PHARMACOLOGIE

Thérapie 2015 Septembre-Octobre; 70 (5): 455–464 DOI: 10.2515/therapie/2015031

SOCIALE

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Trafic de faux médicaments : panorama 2014 Corine Taverriti-Fortier1, Elise Pape1, Julien Scala-Bertola1,2,3, Philippe Tréchot2, Philippe Maincent4, Valérie Gibaja5 et Nicolas Gambier1,2,3 1 CHU Nancy, Laboratoire de Pharmacologie Clinique et Toxicologie, Nancy, France 2 CHU Nancy, Centre Régional de Pharmacovigilance de Lorraine, Nancy, France 3 Université de Lorraine, UMR CNRS 7365 IMoPA, Vandoeuvre-lès-Nancy, France 4 Université de Lorraine, EA 3452 CITHEFOR, Nancy, France 5 CHU Nancy, Centre d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance–Addictovigilance, Nancy, France Texte reçu le 4 décembre 2014 ; accepté le 18 mars 2015

Mots clés : contrefaçon ; malfaçon ; faux-médicament ; trafic ; crime pharmaceutique

Keywords: counterfeit drugs; defective drugs; falsified drugs; trafficking; pharmaceutical crime

Résumé – Si le trafic de faux médicaments peut représenter une menace économique pour les industries pharmaceutiques, il met en jeu la sécurité des utilisateurs du médicament pouvant conduire à de graves conséquences sanitaires. Cependant, d’un point de vue légal, le faux médicament ne constitue qu’un délit très peu sanctionné ne portant que sur les droits de propriété intellectuelle. Estimé à plus de 55 milliards d’euros par an, l’ampleur du trafic de faux médicament varie d’un pays à l’autre. Il peut représenter jusqu’à 60 % des médicaments dans certains pays en voie de développement contre 1 % dans les pays industrialisés dotés d’un circuit de distribution réglementé et contrôlé. Actuellement, les mesures de lutte contre le trafic de produits pharmaceutiques se répartissent selon cinq axes : législation/réglementation, collaboration, répression, technologie et communication. Sensibiliser les professionnels de santé et le grand public aux risques de l’utilisation des médicaments achetés hors du circuit réglementé reste la première arme de prévention. Abstract – Counterfeit and Falsified Drugs: an Overview. If the traffic of fake medicines may represent an economic threat for the pharmaceutical industry, it can also be responsible of safety concerns for patients. Despite fake drugs represent a real threat for public health, the intended punishments are until now only based on intellectual property rights. Estimated to generate more than 55 billion euros per year, the traffic of falsified drugs varies from a country to another one. Indeed, the proportion of falsified drugs ranges from 1% in industrialized countries with a regulated and controlled distribution system to 60% of medicines in some developing countries. Currently, the measures developed to limit this traffic concern five main areas: legislation / regulation, cooperation, enforcement, technology and communication. Communication actions should be performed to inform health professionals as the populations about the risks of using drugs purchased outside the legal drug market.

Abréviations : voir en fin d’article.

1. Introduction Durant la décennie 1990-2000, la contrefaçon/falsification des médicaments était évoquée par les différents professionnels de santé comme un évènement en possible devenir. En 2014, force est de constater qu’il s’agit d’une réalité. Si le médicament est un produit de consommation fortement règlementé, il est aussi un bien industriel qui nécessite au niveau de sa recherche et de son développement une mise de fonds importante. Aujourd’hui, cette démarche n’est envisageable qu’à travers de grands groupes chimiques et/ou pharmaceutiques. Les risques pris par ces entreprises doivent donc, pour en assurer la pérennité, dégager des bénéfices financiers conséquents pour « un retour sur investissements » mais aussi afin

qu’elles puissent poursuivre leurs activités. Si les textes réglementaires de lutte contre la contrefaçon des médicaments étaient initialement axés sur la protection des entreprises du médicament et de leurs produits industriels, ils ont au cours de ces dernières années, peu à peu évolué pour intégrer également la notion de dangerosité à l’encontre des patients.

2. Les chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques On entend par chaîne pharmaceutique les différentes étapes nécessaires pour la fabrication, la réglementation, la gestion et la

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consommation des produits pharmaceutiques. Durant ces vingt dernières années, la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique s’est énormément complexifiée : l’arrivée de produits innovants mais aussi de confort, la mondialisation du marché du médicament, ainsi que les changements démographiques augmentent considérablement les volumes de médicaments en circulation. Les chaînes pharmaceutiques sont dites alors étendues (c’est-à-dire qu’il s’agit de chaînes reliant l’entreprise à ses fournisseurs et aux fournisseurs de ses fournisseurs, ainsi qu’à ses clients et aux clients de ses clients) avec pour conséquence une augmentation du nombre de partenaires. Les produits finis et emballés sont ensuite distribués aux grossistes primaires qui les stockent, les ré-emballent parfois et les réexpédient aux grossistes secondaires ou aux distributeurs. Les produits sont ensuite normalement acheminés vers les points de dispensation (ou détaillants) : pharmacies et/ou hôpitaux avant d’être délivrés aux patients, dernier maillon de la chaîne d’approvisionnement. Les chaînes pharmaceutiques devenant de plus en plus étendues et impliquant de plus en plus de partenaires commerciaux, les occasions de s’écarter de l’éthique se multiplient d’autant et les risques de contrefaçon deviennent alors importants.

