Pour citer cet article : Lavand'homme P. Douleurs chroniques après chirurgie : état des lieux. Presse Med. (2015), http://dx.doi. org/10.1016/j.lpm.2014.09.025 Presse Med. 2015; //: ///

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ANESTH ESIE/DOULEUR

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Douleurs chroniques après chirurgie : état des lieux Patricia Lavand'homme

Disponible sur internet le :

Cliniques universitaires Saint Luc, université catholique de Louvain, service d'anesthésiologie, avenue Hippocrate 10–1821, 1200 Bruxelles, Belgique

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Points essentiels Tout type de chirurgie est susceptible de donner des douleurs chroniques post-chirurgie (DCPC), y compris les procédures dites « mineures ». Les DCPC les plus invalidantes ont souvent une composante neuropathique. Les facteurs de risque de DCPC ont été déterminés depuis longtemps mais ils sont loin d'être sélectifs. De nouveaux outils de sélection préopératoire (ex. indice proposé par Althaus) ont été développés, mais ils restent encore trop imprécis. Actuellement, la prévention des DCPC pourrait être renforcée par une prise en charge améliorée des patients, notamment par un meilleur contrôle de la douleur postopératoire aiguë (douleurs d'origine neuropathique, utilisation judicieuse des analgésiques opiacés, meilleure vision de l'évolution des patients grâce aux trajectoires de douleur).

Key points Chronic pain after surgery: State of the art Any type of surgery can lead to persistent pain (Chronic Post-Surgical Pain, CPSP), including minor or less invasive procedures. CPSP often but not always includes neuropathic pain features; when a neuropathic component is present, CPSP is more severe. The major risk factors for the development of CPSP are well known but not selective. New tools to target high-risk patients preoperatively are currently being assessed (e.g. the risk index from Althaus and colleagues) but remains not specific enough. Today, the prevention of CPSP might be improved by a better management of the patients, specifically by a better control of severe acute postoperative pain (i.e. early diagnosis of a neuropathic component involved, judicious utilization of peri-operative opioid analgesics, use of pain trajectories to better assess postoperative pain resolution).

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tome xx > n8x > mois année http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.09.025 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

LPM-2705

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P. Lavand'homme

E

n Europe, plus de 40 millions de patients sont opérés chaque année. Certaines interventions programmées, surtout en chirurgie orthopédique (arthroplasties de hanche et de genou), sont en constante augmentation à cause du vieillissement de la population [1]. Une des principales craintes, exprimée par les patients, est la possibilité de ressentir une douleur postopératoire importante [2]. Ils n'ont pas tout à fait tort car c'est un fait établi que pendant les premières 24 heures, 30 % des patients opérés ont des douleurs sévères (score > 6–7 sur une échelle visuelle/ verbale analogique (EVA) allant de 0, pas de douleur, à 10, douleur maximale imaginable). Ce que les patients perçoivent moins bien sont les effets postopératoires à long terme qui concernent la récupération fonctionnelle et le risque de douleur persistante. Les douleurs chroniques, au décours d'une intervention chirurgicale, concernent environ un patient sur dix [2] et conduisent souvent à une prise de médicaments analgésiques non dépourvus d'effets secondaires [3]. Il s'agit donc d'un problème socio-économique important, si évident que le processus actuel de révision de la classification internationale des maladies (ICD-11) par l'Organisation mondiale de la santé a décidé d'inclure dans la liste les « douleurs chroniques » qui comprendront entre autres les douleurs chroniques post-chirurgie1 [4]. Le but est d'accroître la « visibilité » des douleurs chroniques, y compris celles consécutives à une intervention chirurgicale, auprès des professionnels de la santé pour améliorer la prise en charge des patients et promouvoir la recherche dans ce domaine. Il existe de nombreux articles de synthèse sur les douleurs chroniques post-chirurgie (DCPC) [5,6]. Le but de cet article est de faire le point sur certains développements récents et de souligner de futures lignes de recherche.

