Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 33 (2014) 219–220

E´ditorial

Drainage thoracique en re´animation : un autre « crunch » entre la France et l’Angleterre ? Chest tubes in ICU: Another ‘‘crunch’’ between France and England?

I N F O A R T I C L E

Mots cle´s : Drain thoracique Se´curite´ Recommandations Keywords: Chest tube Safety Guidelines

Dans ce nume´ro des Annales franc¸aises d’anesthe´sie et de re´animation, Reme´rand et al. [1] rapportent les re´sultats d’une enqueˆte te´le´phonique sur le drainage thoracique dans les re´animations chirurgicales universitaires franc¸aises. Cette enqueˆte re´alise´e en 2007, puis a` nouveau en 2012, soit deux ans apre`s la publication des recommandations anglaises, est inte´ressante a` plus d’un point [2]. Les re´animateurs franc¸ais ne suivent pas les recommandations anglaises. Les amoureux du ballon ovale verront la` une e´nie`me preuve de la le´gendaire, mais courtoise, rivalite´ entre la France et l’Angleterre qui fait toute la saveur des « crunch ». D’autres raisons, plus scientifiques, doivent attirer notre attention. Les re´animateurs franc¸ais suivent-ils les recommandations ? Car c’est bien la premie`re question, suit-on les recommandations ? Dans un audit re´alise´ dans 66 re´animations en France [3], les auteurs avaient montre´ que le taux d’adhe´sion aux recommandations e´tait tre`s mauvais [4]. Spe´cialement lorsqu’il existait plusieurs recommandations applicables, puisqu’a` partir de trois recommandations, aucun patient ne be´ne´ficiait de l’ensemble de ces recommandations. L’autre message souligne´ par les auteurs e´tait que toutes les recommandations n’e´taient pas suivies de la meˆme fac¸on. En dehors de la multiplication de´raisonne´e des recommandations, le support de ces recommandations, le niveau de preuve sur lequel elles reposaient pouvait avoir un impact sur le suivi. Quel est le niveau de preuve des recommandations anglaises sur le drainage thoracique ? Le sujet est important, pole´mique, porte sur une pathologie fre´quente, puisque plus de 60 % des patients de re´animation sont affecte´s, et peut probablement changer les pratiques dans un domaine ou` les complications sont

fre´quentes [5,6]. Ceci repre´sente le pre´requis indispensable a` la re´alisation d’une recommandation. Nous pouvons cependant regretter l’absence d’essai randomise´ ayant compare´, par exemple, l’utilisation de trocarts de Monod par rapport a` la me´thode Seldinger ou encore « gros » drains versus « petits » drains. Les recommandations anglaises ne reposent que sur des se´ries de cas, des hypothe`ses physiopathologiques, uniquement des avis d’experts et non des recommandations formalise´es. Le niveau de preuve scientifique n’e´tait pas le seul facteur expliquant le suivi des recommandations dans l’article de Leone et al. [4]. Car si les pratiques concernant la transfusion e´taient plus suivies (86 %) que le controˆle de la pression du ballonnet (26 %), proportionnellement au niveau de preuve, il n’en e´tait pas ainsi pour tout. Le monitorage de la se´dation et de l’analge´sie (tre`s haut niveau de preuve) e´tait, avec 24 % d’adhe´sion, bien moins suivi que la position demi-assise (bas niveau de preuve, pourtant suivie dans 75 % des cas). Serions-nous partisans du moindre effort, ne suivant que les recommandations ne demandant pas un effort important ? On ne peut l’exclure ! Mettre en place un protocole qui intervient sur l’activite´ me´dicale et parame´dicale est chronophage, difficile, demande des compromis, une attitude consensuelle. Sommesnous, en France, preˆts a` suivre des protocoles ou, au nom de la sacre´e sainte inde´pendance de prescription, sommes-nous toujours incapables de rationaliser nos pratiques ? Un autre message important rapporte´ dans cette enqueˆte te´le´phonique est la pe´ne´tration de l’e´chographie pleurale avant la re´alisation d’un drainage thoracique, qui a` ce jour est devenue quasiment syste´matique. Cette pe´ne´tration n’est pas surprenante tant l’e´chographie est devenue incontournable en anesthe´siere´animation. Mais repose-t-elle sur des arguments factuels ? Intuitivement, on peut espe´rer que le repe´rage e´chographique avant drainage thoracique diminue les complications inhe´rentes a` la technique et redresse des diagnostics errone´s, mais ceci rele`ve de l’intuition, du spe´culatif. Une des informations les plus importantes de cette enqueˆte est pourtant ailleurs, cache´e au milieu des re´sultats et brie`vement e´voque´e dans la discussion : 10 % des drainages sont re´alise´s au moyen de PleuroCath1, et 10 % des drains chirurgicaux sont encore litte´ralement « plante´s » dans les patients. Ainsi, la bataille, le « crunch », ne doit probablement pas opposer (gros) drains chirurgicaux et petits drains. Elle devrait distinguer les me´thodes « se´curitaire » (« gros » drain positionne´ apre`s dissection chirurgicale des tissus sous-cutane´s au doigt ou a` la pince et