3. Définitions 3.1. La contrefaçon L’Institut National de la Propriété Intellectuelle définit la contrefaçon comme « la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire ».[1] C’est une violation d’un droit de propriété intellectuelle, au travers de laquelle il y a toujours intention délibérée de tromper le consommateur. Concrètement, en cas d’imitation d’un objet, la contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non selon les différences : elle consiste à reprendre une ou plusieurs caractéristiques emblématiques d’un modèle original pour créer l’illusion de la réalité et tromper un acheteur non averti. Le but du contrefacteur est donc de s’approprier la notoriété d’autrui et de bénéficier du fruit de ses investissements. Cependant, dans le cas du médicament, ce sont bel et bien les différences entre le médicament original et le produit contrefaisant qui sont à l’origine des risques pour la santé. Cette particularité de la contrefaçon du médicament ne doit pas être négligée au détriment des droits de propriété intellectuelle et c’est pour cela que plusieurs définitions de la contrefaçon du médicament ont été proposées. 3.1.1. Première définition selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)

La contrefaçon de médicaments possède sa propre définition donnée par l’OMS en 1992 :[2] « Un médicament contrefait est un médicament qui est délibérément et frauduleusement muni d’une étiquette n’indiquant pas

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son identité et/ou sa source véritable. Il peut s’agir d’une spécialité ou d’un produit générique, et parmi les produits contrefaits, il en est qui contiennent les bons ingrédients ou de mauvais ingrédients ou bien encore pas de principe actif et il en est d’autre où le principe actif est en quantité insuffisante ou dont le conditionnement a été falsifié. » Avec l’expérience acquise, trois aspects de la contrefaçon ne sont pas couverts par cette définition : – la contrefaçon concerne tous les produits de santé et pas seulement les médicaments ; – la quantité de principe actif peut être supérieure à la quantité déclarée ; – il existe des cas où un fabricant homologué a dissimulé des lots ne répondant pas aux normes à l’aide de documents de fabrication falsifiés. 3.1.2. Définition du groupe International Medicines Products Anti Counterfeiting Task force (IMPACT)

En 2008, le groupe IMPACT, dépendant de l’OMS, a proposé une définition élargie aux produits de santé contrefaits lors de sa réunion annuelle.[3] Ainsi, outre les médicaments, la notion de produit de santé comprend l’ensemble des « produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et des produits à finalité cosmétique » tels que : les matières premières à usage pharmaceutique, les dispositifs médicaux et les dispositifs de diagnostic in vitro, les produits biologiques et issus des biotechnologies (produits sanguins labiles, organes, tissus, cellules et produits d’origine humaine ou animale, produits de thérapies génique et cellulaire, produits thérapeutiques annexes) ou encore les produits cosmétiques. 3.1.3. Définition du Conseil de l’Europe

La Convention Médicrime du Conseil de l’Europe définit finalement le « produit médical contrefait » comme :[4] « Un produit qui est présenté d’une manière trompeuse, par exemple au niveau de son étiquette ou de son emballage, avec des indications mensongères et frauduleuses quant à son identité, et/ou sa source ». 3.1.4. Définition par type de l’OMS

En 2012, l’OMS a défini trois types de contrefaçon :[5] – les contrefaçons de brevets : ce sont des produits fabriqués par des laboratoires, souvent de pays en voie de développement, dont la population n’a pas accès aux traitements produits par les grandes firmes. Ces produits présentent quasiment tous un niveau de fiabilité acceptable et la présence de principes actifs ; – les malfaçons : ce sont des médicaments fabriqués également en violation des droits de propriété intellectuelle, mais qui présentent un niveau de fiabilité et de sécurité faible ou

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Trafic de faux médicaments

inexistant : le principe actif est mal dosé, les excipients sont souillés, ou ne sont pas les bons ; – les contrefaçons totales : ce sont des médicaments qui ont pour objectif de tromper l’acheteur. Ils ne contiennent aucun principe actif, on y trouve de la farine, de l’eau et/ou des substances plus ou moins toxiques. Les emballages, en imitant les vrais, sont destinés à tromper. Dans cette catégorie, on trouve les médicaments très demandés et connus du grand public, et des produits de médecine dits « de confort », comme des produits de blanchiment de la peau, des produits dopants, des vitamines, des coupe-faims et des produits énergisants par exemple. 3.2. La falsification Pour s’affranchir de la notion de propriété intellectuelle, le Conseil de l’Europe publie en 2011 la Directive Européenne 2011/62/EU donnant une première définition du médicament falsifié :[6] « Un médicament falsifié désigne tout médicament comportant une fausse présentation de : – son identité, y compris de son emballage et de son étiquetage, de sa dénomination ou de sa composition s’agissant de n’importe lequel de ses composants, y compris les excipients, et du dosage de ces composants ; – sa source, y compris de son fabricant, de son pays de fabrication, de son pays d’origine ou du titulaire de son autorisation de mise sur le marché ; ou – son historique, y compris des enregistrements et des documents relatifs aux circuits de distribution utilisés. La présente définition n’inclut pas les défauts de qualité non intentionnels et s’entend sans préjudice des violations des droits de propriété intellectuelle ». À noter que le terme « falsification » d’un médicament remplace peu à peu celui de « contrefaçon » et ce pour mettre en évidence les dangers sanitaires du faux médicament. Lui donner une définition légale permettra une législation plus adaptée au problème du trafic de médicament. 3.3. Notion de criminalité pharmaceutique Le terme de criminalité pharmaceutique prend principalement en compte le caractère illégal du détournement du monopole pharmaceutique et les risques pour la santé publique du trafic de médicaments. Elle possède également l’avantage de sensibiliser plus facilement les patients comme les professionnels de santé. Si ce terme est de plus en plus utilisé par la communauté scientifique, il reste cependant à lui donner une valeur juridique internationale, notamment au niveau du droit pénal, afin de faciliter la lutte contre le trafic du médicament. Au niveau de l’OMS, la terminologie « des produits de qualité douteuse » a donné lieu à beaucoup de