Définition et prévalence Plusieurs cas de figure peuvent se présenter lorsqu'un patient rapporte une douleur persistante au décours d'une intervention chirurgicale :  le patient n'avait pas de douleur avant la chirurgie mais souffre actuellement ;  la douleur localisée au site chirurgical avant l'opération est toujours présente (ceci concerne particulièrement la chirurgie orthopédique : rachis, hanche, genou) ;  une douleur chronique sans relation avec l'intervention chirurgicale et la douleur au site opératoire persiste (fibromyalgie, migraine, lombalgie. . .) [7]. La confusion de ces différentes situations cliniques a contribué à la surestimation de l'incidence des DCPC, notamment dans les études rétrospectives. La question avait déjà été posée par Macrae

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1 S. Schug (University of Western Australia, Royal Perth Hospital, Perth, Australia) et P. Lavand'homme (Cliniques universitaires Saint Luc, université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique) ont été délégués par l'IASP pour rédiger la proposition de classification des DCPC dans la nouvelle classification internationale des maladies (ICD-11).

[8] et deux exemples récents soulignent ce point de vue. L'essai PAD (Pain After Delivery) [9], une étude multicentrique prospective sur les douleurs chroniques post-accouchement (voie basse et césarienne), révèle une incidence très faible (de 0,3 à 1,2 %) à un an, de douleurs directement en relation avec l'accouchement, des chiffres qui contrastent avec ceux habituellement rapportés pour ce type de douleurs chroniques (incidence de 4 à 10 %) [5]. Les données de la plus large cohorte de patients à ce jour (12 982 patients en Norvège) rapportent une douleur persistante au site opératoire de 3 à 36 mois après chirurgie chez 40,4 % des patients, d'intensité modérée à sévère (EVA > 3) chez 18,3 % des patients [10]. Parmi ces patients douloureux, 6,2 % mentionnent une douleur liée à la chirurgie sans l'existence de douleur préopératoire [10] et seulement 0,5 % citent la chirurgie en tant que seule cause de leur douleur [11]. Par contraste, une étude européenne prospective récente englobant 3000 patients rapporte une incidence de 14,8 % de DCPC (par définition : EVA > 3, à 12 mois et au-delà) [12]. Deux points importants y sont mis en évidence :  57 % des patients avec DCPC ont eu une chirurgie orthopédique, élective ou traumatologique. Bien que la présence fréquente d'une douleur préopératoire au site chirurgical rende difficile l'application stricte de la définition de DCPC, la grande fréquence des douleurs persistantes après chirurgie orthopédique explique l'importance de la recherche actuelle dans ce domaine ;  la chirurgie vidéo-assistée, souvent considérée comme une chirurgie « mineure » (ex. laparoscopie, arthroscopie) induit aussi des DCPC. Une étude française [13] a évalué l'incidence à 6 mois des DCPC lors de chirurgies considérées à tort comme peu invasives et retrouvé une incidence de l'ordre de 48 % après arthroscopie du genou, 27 % après saphénectomie contre 42 % après thoracotomie et 43 % après mastectomie. Ici aussi, la présence d'une douleur préopératoire peut s'avérer un facteur confondant, mais si l'on considère la DCPC d'origine neuropathique, généralement absente avant la chirurgie, les résultats démontrent clairement que ces procédures « mineures » sont à risque avec des incidences de 11,2 % pour l'arthroscopie du genou, 12,4 % pour la saphénectomie, tandis que les chiffres sont de 19,6 % après thoracotomie et 25,7 % après mastectomie [13]. La définition des douleurs chroniques post-chirurgie est rappelée dans l'encadré 1. Selon le type de chirurgie, la DCPC a plus ou moins fréquemment les caractéristiques d'une douleur neuropathique.

Populations ciblées : le cas des DCPC pédiatriques Le sexe féminin et l'âge (patients jeunes) ont été souvent invoqués comme facteurs de risque de DCPC [5]. Malgré le fait qu'un grand nombre d'enfants soient opérés chaque année,

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Pour citer cet article : Lavand'homme P. Douleurs chroniques après chirurgie : état des lieux. Presse Med. (2015), http://dx.doi. org/10.1016/j.lpm.2014.09.025 Douleurs chroniques après chirurgie : état des lieux



Douleur directement liée à une procédure chirurgicale. Qui persiste au-delà du processus normal de cicatrisation tissulaire, c-à-d > 2 mois après la procédure chirurgicale.  Les autres causes de douleur ont été éliminées (infection, récidive tumorale).  La douleur n'a pas de lien avec une douleur préexistante avant l'intervention chirurgicale. Définition mentionnée dans la nouvelle classification ICD-11 de l'Organisation mondiale de la santé. Elle est basée sur celle de Macrae [8]. 

