Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, e27—e31

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

LETTRE À L’ÉDITEUR À propos d’un cas évocateur de dystrophie de Cogan se révélant être une dystrophie grillagée de type I chez un enfant de 10 ans夽 Case report of Cogan-like dystrophy diagnosed as confirmed type I lattice corneal dystrophy in a 10-year-old child

antérieure calme, tension oculaire normale et de rares opacités épithéliales à l’œil droit. Le test à la fluorescéine révèle une kératite superficielle de l’œil droit. L’analyse par caméra Scheimpflug confirme la localisation épithéliale des anomalies (Fig. 2). Devant le tableau, l’âge du patient, et par argument de fréquence, le diagnostic de dystrophie microkystique de Cogan est évoqué. Le traitement prescrit comporte des lubrifiants oculaires. Trois ans plus tard, le patient, âgé de 10 ans, est revu en consultation. Il a

Nous rapportons l’observation d’un patient de 10 ans, chez lequel a été évoquée une dystrophie de Cogan. Trois ans plus tard, les examens cliniques et paracliniques confirment le diagnostic de dystrophie grillagée de type I. Un jeune patient de 7 ans est adressé en urgence pour kératalgie unilatérale. À l’interrogatoire, il ne décrit pas d’antécédent particulier. Son acuité visuelle, sans correction, est mesurée à 10/10e Parinaud 1,5 œil droit ; 8/10e Parinaud 1,5 œil gauche. À l’examen biomicroscopique, on retrouve un épithélium cornéen de l’œil gauche avec un aspect irrégulier et des microkystes (Fig. 1), une chambre

Figure 1. Photographie en lampe à fente de l’œil gauche du patient âgé de 7 ans : aspect irrégulier de l’épithélium cornéen et présence de microkystes.



Le texte de cet article est également publié en intégralité sur le site de formation médicale continue du Journal franc¸ais d’ophtalmologie (http://www.e-jfo.fr), sous la rubrique « Clinique » (consultation gratuite pour les abonnés).

Figure 2. a : photographie par caméra Scheimpflug, en coupe, œil droit du patient (âge 7 ans) : quelques dépôts cornéens épithéliaux (flèches) ; b : photographie par caméra Scheimpflug, en coupe, œil gauche du patient (âge 7 ans) : dépôts cornéens épithéliaux (flèches) plus nombreux et centrés.

0181-5512/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.05.015

e28

Lettre à l’éditeur

Figure 4. Photographie par caméra Scheimpflug en rétroillumination, œil gauche (âge 10 ans) : opacités distinguées, de différente taille, localisation à prédominance centrale (flèches).

Figure 3. a : photographie en lampe à fente chez le même patient, âgé de 10 ans, œil droit : présence d’opacités plus nombreuses, duveteuses, centrales ; b : photographie en lampe à fente chez le même patient, âgé de 10 ans, œil gauche : présence d’opacités stromales plus nombreuses, centrales, de taille augmentée, associée à des opacités linéaires paracentrales supérieures.

présenté, l’année précédente, un autre épisode de kératalgie de l’œil controlatéral. Il est asymptomatique lors de l’examen. Son acuité visuelle est à 10/10e , Parinaud 1,5 aux deux yeux sans correction. On note une augmentation du nombre d’opacités duveteuses, centrales, de l’œil droit (Fig. 3a) ; ainsi qu’un aspect modifié de l’œil gauche avec l’apparition d’opacités linéaires dans le stroma paracentral supérieur (Fig. 3b). L’évolution nous fait suspecter une dystrophie cornéenne de type grillagée. Une analyse par caméra Scheimpflug confirme l’augmentation du nombre des dépôts cornéens (Fig. 4 et 5). Par ailleurs, cette fois ci, le patient est accompagné de son père, âgé de 37 ans, et après un interrogatoire détaillé, on retrouve la notion de pathologie cornéenne chez le père, non étiquetée. Après information et recueil du consentement écrit, une analyse génétique par PCR restriction est réalisée et met en évidence la mutation R124C, à l’état hétérozygote chez les deux sujets. Ainsi, le diagnostic de dystrophie de cornée grillagée de type I est confirmé.

Figure 5. a : photographie par caméra Scheimpflug, en coupe, œil droit (âge 10 ans) : dépôts cornéens épithéliaux, sous-épithéliaux et stromaux (flèches bleues) plus nombreux ; b : photographie par caméra Scheimpflug, en coupe, œil gauche (âge 10 ans) : dépôts cornéens épithéliaux, sous-épithéliaux et dans le stroma ; plus nombreux, localisation centrale et périphérique.

Dystrophie de Cogan et dystrophie grillagee de type I chez un enfant de 10 ans

e29

Figure 7. Photographie en lampe à fente : aspect d’opacification fine, réticulaire de la couche de Bowman, dystrophie de ReisBücklers. Figure 6. Photographie en lampe à fente : aspect typique de dystrophie grillagée de type I, chez un adulte (le père du patient) : rayures grises, associées à de fines opacités duveteuses disposées entre les mailles.