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discussions et à la tentative d’obtenir un consensus sur le mot « falsifié ». Finalement, la terminologie retenue lors de la 63è Assemblée Générale tenue en mai 2010 a retenue la terminologie de substandard, spurious, falselly-labelled, falsified, counterfeit (SSFFC) medical products dont la traduction française est produits médicaux de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/ contrefaits.[5]

4. Contexte juridique en France En France, où la lutte contre les médicaments contrefaisants est une priorité, la commercialisation de produits de santé illicites constitue une infraction à différentes règlementations : le code de la propriété intellectuelle, le code de la consommation, le code des douanes et le code de la santé publique. Ainsi, la lutte contre la contrefaçon repose sur une coopération de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), des douanes et de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). Cependant, il est important de rappeler que dans la lutte contre le trafic de médicament, les notions de propriété intellectuelle et de contrefaçon restent toutefois primordiales. En effet, lors du transit de marchandises, seule la suspicion de contrefaçon permet l’immobilisation des marchandises (la qualité n’entrant pas en compte) et permet aux douaniers d’intercepter les médicaments contrefaisants. Les infractions constatées lors de contrôles douaniers peuvent revêtir différents aspects énoncés dans les articles du code de la propriété intellectuelle (CPI) :[7] – l’article L 716.9 a) interdit l’importation, l’exportation, la réexportation et le transbordement dans un but commercial de marchandises présentées sous une marque contrefaisante ; – l’article L 716.10 interdit l’importation et l’exportation par toute personne de marchandises présentées sous une marque contrefaisante ; – l’article L 613-3 interdit l’importation du produit objet du brevet ou du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet sans le consentement du propriétaire du brevet ; – l’article L 513-4 interdit l’importation et l’exportation des contrefaçons de dessins ou modèles ; – les articles L 335-2 et L 335-4 interdisent l’importation et l’exportation d’ouvrages contrefaisant le droit d’auteur ou les droits voisins. Au sens de l’article 414 du code des douanes, la contrefaçon est un délit douanier dont les sanctions prévues incluent : – la confiscation des marchandises de fraude, des moyens de transport et des objets et marchandises ayant servi à dissimuler la fraude ; – une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l’objet de la fraude. Lorsque les faits sont commis en bande organisée, la peine d’amende peut être portée jusqu’à cinq fois la valeur de l’objet de fraude ;

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Tableau I. Exemples de substandard, spurious, falselly-labelled, falsified, counterfeit (SSFFC).[5,8] Avec l'aimable autorisation de Carla Abou Mrad, World Health Organization (WHO Press).

Médicaments contrefaits ®

Cancer

Avastin

Viagra®,

Indication

Cialis®

Truvada®

, Viread

®

Pays/Année

Nature de la contrefaçon et conséquence

USA, 2012

Absence de principe actif

Troubles de l’érection Royaume-Uni, 2012

Présence de principes actifs non déclarés

Sida

Royaume-Uni, 2011

Emballage falsifié

Zidolam-N®

Sida

Kenya, 2011

Lot falsifié : 3 000 patients touchés

Alli®

Obésité

USA, 2010

Présence de principes actifs non déclarés

Glibenclamide

Diabète

Chine, 2009

Lot surdosé en principe actif (6x) : 2 morts, 9 hospitalisations, 11 000 flacons récupérés

Metakelfin®

Paludisme

Tanzanie, 2009

Lot sous dosé en principe actif

Médicaments traitant les troubles de l’érection

Troubles de l’érection Singapour, 2008

Présence de glibenclamine : 4 morts, 150 hospitalisations

Viagra®, Cialis®

Troubles de l’érection Thaïlande, 2008

Contrebande

Xenical®

Obésité

USA, 2007

Absence de principe actif

Alprazolam

Anxiété

Canada, 2007

Présence de fortes quantités d’albumine, d’arsenic, et d’autres métaux

Zyprexa®

Schizophrénie

Royaume-Uni, 2007

Lot sous dosé en principe actif

Lipitor®

Hypercholestérolémie Royaume-Uni, 2006

Détecté dans la chaîne d’approvisionnement légale : dosage insuffisant en principe actif

Artesunate

Paludisme

Cambodge, 1999

Artesunate remplacé par sulphadoxine-pyriméthamine : au moins 30 morts

Paracétamol, sirop forme pédiatrique

Toux

Haïti, 1995 Inde, 1998

Contenait du diethylène glycol : 89 enfants décédés Contenait du diethylène glycol : 30 morts

Vaccin anti-méningococcique

Méningite

Niger, 1995

Cadeau « diplomatique » de 88 000 doses ne contenant que de l’eau non stérile : 2 500 morts

– un emprisonnement maximum de 5 ans. Lorsque les faits sont commis en bande organisée, la peine d’emprisonnement maximum est portée à dix ans. Malgré le renforcement des peines encourues et la possibilité de cumul des sanctions douanières avec les sanctions pénales de droit commun prévues par le code de la propriété intellectuelle, il est néanmoins important de souligner que les sanctions infligées à l’auteur de la contrefaçon restent négligeables en comparaison aux risques et aux peines encourues pour d’autres crimes organisés. Parmi les peines supplémentaires prises en compte par la justice, l’« exercice illégal de la médecine », la « mise en danger d’autrui » ou les « trafics organisés » peuvent être cités. En tout état de cause, la communauté scientifique estime qu’une lutte efficace contre le trafic de médicaments non conformes ne peut être possible que par la mise en place d’une réglementation spécifique et reconnue au niveau international afin de faciliter les démarches au sein de chaque pays et entre les pays.