l'évaluation de l'incidence et des facteurs de risque de DCPC dans la population pédiatrique n'a retenu l'intérêt que très récemment, ce qui est regrettable pour deux raisons. Tout d'abord, la présence d'une douleur chronique à une période critique du développement de l'enfant peut avoir des répercussions négatives sur le comportement et pourrait être à l'origine de douleurs chroniques à l'âge adulte [14]. Ensuite, l'observation du développement ou non de DCPC chez l'enfant et l'adolescent pourrait mettre en lumière certains facteurs de risque ou de protection, notamment en ce qui concerne le rôle des hormones (croissance et puberté). Les quelques études publiées à ce jour concernent de petites cohortes de patients et la chirurgie est essentiellement orthopédique (élective et traumatique) [15– 17]. Il semble que le très jeune âge soit un facteur protecteur puisque les chirurgies réalisées dans l'enfance engendrent moins de DCPC. Par exemple, l'incidence de DCPC après thoracotomie est de 3,2 % chez les patients de 0 à 6 ans, de 19,4 % chez ceux de 7 à 12 ans et de 28,5 % entre 13 à 25 ans (incidence dans la population adulte de 20 à 60 %) [18]. Les études de Fortier et al. [15] et Pagé et al. [16] (patients âgés de 13 ans en moyenne) rapportent des scores quotidiens sur échelle visuelle analogique de 4,2  1,5 (échelle de 0 à 10) avec un impact négatif sur la qualité de vie (études, sport, sommeil) et la nécessité de prise régulière de médicaments analgésiques chez 57 % des patients à 6 mois et chez 8 % à 12 mois après chirurgie. Concernant les facteurs de risque, il semble que l'intensité de la douleur postopératoire aiguë (EVA  3) joue un rôle déterminant dans l'intensité des douleurs à 6 mois et au-delà [16]. L'impact de la douleur postopératoire immédiate sur le risque de DCPC est bien connu chez l'adulte – il s'agit du facteur de risque le plus souvent rapporté [5,6]. Il est ici intéressant de noter que chez les enfants hospitalisés, l'intensité des douleurs postopératoires varie également en fonction de l'âge, étant la plus faible avant 5 ans et plus élevée après 11 ans [19]. L'anxiété est aussi un facteur de risque de DCPC chez l'enfant et l'adolescent [16]. De plus, les interactions parents-enfant jouent un rôle majeur ;

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l'état psychologique, notamment le niveau de catastrophisme des parents, déterminé par leur propre expérience face à la douleur, constitue un facteur de risque de persistance de la douleur postopératoire chez l'enfant [20]. Finalement, 40 % des douleurs neuropathiques autres que l'algoneurodystrophie, prises en charge chez l'enfant (âge moyen 14 ans), sont d'origine chirurgicale. Le message de l'étude est cependant positif du fait du devenir favorable des patients avec une réduction très significative des scores de douleurs initiaux [21].

Mise au point

Définition des douleurs chroniques post-chirurgie

Facteurs de risque versus patients à risque de DCPC : les outils de prédiction La liste des facteurs des risque est établie depuis longtemps [5]. Des outils plus précis d'évaluation préopératoire ont été proposés récemment, notamment un index de risque qui reprend les principaux facteurs connus [22]. Les items de cet index sont dans l'encadré 2. La plupart des facteurs prédictifs sont liés à la personnalité du patient plutôt qu'à la technique chirurgicale ou au type d'anesthésie/analgésie péri-opératoire, ce qui souligne une fois de plus le rôle majeur des facteurs psychosociaux dans les DCPC. Il n'est pas surprenant de constater que ces facteurs de risque de DCPC sont également des facteurs de risque de douleur postopératoire aiguë sévère [23]. Un nombre important de patients vus lors de la consultation préopératoire répondent à ces critères de risque. Ainsi, une douleur préopératoire au site chirurgical ou ailleurs concerne au moins 40 % des patients opérés et constitue un facteur de risque de douleur postopératoire aiguë sévère. Les patients prévus pour une chirurgie orthopédique sont particulièrement concernés puisque la douleur est très souvent le motif de la chirurgie. Il est inutile de rappeler que la chirurgie orthopédique majeure (arthroplasties, chirurgie du rachis) est associée à un risque très élevé de douleurs persistantes, facteur majeur d'insatisfaction. Les résultats observés sur une large cohorte de patients démontrent clairement que la présence

Encadre 2 Index de risque de DCPC 

Une douleur préopératoire présente au site chirurgical. Une douleur préopératoire présente à un autre endroit du corps.  Une ou plusieurs comorbidités (ex. dépression, trouble du sommeil . . .).  Le surmenage (« état de burn-out »).  Une douleur postopératoire aiguë sévère et mal contrôlée. D'après Althaus et al. [22], une EVA  5 aurait une bonne valeur prédictive du risque de DCPC (sensibilité 60 %, sélectivité 83 %). Chacun des items évoqués équivaudrait à 1 point (échelle de risque de 0 à 5). L'addition des points permettrait de prédire le risque de DCPC comme suit: 0 = 12 % ; 1 = 30 % ; 2 = 37 % ; 3 = 68 % ;  4 = > 70 %. 

