre cas de ne´phropathies lupiques et un cas avec une histologie re´nale microscopiquement normale. Une insuffisance re´nale chronique e´tait survenue chez cinq patients. Une atteinte du syste`me nerveux central, exceptionnelle dans la litte´rature, e´tait note´e dans deux cas dans cette se´rie. Cette atteinte pourrait eˆtre secondaire au lupus chez l’une de nos patientes. En cas de CG secondaires au VHC, une mononeuropathie mimant une pe´riarte´rite noueuse peut eˆtre note´e [7, 11, 12, 14, 15]. Ni l’e´lectromyographie ni la biopsie

neuromusculaire n’e´taient pratique´s syste´matiquement chez nos patients ; aussi l’atteinte neurologique pe´riphe´rique, note´e chez seulement deux de nos patients, est-elle probablement sous-estime´e. Les complications digestives associe´es aux CG peuvent eˆtre graves, se manifestant par des douleurs abdominales pseudo-chirurgicales ou des he´morragies digestives [1]. Les manifestations abdominales e´taient note´es dans six cas, dans notre se´rie, dont une he´morragie digestive. L’incidence des atteintes pulmonaire est diversement appre´cie´e dans la litte´rature [7, 10, 11]. Elles peuvent se manifester par une dyspne´e, une toux se`che, des e´panchements pleuraux ou des he´moptysies [1]. Dans notre se´rie, les manifestations pleuropulmonaires e´taient fre´quentes. Elles ont e´te´ rapporte´es chez neuf patients, mais l’imputabilite´ de la CG n’e´tait pas certaine, notamment en cas de pleure´sie survenant chez des patients lupiques. Si la vascularite cryoglobuline´mique peut toucher potentiellement tous les organes [12], l’atteinte cardiaque demeure rare. Dans notre se´rie, les manifestations cardiaques e´taient observe´es chez cinq patients mais, dans ces cas e´galement, la responsabilite´ de la CG ne peut eˆtre affirme´e. La pre´sence de cryoglobuline dans le se´rum peut donner des variations inattendues de la protide´mie ou des gammaglobulines et une vitesse de se´dimentation fluctuante d’un jour a` l’autre [16]. Trois de nos patients pre´sentaient une vitesse de se´dimentation faussement abaisse´e. Sur le plan immunologique, une hypocomple´mente´mie artefactuelle peut eˆtre note´e, secondaire a` la fixation des fractions Clq, C2 et C4 du comple´ment sur le cryopre´cipite´ [16]. De nombreux anticorps pre´sents dans le se´rum des patients peuvent disparaıˆtre en cas de CG, en raison de leur participation a` la formation de complexes immuns circulants [16]. De tels complexes ont e´te´ mis en e´vidence chez cinq de nos patients. La positivite´ du facteur rhumatoı¨de est l’un des crite`res diagnostiques de la CM. Recherche´ chez treize de nos patients, le facteur rhumatoı¨de e´tait positif chez six d’entre eux. L’orientation e´tiologique d’une CG est souvent guide´e par l’analyse immunochimique. Les CG de type I, constitue´es d’une immunoglobuline monoclonale unique, le plus souvent IgM, parfois IgG et rarement IgA, s’observent essentiellement au cours des syndromes lymphoprolife´ratifs [1, 8, 10]. Dans notre se´rie, un seul cas e´tait note´, il s’agissait d’un syndrome de Gougerot-Sjo¨gren primitif avec transformation lymphomateuse. Cette faible pre´valence des syndromes lymphoprolife´ratifs dans notre se´rie peut eˆtre due a` un biais de recrutement, expliquant a contrario la nette pre´dominance des pathologies syste´miques et auto-immunes. L’association de la CM et des maladies autoimmunes a e´te´ largement de´crite dans la litte´rature. Invernizzi rapporte la pre´sence d’une CG dans 27 % des cas de syndrome de Gougerot-Sjo¨gren, dans 26 % des cas de LES et dans 12,5 % des cas de scle´rodermies [17]. Dans notre se´rie, l’association avec une maladie syste´mique e´tait pre´sente chez onze patients, dont neuf atteints de LES. Les CM sont e´galement fre´quemment associe´es a` des maladies infectieuses, notamment virales. Au sein de notre se´rie, les maladies infectieuses e´taient au deuxie`me rang derrie`re les maladies syste´miques. Dans la litte´rature, la production d’une CG, anomalie biologique pure, peut eˆtre pre´sente chez 60 a` 90 % des patients infecte´s par le VHC [15]. Un de nos patients pre´sentait ce type d’infection. Nous avons e´galement mis en e´vidence une association rare de CM et d’infection au VHB, de meˆme qu’une observation originale,