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5. Exemples de SSFFC 5.1. Principaux cas répertoriés par l’OMS Si Viagra® (sildénafil) et Cialis® (tadalafil) représentent les cas les plus régulièrement cités, de nombreux autres médicaments tels que les antipaludéens sont concernés par ce phénomène. Quelques exemples issus de la base de données de l’OMS[5,8] sont présentés dans le tableau I. 5.2. Cas des héparines Baxter Le 7 janvier 2008, le Département de la Santé du Missouri alertait les autorités américaines de l’existence de réactions de type allergique survenues à partir du 19 novembre 2007 dans un hôpital pédiatrique. La société pharmaceutique Baxter Healthcare Corporation

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Trafic de faux médicaments

décidait alors de rappeler neuf lots d’héparine. Le 11 février 2008, Baxter annonçait l’arrêt de sa production d’héparine et la Food and Drug Administration (FDA) lançait alors un avis sanitaire public sur l’existence d’effets indésirables graves chez des patients ayant reçu de fortes doses d’héparine sodique à partir de flacons multidoses. Le 25 mars 2008, des lots d’héparine et de matières premières (de plusieurs laboratoires différents) nécessaires à leur fabrication étaient rappelés en France, en Italie et au Danemark par l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) car suspectés d’être également contaminés.[9] Le scandale sanitaire devint alors mondial. Il est important de souligner que les lots d’héparine incriminés remplissaient toutes les exigences de la pharmacopée américaine comme européenne et qu’ils avaient été validés par le service contrôle qualité de l’entreprise. Aussi, après investigation par des méthodes plus sophistiquées (résonance magnétique nucléaire [RMN]), la FDA annonçait le 29 mars 2008 que le contaminant de l’héparine Baxter avait été identifié comme étant de la chondroïtine hypersulfatée dont l’utilisation est interdite chez l’homme. Cette chondroïtine, d’origine non naturelle et obtenue chimiquement par hypersulfatation de la chondroïtine sulfate, était retrouvée entre 5 à 20 % dans les différents lots d’héparine incriminés. Par augmentation du nombre de groupements sulfate, l’hypersulfatation confère à la chondroïtine sulfate des séquences pentasaccharidiques sulfatées, structurellement analogues à celles des héparines et responsables de l’activité antithrombotique. Cette analogie structurelle rend par ailleurs cette chondroïtine très difficile à différencier de l’héparine. La chondroïtine sulfate hypersulfatée imite ainsi les propriétés antithrombotiques des héparines mais avec un coût de production demeure 20 fois moindre que ces dernières. L’enquête réalisée à la suite de ces incidents montrera une contamination délibérée des lots d’héparine par les fournisseurs de Baxter. Les héparines commercialisées par Baxter HealthCare Corporation avaient été achetées auprès de la société Scientific Protein Laboratories (SPL), un intermédiaire basé dans le Wisconsin. La société SPL s’approvisionnait quant à elle en héparines semi-purifiées auprès de sa filiale chinoise, Changzhou SPL (Nord-Ouest de Shangaï) dont ses héparines brutes obtenues auprès de deux grossistes étaient collectées auprès d’une vingtaine de petits ateliers non contrôlés. La contamination introduite au niveau des petits ateliers et/ou au niveau des grossistes n’a pas été détectée par la société SPL dont la traçabilité de ses approvisionnements n’était pas correctement établie. Par ailleurs, il est important de noter que la société Changzhou SPL n’avait subi aucun contrôle des autorités sanitaires chinoises puisque enregistrée en Chine comme « producteur d’ingrédients chimiques » et non comme « industrie pharmaceutique ». Enfin, la FDA reconnaissait publiquement avoir violé son propre règlement de police sanitaire en omettant d’inspecter et ce, dès 2004, Changzhou SPL avant que cette société ne commence à vendre de l’héparine à Baxter. Il est à rappeler que la Chine produit plus de la moitié de l’héparine mondiale et que près de 70 % de l’héparine chinoise est fabriquée par de petits ateliers non contrôlés par les autorités sanitaires.

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En 2008, la FDA recensait 81 décès et plus de 600 cas d’effets indésirables de type allergique en relation vraisemblable avec ce médicament contrefaisant.[10] En 2011, Baxter perdait le premier procès et était condamné à payer 625 000 $ de dommages et intérêts à la famille d’une des victimes alors que les autorités chinoises n’avaient toujours pas reconnu officiellement la responsabilité de leur fabriquant. Cet exemple montre les grands points faibles du circuit du médicament : sa mondialisation, la multiplication des intermédiaires et l’absence de consensus international (en l’occurrence sur le statut des ingrédients pharmaceutiques actifs/principes actifs) mais aussi les limites de la lutte contre la falsification des médicaments. Dans ce cas, a priori unique à ce jour, la falsification est quasiment parfaite : ce faux médicament non contrefaisant a bénéficié de tous les justificatifs demandés, d’emballages authentiques et d’un contrôle qualité validé par le détenteur du brevet lui-même.