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Encadre 1

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et l'intensité de la DCPC au site opératoire sont fortement associées à l'existence d'une autre douleur chronique [11]. Plusieurs études confirment cette assertion, notamment dans un contexte de douleur chronique au niveau d'une autre articulation qui influence de façon négative la douleur et la récupération fonctionnelle après arthroplastie du genou ou de la hanche [24]. Un état dépressif entraîne souvent une récupération fonctionnelle moins favorable, un fait élégamment démontré par les trajectoires de douleurs postopératoires [25]. Le patient en tant qu'individu est une seule et même entité dont les substrats psychologique et physique sont indissociables. Ainsi, un état dépressif serait associé à de moins bons systèmes endogènes inhibiteurs de la douleur [26], expliquant l'impact de la dépression et de l'anxiété sur la persistance de la douleur chez certains patients. La sévérité de la douleur postopératoire est le facteur le plus souvent mentionné parmi les facteurs de risque de DCPC [5] [23], un point important pour au moins deux raisons. Premièrement, la question se pose au sujet d'une prédisposition génétique à la douleur qu'elle soit aiguë ou chronique. Il n'y a pas actuellement de réponse claire à cette question, mais plusieurs études cliniques multicentriques sont en cours [27]. Deuxièmement, la douleur postopératoire est un facteur sur lequel les professionnels de la santé pourraient agir et qui, mieux contrôlée, permettrait peut-être de réduire l'incidence des DCPC – la question est actuellement sans réponse [7]. Deux points sont néanmoins à souligner pour améliorer la prise en charge des patients opérés :  le diagnostic précoce et le traitement adéquat des douleurs neuropathiques ;  l'impact de l'utilisation péri-opératoire des analgésiques opiacés. Le caractère neuropathique des DCPC, particulièrement observé en cas de douleurs persistantes sévères, a été clairement mis en évidence [13,28]. Cette composante neuropathique est variable selon le type de chirurgie. La prévention primaire consiste à réduire au maximum le risque de lésion nerveuse en utilisant des procédures dites « minimally invasive ». Cependant, cela ne suffit pas toujours à éviter les lésions des nerfs périphériques qui sont tout de même observées après thoracotomie et cure de hernie inguinale par voie laparoscopique et après arthroscopie du genou. Un diagnostic précoce peut être réalisé au chevet du patient opéré, comme démontré dans plusieurs études [29], grâce à l'utilisation d'outils spécifiques, notamment le questionnaire Douleur Neuropathique 4 (DN4) qui a une valeur prédictive de 86 % (sensibilité 83 %, spécificité 90 %). Bien que non validé pour les douleurs neuropathiques aiguës, la facilité d'utilisation de ce questionnaire rend son usage à grande échelle possible par les équipes infirmières dédiées à la douleur postopératoire [30]. Qui plus est, la valeur prédictive du questionnaire DN4 augmente avec le temps pour le diagnostic de DCPC

neuropathique [29]. Il est donc intéressant de l'utiliser non seulement à 48 h postopératoire, mais également dans la période de douleur subaiguë (4 à 8 semaines post-chirurgie) au cours de laquelle des DCPC neuropathiques peuvent apparaître [23]. L'administration péri-opératoire d'analgésiques opiacés peut, dans certains cas, être responsable de l'apparition d'un phénomène d'hyperalgésie qui renforce l'hyperalgésie ou sensibilisation causée par les dommages tissulaires associés à la chirurgie. Bien qu'encore sujet de controverse, l'utilisation intra-opératoire de hautes doses d'opiacés (particulièrement de rémifentanil) pourrait favoriser le développement des DCPC [31]. Il semble d'ailleurs exister une composante génétique favorisant le développement d'une hyperalgésie aux opiacés. Si le recours à une anesthésie balancée favorise l'épargne morphinique et permet de minimiser le problème intra-opératoire, l'utilisation régulière préopératoire d'analgésiques opiacés constitue un problème important. En chirurgie orthopédique, la consommation préopératoire chronique d'opiacés exerce un effet négatif sur la récupération fonctionnelle après arthroplasties de genou [32] et de hanche [33]. Bien que cela semble évident, il n'existe pas d'étude démontrant qu'un sevrage opiacé (de prime abord difficile) puisse améliorer la prise en charge postopératoire et le devenir des patients. Un nombre important d'entre eux poursuivent d'ailleurs la prise d'opiacés en période postopératoire, et parfois pendant longtemps [3,34]. L'impact de cet usage prolongé d'analgésiques opiacés sur la persistance des DCPC mériterait d'être évalué.