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publie´e [18], d’une patiente pre´sentant une vascularite avec atteinte cutane´e grave secondaire a` une infection aigue¨ au parvovirus B19. Enfin le diagnostic de CG essentielle e´tait retenu pour deux de nos patients. Dans la litte´rature, l’enqueˆte e´tiologique peut rester ne´gative dans 11 a` 71 % des cas de CG [2, 4, 7, 8, 14]. Sur le plan the´rapeutique, la prise en charge de la pathologie sous-jacente en cas d’affection ne´oplasique, lymphoprolife´rative, infectieuse ou auto-immune permet d’obtenir une diminution du taux, voire une disparition de la CG. Le traitement des manifestations cliniques des CG fait appel, d’une part, au traitement symptomatique a` base d’antalgiques, d’anti-inflammatoires non ste´roı¨diens, de vasodilatateurs, d’antiagre´gants plaquettaires et d’anticoagulants, et, d’autre part, au traitement a` vise´e anti-inflammatoire et immunosuppressive via des corticoı¨des et des immunosuppresseurs. Dans notre se´rie, e´tant donne´ la pre´dominance des pathologies syste´miques, la prise en charge me´dicamenteuse e´tait a` base de corticothe´rapie et de traitement immunosuppresseur. Les e´changes plasmatiques, indique´s en pre´sence de signes de gravite´, ont e´te´ ne´cessaires chez trois patients. L’e´volution des CG est complexe et variable. Les CG de type I sont se´ve`res, d’une part du fait de la gravite´ des le´sions visce´rales et d’autre part du fait du pronostic de la pathologie he´matologique sous-jacente. Les CM de type II ou III ont une e´volution et un pronostic tre`s variables, en fonction de l’aˆge du patient, de sa pathologie associe´e et des manifestations syste´miques de la CG, notamment l’existence d’une atteinte re´nale. D’apre`s Cacoub et al. [1], les causes de de´ce`s sont essentiellement les accidents vasculaires, l’insuffisance cardiaque, les infections se´ve`res, l’insuffisance he´patocellulaire et la survenue d’un syndrome lymphoprolife´ratif. L’atteinte re´nale peut conditionner le pronostic : la probabilite´ de survie a` cinq ans e´tant de 90 % en l’absence d’atteinte re´nale, elle est abaisse´e a` 50 % en cas d’atteinte re´nale [12, 14]. Comparativement aux donne´es de la litte´rature, en de´pit du faible effectif de notre se´rie, l’e´volution chez nos patients e´tait e´galement de´pendante de la survenue de complications infectieuses ou d’une atteinte re´nale.

Conclusion Les CG sont peu fre´quentes car souvent sous-diagnostique´es. La de´couverte d’une CG impose la recherche d’une pathologie sous-jacente, notamment une infection chronique, une pathologie auto-immune ou un syndrome lymphoprolife´ratif latent. Dans notre se´rie, il y avait une pre´dominance des maladies syste´miques. L’infection par le VHC e´tait rare. Des maladies infectieuses exceptionnellement associe´es aux CG ont e´te´ rapporte´es, telles qu’une infection au VHB ou au parvovirus B19. Une surveillance re´gulie`re des patients pre´sentant une CG, meˆme asymptomatique, est ne´cessaire afin de de´couvrir pre´cocement des complications potentiellement graves, en

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particulier re´nales et neurologiques. Malgre´ le caracte`re re´trospectif de cette e´tude et le faible effectif de cette se´rie, ce travail a le me´rite de pre´senter, d’une part, les diffe´rentes manifestations cliniques et biologiques des CG, et, d’autre part, les caracte´ristiques des CG associe´es aux maladies auto-immunes, notamment la difficulte´ d’e´tablir une relation de causalite´ entre la CG et les manifestations cliniques observe´es. Notre travail demande a` eˆtre poursuivi par une e´tude prospective et multicentrique afin de mieux e´tudier la pre´sentation clinicobiologique, les e´tiologies et l’e´volution des CG dans un pays nord-africain. Conflits d’inte´reˆt : aucun.

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Me´decine et Sante´ Tropicales, Vol. 25, N8 4 - octobre-novembre-de´cembre 2015

[Cryoglobulinemia in a Tunisian internal medicine department].

Cryoglobulinemia is characterized by multiple organ involvement, mainly including the skin, liver, kidneys, and peripheral nerves. Our aim was to inve...
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