6. Principaux facteurs favorisant la contrefaçon du médicament Les facteurs responsables du trafic de faux médicaments sont nombreux et varient d’un pays à l’autre. 6.1. La corruption C’est un des facteurs premiers du trafic. Elle est favorisée par une mauvaise gouvernance et/ou une faiblesse des institutions qui vont permettre aux trafiquants d’accéder à tous les niveaux de la chaîne de distribution. La corruption s’exerce également par détournement de l’argent des programmes nationaux ou internationaux, ou des médicaments eux-mêmes. Après avoir été volés dans les centres de soins et remplacés par des médicaments contrefaisants, les « vrais » médicaments sont alors revendus sur le marché parallèle. Selon l’OMS, jusqu’à 25 % des 50 milliards de dollars annuels destinés à l’achat de médicaments sont perdus suite à des actes frauduleux ou de malversations diverses.[11] 6.2. La faiblesse ou l’absence de systèmes juridiques Pour les aider à combattre les faux médicaments, les pays ont besoin d’une législation adaptée. Une enquête réalisée par l’OMS auprès de 60 pays montre que 30 % de ces pays n’ont pas de définition légale de la contrefaçon du médicament.[12] Il faut ajouter à cela, à l’heure actuelle, que la quasi-totalité de la lutte repose sur des dispositifs législatifs nationaux alors que l’organisation d’une lutte efficace contre ce fléau mondial devrait se faire de façon internationale et concertée impliquant le plus grand nombre d’acteurs possible (douaniers, industriels, pharmaciens, médecins, gouvernements, agences, organisations...). Enfin en terme de sanctions, le trafic de

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faux médicaments est très peu sanctionné au regard des risques élevés pour la santé publique. Pour les systèmes juridiques de la plupart des pays, la falsification du médicament est considérée comme un crime mais au même titre que la contrefaçon des produits de luxe. En France, pays considéré comme très sévère en matière de contrefaçon, la fabrication comme la distribution, la publicité, la vente, l’importation, l’exportation de médicaments falsifiés (ou tentative de) sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Ces peines peuvent être portées à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes (médicament falsifié dangereux pour la santé humaine, délits commis par des professionnels autorisés ou commis en bande organisée, …).[13] En comparaison, le trafic de stupéfiants est puni de peines pouvant aller jusqu’à trente ans de réclusion criminelle et 7 500 000 euros d’amende, voire la réclusion criminelle à perpétuité pour les têtes de réseau.[14] Ces différences de peines expliquent l’engouement des réseaux criminels pour le marché de la contrefaçon des médicaments leur permettant de blanchir assez facilement de l’argent avec un risque de sanctions nettement plus faibles. 6.3. Un trafic extrêmement lucratif associé au perfectionnement de la fabrication clandestine Reproduire l’apparence d’un médicament reste relativement facile avec l’apparition de matériels de fabrication et de conditionnement de plus en plus perfectionnés. Ce trafic serait en moyenne 10 à 25 fois plus rentable que le trafic de drogue.[15] En 2009, un comprimé de faux Viagra® coûtait 0,05 dollar à fabriquer et le bénéfice variait de 60 à 200 fois plus, selon qu’il était vendu via Internet (3 dollars) ou sur le marché officiel (10 dollars).[16] 6.4. Le coût du médicament et l’accès insuffisant des populations aux services de santé et à des voies d’approvisionnement pharmaceutique fiables Lorsque le prix des médicaments est élevé et que des différences de prix entre des produits identiques existent, le consommateur a d’avantage tendance à préférer la solution la moins onéreuse et à chercher à s’approvisionner en dehors du système normal. La pauvreté est ainsi l’un des principaux déterminants de la production et de la consommation de produits de qualité inférieure.[17] 6.5. Une traçabilité et une authentification des médicaments insuffisantes avec une inefficacité du contrôle de la fabrication à la distribution Dans une chaîne pharmaceutique étendue, les portes d’entrée pour un faux médicament sont nombreuses. Malgré les sommes investies par les laboratoires pour garantir l’inviolabilité de leur

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conditionnement, les trafiquants sont capables d’imiter les dispositifs d’identification et de traçabilité mis en place par les industriels ou de fournir certains médicaments avant leur sortie officielle. 6.6. L’achat de médicaments en ligne et le manque d’information des populations En matière de santé, Internet est devenu une source exceptionnelle d’informations plus ou moins fiables. Une enquête de l’European Association of Mail Services Pharmacies a montré, en 2012, que plus de 2 millions de patients européens s’adressaient chaque jour, pour un conseil ou un achat, à un site de vente de médicaments.[18] Pour les patients, les principaux avantages de la vente en ligne seraient : un accès plus large aux médicaments sans contraintes horaires ou géographiques, une réduction des dépenses liées aux médicaments non remboursés, un accès sans prescription à des médicaments listés ou à des médicaments non encore autorisés dans leur pays et enfin, l’anonymat. L’achat des médicaments sur Internet reste cependant un acte très risqué. Les études menées respectivement en 2008 et 2011 par l’Alliance Européenne pour l’Accès à des Médicaments Sûrs (EAASM) et par la National Association of Boards of Pharmacy (NABP) ont montré que près de 96 % des pharmacies en ligne seraient parfaitement illégales.[18] Enfin, une attention toute particulière est également à accorder au phénomène de « cybersquatting » qui consiste en l’usurpation d’une adresse web d’un site licite de vente de médicaments par un site illicite.