Développements futurs La détermination des facteurs de risque et de prévention de la transition, puis ensuite de la persistance de la douleur postopératoire est un sujet brûlant. Quel est le lien entre douleur postopératoire sévère et DCPC ? Autrement formulé, quels autres facteurs associés à une douleur aiguë sévère pourraient être associés à l'évolution vers une douleur persistante sachant que beaucoup de patients ayant une douleur postopératoire sévère ne développent pas de DCPC [7,23]. Les tests psychophysiques comparatifs, réalisés chez les patients avec et sans DCPC, mettent en évidence un état de sensibilisation centrale lié soit à une activation des systèmes endogènes excitateurs soit à une déficience des systèmes inhibiteurs endogènes (ex. sommation temporelle positive, hyperalgésie secondaire, diminution des tests de tolérance au froid. . .) [11]. Le plus souvent, l'absence d'utilisation de ces tests avant la chirurgie ne permet pas de savoir si les tests psychophysiques pathologiques sont la cause des DCPC ou leur conséquence [11]. En étudiant les DCPC neuropathiques au niveau de la crête iliaque, site de prélèvement de greffon osseux dans la chirurgie du rachis, on a pu montrer que chez les patients avec une douleur aiguë sévère, l'association d'une lésion nerveuse (score DN4 positif) et la présence d'une hyperalgésie secondaire (signe de

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sensibilisation centrale) à 48 h postopératoires, étaient des facteurs prédictifs de DCPC [29]. La résolution de la douleur postopératoire visualisée grâce aux trajectoires de douleur [35] pourrait aussi s'avérer un outil utile pour suivre et sélectionner les patients à risque de DCPC. Ainsi, l'anxiété et la dépression semblent exercer des effets opposés comme précédemment mentionné [25]. En chirurgie orthopédique, une douleur préopératoire modérée (EVA  4) serait associée à une évolution moins favorable qu'une douleur préopératoire sévère ou même légère [36] et une douleur postopératoire importante après 48 heures devrait faire suspecter une composante neuropathique de la douleur après arthroplastie du genou [37]. Une autre question concerne les facteurs de risque euxmêmes : ceux impliqués dans l'évolution de la douleur postopératoire aiguë à la douleur persistante (douleur subaiguë de 6 semaines à 3 mois) sont-ils différents de ceux en cause dans la chronicisation d'une douleur persistante une fois établie (douleur subaiguë à douleur chronique  3mois) ? [38] Il existe peu d'études sur le sujet, mais il semblerait que les facteurs de risque de développement et de persistance des DCPC, une fois établis, soient différents, ce qui par conséquent

devrait impliquer une prise en charge thérapeutique différente à divers moments de la prise en charge post-chirurgie [16,38].

Conclusion

Mise au point

ANESTH ESIE/DOULEUR

L'impact socio-économique de la persistance d'une douleur postopératoire, responsable d'un retard de la récupération fonctionnelle et du développement d'une douleur chronique, stimule plus que jamais la recherche dans ce domaine. Le but est de cibler les patients à risque afin d'individualiser la prise en charge péri-opératoire (développement d'une médecine préventive). Les anesthésistes ont ici, avec les chirurgiens et les autres acteurs de la santé, un rôle capital à jouer dans ce qui s'avère une prise en charge globale des patients. La mise en place de consultations dites de « douleur transitionnelle » est un outil thérapeutique utile et également une opportunité de mieux étudier le problème du développement et puis de la persistance des DCPC chez les patients [39]. Déclaration d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

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[Chronic pain after surgery: State of the art].

Any type of surgery can lead to persistent pain (Chronic Post-Surgical Pain, CPSP), including minor or less invasive procedures. CPSP often but not al...
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