DOI de l’article original: http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2014.02.009 http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2014.02.018 0750-7658/ß 2014 Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar). Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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ouverture de la ple`vre au doigt, de fac¸on a` s’assurer de la bonne position intrapleurale ; et « petits » drains par me´thode de ˆ rete´, en Seldinger, avec ponction a` l’inte´rieur du triangle de su aspiration continue, en veillant soigneusement a` s’e´loigner autant que faire se peut du paquet vasculo-nerveux intercostal, et en maıˆtrisant la profondeur de la dilatation sur guide) des me´thodes dangereuses. Certes, on pourrait nous reprocher de prendre une position peu scientifique, nous qui critiquons le manque de rationalite´ de ces recommandations et de ces pratiques. Mais quel comite´ d’e´thique autoriserait un essai randomise´ les incluant spe´cifiquement dans un bras des drains chirurgicaux « plante´s » sans aucune dissection et des PleuroCath1 (dont les risques ont e´te´ mentionne´s a` de nombreuses reprises) versus ce que nous avons qualifie´ plus toˆt de technique se´curitaire ? Gageons que cette e´tude ne verra jamais le jour ! Les auteurs concluent que, progressivement, les habitudes changent et que nous allons nous rapprocher des recommandations anglaises, heureusement, sous-entendent-ils. Nous ne partageons pas comple`tement cette conclusion. La lecture de ces recommandations, dans leur inte´gralite´, doit vraiment eˆtre encourage´e car elles ont l’immense me´rite de nous rappeler et d’insister sur les bases du drainage pleural : geste technique ne´cessitant une formation en bonne et due forme (au mieux sur simulateur et/ou en salle d’anatomie), exceptionnellement urgent, tre`s douloureux hors AL bien faite, et potentiellement ge´ne´rateur de complications graves, tout particulie`rement avec certaines techniques ou liberte´s prises par le clinicien. Cette lecture ne devrait pas pour autant de´boucher sur une mise en pratique a` la virgule pre`s, de ces avis d’experts, mais motiver la re´alisation d’un essai the´rapeutique randomise´ controˆle´ de bon niveau. Cet essai ˆ res pre´ce´demdevrait comparer les deux techniques les plus su ment e´voque´es, et dont l’objectif pourrait eˆtre la re´duction des douleurs ge´ne´re´es, l’efficacite´ ou les complications mineures (chute accidentelle, obstruction, he´matome de paroi) plus que sur celui de la « safety », qui doit eˆtre excellente, lorsque les re`gles de l’art sont respecte´es. Alors, et seulement alors, nous pourrons

e´diter des recommandations dignes d’eˆtre suivies, et attendre avec un plaisir non dissimule´ que paraisse une e´tude anglaise comparant leurs pratiques avec les recommandations franc¸aises ! ˆ ts De´claration d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Reme´rand F, Bazin Y, Gage J, Laffon M, Fusciardi J. A survey of percutaneous chest drainage practice in French university surgical ICU’s. Ann Fr Anesth Reanim 2014;33. http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2014.02.009. [2] Havelock T, Teoh R, Laws D, Gleeson F, Group BTSPDG. Pleural procedures and thoracic ultrasound: British Thoracic Society Pleural Disease Guideline 2010. Thorax 2010;65:ii61–76. [3] Constantin JM, Leone M, Jaber S, Allaouchiche B, Orban JC, Cannesson M, et al. Quelle activite´ et quels personnels soignants dans 66 unite´s de re´animation du sud de la France ? Ann Fr Anesth Reanim 2010;29:512–7. [4] Leone M, Ragonnet B, Alonso S, Allaouchiche B, Constantin JM, Jaber S, et al. Variable compliance with clinical practice guidelines identified in a 1-day audit at 66 French adult intensive care units. Crit Care Med 2012;40:3189–95. [5] Harris A, O’Driscoll BR, Turkington PM. Survey of major complications of intercostal chest drain insertion in the UK. Postgraduate Med J 2010;86:68–72. [6] Gamerre L, Gazon M, Delafosse B, Viale JP. Embolie gazeuse ce´re´brale compliquant une pleurode`se au talc: a` propos d’un cas. Ann Fr Anesth Reanim 2012;31:547–9.

R. Guerin, J.-M. Constantin* Service de re´animation adultes et unite´ de soins continus, hoˆpital Estaing, CHU de Clermont-Ferrand, 1, place Lucie-Aubrac, 63003 Clermont-Ferrand, France *Auteur correspondant Adresse e-mail : [email protected] (R. Guerin)

Disponible sur Internet le 8 avril 2014

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