7. Circuit des médicaments contrefaisants Depuis dix à quinze ans, la contrefaçon comme la production de faux médicaments sont devenues de véritables industries à l’échelle internationale. La « complexité » du circuit des médicaments contrefaisants est pour partie identique à celui d’autres produits illégaux (stupéfiants, armes de guerre,…) et a pour but de dissimuler le pays d’origine de la contrefaçon : c’est la technique dite de rupture de charge. Cette méthode consiste à faire transiter le médicament contrefaisant par de nombreux pays différents avant qu’il ne puisse atteindre sa destination finale. Afin de brouiller davantage les pistes, les éléments constitutifs du médicament (comprimés, conditionnements, notices…) sont de plus en plus envoyés de façon séparée. S’il existe des installations de production en Europe, la quasitotalité des médicaments contrefaisants, produits en quantité industrielle, sont produits en Asie du Sud-Est, Chine, Inde, Pakistan, Niger, Russie, Mexique, Brésil et Amérique Latine.[9,19] La Chine, rapidement devenue l’atelier du monde, est le premier producteur de produits contrefaits et, selon les statistiques de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD), environ les deux tiers des contrefaçons (dont les contrefaçons de médicaments) détectées dans

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Trafic de faux médicaments

le monde entre 1999 et 2008 provenaient de Chine.[20] Ces chiffres sont confirmés par le Pharmaceutical Security Institute pour qui plus de 70 % des médicaments contrefaisants viennent de Chine et d’Inde.[21] En ce qui concerne le circuit des contrefaçons, certains pays sont devenus de véritables plaques tournantes. Ainsi, le port d’Anvers en Belgique, l’aéroport Schiphol et le port d’Amsterdam aux Pays-Bas, l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle en France, les ports de Dubaï, de Hong-Kong et plusieurs ports des États-Unis sont devenus des destinations prisées pour les marchandises contrefaites. Les réseaux de distribution utilisent de préférence des voies où les contrôles sont faibles - îles Bahamas, Moyen-Orient ou Amérique Centrale par exemple - pour ensuite expédier les marchandises à travers l’Europe, le Canada, les États-Unis et l’Afrique. Les zones traditionnelles d’exportation et de transit sont le Moyen-Orient (les Émirats Arabes Unis représentent 12 % des articles saisis dans l’Union Européenne en 2008), le bassin méditerranéen (Turquie et Algérie notamment) et l’Europe du sud, auxquels se sont ajoutés ces dernières années des pays d’Europe centrale et orientale (Russie et Ukraine notamment). Enfin, selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les produits contrefaisants sont vendus à partir de trois types de réseau : le marché légal d’approvisionnement, le marché noir et le marché virtuel via Internet.

8. Classes thérapeutiques concernées 8.1. Pays en développement Dans les pays en développement, les plus concernés par le phénomène de contrefaçon, le trafic se concentre sur des médicaments essentiels utilisés dans le traitement des affections potentiellement mortelles. Les classes thérapeutiques concernées comprennent les antibiotiques, les antipaludéens, les antituberculeux, les traitements du sida ou les antalgiques. Ces faux médicaments sont généralement de mauvaise qualité, avec des conséquences dramatiques pour la santé publique et touchent le plus souvent de nombreux malades avant d’être découverts. Si l’OMS estime qu’en moyenne plus de 30 % des médicaments en vente dans les pays en développement sont faux,[8] le taux de médicaments contrefaits pourrait se situer au-delà de 60 % dans certains pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine. La situation, la plus critique, reste celle du continent africain. La plupart des pays de ce continent, n’ayant pas les moyens d’enquêter ou même de signaler les cas rapportés, les principales sources de données sont des enquêtes ponctuelles réalisées par l’OMS ou différentes associations de malades. En avril 2013, l’Organisation Mondiale des Douanes organisait l’opération BIYELA avec la participation de 23 pays africains. Cette opération de 10 jours a permis la saisie de 550 millions de faux médicaments potentiellement dangereux. La valeur totale de la saisie était

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estimée à plus de 275 millions de dollars américains.[22] L’Asie n’est pas épargnée par ce trafic car elle est à la fois zone productrice de faux médicaments et zone de consommation. En 2009, 20 millions de comprimés, flacons et sachets de médicaments contrefaits et illégaux ont été saisis au cours d’une opération de cinq mois coordonnée par l’Organisation Internationale de Police Criminelle à travers la Chine et sept pays d’Asie du sud-est ; 33 personnes ont été arrêtées et 100 points de vente fermés.[23] 8.2. Pays industrialisés D’une manière générale, les faux médicaments destinés aux pays industrialisés sont en apparence de très bonne qualité. En effet, alors qu’il est quasiment impossible de détecter visuellement le vrai médicament du faux médicament, les conditions de fabrication, le contrôle qualité et les conditions de stockage ne sont absolument pas garantis permettant ainsi de diminuer les coûts de production et d’augmenter la rentabilité de ces produits. La Fédération Internationale de l’Industrie du Médicament (IFPMA) estime que la contrefaçon d’un « blockbuster » (médicament générant un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars pour un laboratoire) peut générer un bénéfice de l’ordre de 500 000 dollars pour un investissement initial de 1 000 dollars.[24] D’une manière générale dans les pays développés, les contrefacteurs ont une prédilection pour : – les spécialités dont le prix de vente est élevé et dont les contrefaçons ne contenant aucun principe actif permettent des bénéfices très importants ; – les médicaments non remboursés ou ceux dits « de confort » comme les médicaments contre le dysfonctionnement érectile ; – les médicaments détournés de leur indications initiales (érythropoïétine [EPO], stéroïdes anabolisants…) ; – les médicaments n’ayant pas reçu d’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans un pays mais commercialisés dans d’autres ; – les médicaments du « moment ». Parmi les exemples les plus marquants, nous pouvons citer les gélules contrefaisantes de Tamiflu® (oséltamivir phosphate [2009]) ne contenant que du lactose et de la vitamine C ou les gélules contrefaisantes d’Alli® (orlistat) en vente avant même leur sortie officielle. Aux États-Unis, le trafic de l’hypocholestérolémiant Lipitor® (atorvastatine) commercialisé par le laboratoire Pfizer est particulièrement révélateur des facteurs favorisant le trafic de faux médicament sur ce territoire. Il s’agit du médicament le plus vendu dans le monde et depuis sa commercialisation, il a rapporté plus de 130 milliards de dollars US, toutes spécialités confondues.[25] Il est à noter qu’aux États-Unis, ce médicament n’est pas remboursé ce qui incite les patients à l’acheter sur Internet et ce malgré les risques encourus. Le phénomène est tel que des comprimés de Lipitor® contrefaisants ont également été découverts chez plusieurs grossistes officiels. En 2003, la FDA a identifié 18 millions de comprimés de Lipitor® contrefaisants chez un seul revendeur.

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9. Lutte contre le trafic de médicaments 9.1. Au niveau des instances internationales Si le trafic de faux médicaments a longtemps été sous-estimé, de nombreux efforts sont actuellement réalisés afin d’organiser une lutte efficace. La nature, l’ampleur des contrefaçons et les facteurs qui les favorisent dépendent du contexte politique et économique des pays concernés. Aussi, il n’existe pas un moyen simple et unique de résoudre le problème. Afin d’organiser une lutte efficace, il est indispensable que les différents organismes chargés du contrôle des médicaments et de l’application des lois dans chaque pays et au niveau international agissent en étroite collaboration pour garantir une mise en œuvre efficace de ces mesures. 9.1.1. L’OMS

Au sein des Nations Unies, l’OMS est l’autorité directrice et coordonnatrice pour le domaine de la santé. Elle est particulièrement active au niveau des pays en développement et soutient financièrement les gouvernements dans la mise en place d’un système sûr et efficace de distribution du médicament. L’OMS est ainsi en première ligne pour inciter les gouvernements à lutter contre ce fléau. Elle reste d’ailleurs la plus grande source d’informations sur le trafic de faux médicaments et elle est à l’origine de la création d’un groupe de travail consultatif nommé International Medical Products Anti-Counterfeiting Taskforce (IMPACT) destiné à endiguer la croissance du trafic de médicament.[26] Le groupe IMPACT n’a pas de définition légale et n’est donc pas habilité à entreprendre des actions sans l’accord des gouvernements participants ; c’est une force de propositions. En facilitant la collaboration entre les différents acteurs internationaux (INTERPOL, OMD,…), ce groupe coordonne chaque année des actions répressives entraînant la saisie de quantités importantes de faux médicaments et la fermeture de nombreux sites illégaux : opérations MAMBA sur le territoire africain, opérations STORM en Asie du Sud-Est ou opérations PANGEA au niveau des pharmacies en ligne. Un sous-groupe IMPACT spécifique a été créé afin d’aider tous les gouvernements à inscrire dans leur législation la contrefaçon du médicament, les dispositifs médicaux et pharmaceutiques mis en œuvre pour sécuriser le circuit légal du médicament et les sanctions pénales encourues en cas de trafic de faux médicament. 9.1.2. L’Union Européenne

En décembre 2010 est née la convention Médicrime, premier traité international à donner un cadre répressif à la contrefaçon du médicament. Proposée par le Conseil de l’Europe, la convention Médicrime a été ouverte pour signature aux pays du monde entier en octobre 2011 mais n’a cependant reçu qu’un accueil mitigé. En

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effet, à ce jour, seuls 23 pays ont signé ce traité et 4 pays l’ont ratifié (Ukraine, Espagne, Hongrie et Moldavie). Les États ayant ratifié cette convention, acceptent de considérer comme infraction pénale : – la fabrication ; la fourniture, l’offre de fourniture et le trafic de produits médicaux non autorisés ou contrefaits ; – la mise sur le marché de dispositifs médicaux ne remplissant pas les exigences de conformité ; – la falsification des documents règlementaires accompagnant le médicament. Il est important de rappeler que la convention fixe à cinq - dont trois par des États Membres du Conseil de l’Europe - le nombre de ratifications, acceptations, ou approbations requises pour l’entrée en vigueur de la convention. A ce jour, la ratification de la convention par un cinquième pays est toujours attendue. Le 8 juin 2011, une nouvelle directive validée par le Parlement européen (Directive 2011/62/EU) définissait le médicament falsifié et renforçait les instruments contre ces médicaments en sécurisant le circuit de distribution, en particulier sur Internet. Cette directive demandait aux États Membres d’introduire dans leur législation, des mesures visant à : – améliorer la traçabilité du médicament : obligation d’apposer un dispositif de sécurité permettant de vérifier l’authenticité et d’identifier chaque emballage tout au long de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que de déceler toute trace de manipulation ; – déclarer toute suspicion de cas de falsification de médicaments aux autorités compétentes ; – assurer la qualité de tous les ingrédients entrant dans la composition du médicament par les laboratoires pharmaceutiques ou les importateurs ; – améliorer la visibilité des sites légaux de vente en ligne du médicament, notamment par la mise en place d’un logo officiel et un lien renvoyant au site Internet de l’autorité compétente concernée, sur lequel doit figurer la liste des tous les revendeurs enregistrés. À noter qu’en matière de traçabilité, la Direction européenne de la Qualité du Médicament et Soins de Santé (DEQM) a lancé en 2009 le projet eTACT, un système de traçabilité paneuropéen permettant la génération d’un identifiant unique du médicament (UMI) au niveau du fabricant.[27] Cet identifiant unique pourra être vérifié par tous les acteurs du circuit du médicament mais également par les patients en scannant à l’aide de leur smartphone un code-barres 2D Datamatrix (ECC 200) imprimé sur l’emballage secondaire de leur médicament. Enfin, comme mentionné dans la Directive 2011/62/EU, le 24 juin 2014 a vu la naissance du logo officiel permettant l’authentification des sites légaux de vente en ligne de médicaments.[28] Les sites autorisés à vendre des médicaments ont un an à partir de cette date pour afficher ce logo sur leur page d’accueil.

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Trafic de faux médicaments

9.2. Au niveau national Si la France est une zone de transit pour les produits contrefaisants, elle est encore cependant relativement épargnée par la contrefaçon. Cette constatation peut s’expliquer par un circuit pharmaceutique particulièrement réglementé où les différents acteurs sont identifiés et participent à la traçabilité des médicaments et ce, depuis l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché jusqu’à la dispensation des médicaments. Ajouté à cela, le système de remboursement des médicaments en France participe indéniablement à la lutte contre la contrefaçon en limitant la tentation des patients à avoir recours aux médicaments vendus sur Internet. Enfin, depuis la signature de la convention Médicrime en Octobre 2011, la France a entrepris de nombreuses adaptations de sa législation pour peut être devenir le cinquième pays à ratifier la convention Médicrime. Parmi les évolutions législatives entreprises, nous noterons la modification des quanta de peines, la création de circonstances aggravantes permettant de qualifier plus strictement les faits, une meilleure formation et un renforcement des équipes chargées des enquêtes et une formation spécifique des magistrats en charge des dossiers de contrefaçon. La volonté de la France à lutter contre la contrefaçon des médicaments a abouti le 5 janvier 2015 au dépôt du projet de loi autorisant la ratification de la convention Médicrime en première lecture au Sénat par le Ministre des affaires étrangères et du développement international. 9.3. Au niveau des laboratoires pharmaceutiques Afin de mettre en place une lutte efficace contre la contrefaçon, les laboratoires pharmaceutiques se sont regroupés en associations chargées d’évaluer l’ampleur du phénomène et d’alerter les autorités publiques. Face à des pertes financières conséquentes, les laboratoires pharmaceutiques devancent même parfois la mise en place d’une législation par les pouvoirs publics. C’est ainsi qu’en France, le laboratoire Sanofi a créé en 2008 un laboratoire central d’analyse des contrefaçons (LCAC). Aujourd’hui, de nombreux laboratoires développent une stratégie technologique fondée sur 3 principes : – identifier le produit (sérialisation et traçabilité tout au long de la chaîne pharmaceutique) ; – authentifier le produit par la mise en place de dispositif visible (hologramme, encres à couleurs variables, étuis en carton préperforés, etc…) ou invisible (marqueurs chimique ou même génétique connus seulement par le fabriquant) ; – garantir l’intégrité des conditionnements sur l’ensemble de la chaîne de distribution (étiquettes de sûreté, témoin d’effraction).

10. Conclusion En 2010, les médicaments contrefaisants ont engendré des revenus estimés à 75 milliards de dollars par an (soit 55 milliards

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d’euros) et furent responsables de l’ordre de 100 000 morts à travers le monde.[29] Quels que soient les chiffres avancés et l’ampleur réelle du trafic, cette criminalité pharmaceutique semble connaître depuis 10 ans une augmentation des plus préoccupantes. Compte tenu des risques sanitaires que le faux médicament peut engendrer, tout produit à usage médical hors normes/altéré/ falsifié/ faussement étiqueté/contrefait doit être considéré comme potentiellement dangereux. Si la lutte contre la falsification des médicaments est historiquement un problème international de santé publique, elle devient maintenant scientifique, juridique et politique. Cette lutte s’organise actuellement selon cinq axes : législation/réglementation, collaboration, répression, technologie et communication. Enfin, la confiscation totale et définitive de l’ensemble des biens (financiers et autres) saisis chez les trafiquants a déjà fait historiquement sa preuve dans d’autres domaines et pourrait être un outil de répression particulièrement efficace. Conflits d’intérêts. Aucun. Abréviations. AMM : autorisation de mise sur le marché ; ANSM : Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé ; CPI : code de la propriété intellectuelle ; DEQM : Direction Européenne de la Qualité du Médicament et des Soins de Santé ; DGCCRF : Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ; EAASM : Alliance Européenne pour l’Accès à des Médicaments Sûrs ; EPO : érythropoïétine ; FDA : Food and Drug Administration ; IFPMA : Fédération Internationale de l’Industrie du Médicament ; IMPACT : International Medicines Products Anti Counter Feiting Task force ; LCAC : laboratoire central d’analyse des contrefaçons ; OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économiques ; OMD : Organisation Mondiale des Douanes ; OMS : Organisation Mondiale de la Santé ; RMN : résonance magnétique nucléaire ; SPL : Scientific protein Laboratories ; SSFFC : substandard, spurious, falselly-labelled, falsified, counterfeit ; UMI : identifiant unique du médicament.

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[Counterfeit and Falsified Drugs: an Overview].

If the traffic of fake medicines may represent an economic threat for the pharmaceutical industry, it can also be responsible of safety concerns for p...
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