Plusieurs dystrophies ont été reliées à des mutations du gène TGFBI, conduisant à la production et l’accumulation d’une kérato-épithéline anormale. La dystrophie de Cogan se manifeste par des épisodes récidivants d’érosions cornéennes. Sur le plan histologique, il s’agit d’une prolifération anormale de la membrane basale au sein de l’épithélium cornéen, associée à des microkystes [1]. La dystrophie grillagée de type I se caractérise par la présence d’un réseau grillagé typique dans le stroma cornéen [2]. La mutation décrite du gène TGFBI porte sur le codon 124, responsable du remplacement d’une arginine par une cystéine [3]. Des formes atypiques ont été décrites [4,5]. Romero et al. [6] décrivent une anticipation génétique à travers une famille de dystrophie grillagée type I avec la mutation R124C du gène TGFBI. Parmi les dystrophies liées au gène TGFBI, on retrouve également la dystrophie de Reis-Bücklers, avec une atteinte prédominante de la couche de Bowman et des opacités décrites comme irrégulières, confluentes, avec une extension au limbe et en profondeur (Fig. 6 et 7). Elle peut parfois être confondue avec la dystrophie de Thiel-Behnke, de transmission autosomique dominante, avec 2 loci décrits : 5q31, mutation R555q touchant la kérato-épithéline, et le locus en 10q24 [7]. Les dépôts de localisation sousépithéliale, épargnant la périphérie cornéenne, forment un aspect dit en rayon de miel (Fig. 8). En dehors de la dystrophie grillagée type I, d’autres dystrophies stromales liées au gène TGFBI ont également été décrites : dystrophie granulaire de type I ou dystrophie de Groenouw I et granulaire de type 2 ou dystrophie d’Avellino. La première présente des opacités granulaires (Fig. 9), progressant d’arrière en avant,

et vers la périphérie ; des variants sont décrits : aspect en miette de pain, en flocons [7]. On retrouve dans la dystrophie d’Avellino des dépôts granulaires en flocons de neige, pouvant être associés à des lignes grillagées de localisation plus profonde (Fig. 10). Notre observation chez cet enfant de 7 ans montre une symptomatologie douloureuse associée à des opacités rondes, duveteuses, centrales, sans opacités linéaires. La confusion avec une dystrophie de Cogan paraît possible. À l’issue de seulement 3 ans d’évolution, à savoir d’élaboration continue d’une protéine mutée au sein de

Figure 8. Photographie en lampe à fente : aspect en rayon de miel, dystrophie de Thiel-Behnke.

e30

Lettre à l’éditeur cornée [9—11]. Dans notre observation, la notion dès la 1re consultation d’une pathologie cornéenne paternelle aurait permis d’orienter le diagnostic. Le diagnostic chez les sujets présentant une atteinte modérée et asymptomatique n’est souvent réalisé qu’après prise en charge d’un parent présentant un tableau plus sévère [6]. À ce jour, aucune étude n’a permis d’étudier l’évolution depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte du phénotype de cette dystrophie. Cette observation illustre l’évolution du phénotype au cours de l’enfance des patients porteurs de dystrophie grillagée de type I, pouvant être responsable de confusions diagnostiques. Elle permet également de rappeler les différentes formes cliniques liées aux mutations du gène TGFBI. L’analyse génétique reste un outil indispensable pour déterminer le type de dystrophie cornéenne. Par ailleurs, nous soulignons l’importance de la conduite d’un interrogatoire rigoureux, notamment familial, constituant un outil d’orientation diagnostique majeur et permettant ainsi d’améliorer la prise en charge thérapeutique et le suivi de ces jeunes patients. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.

Figure 9. Photographie en lampe à fente : aspect classique de dystrophie granulaire de type I chez un adulte.

la matrice extra-cellulaire des cornées, nous assistons à la formation de premières opacités de forme linéaire, plus typiques. L’aspect classique du phénotype est double : d’une part, une symptomatologie dès la 1re décennie et, d’autre part, une évolution de la taille, du nombre et de la localisation des opacités pendant plusieurs décennies avant d’atteindre l’aspect typique grillagé, retrouvé chez le père de cet enfant (Fig. 6). Edelstein et al. [8] ont présenté un cas de dystrophie grillagée type I, confirmé par l’analyse génétique mais présentant des caractéristiques phénotypiques en faveur d’une dystrophie cornéenne d’Avellino. Dans la littérature, on retrouve plusieurs études sur les corrélations génotype-phénotype dans les dystrophies de

Figure 10. Photographie en lampe à fente : aspect granulaire épais, floconneux dans une dystrophie d’Avellino.

Références [1] Cogan DG, Kuwabara T, Donaldson DD, Collins E. Microcystic dystrophy of the cornea. A partial explanation for its pathogenesis. Arch Ophthal 1974;92:470—4. [2] Chiambaretta F, Rozier B, Pilon F, Gérard M, Coulangeon LM, Creveaux I, et al. Phototherapeutic keratectomy in the treatment of lattice corneal dystrophy type I. J Fr Ophtalmol 2004;27:747—53. [3] Munier FL, Korvatska E, Djemaï A, Le Paslier D, Zografos L, Pescia G, et al. Kerato-epithelin mutations in four 5q31-linked corneal dystrophies. Nat Genet 1997;15:247—51. [4] Endo S, Nguyen TH, Fujiki K, Hotta Y, Nakayasu K, Yamaguchi T, et al. Leu518Pro mutation of the beta ig-h3 gene causes lattice corneal dystrophy type I. Am J Ophthalmol 1999;128: 104—6. [5] Fujiki K, Hotta Y, Nakayasu K, Yokoyama T, Takano T, Yamaguchi T, et al. A new L527R mutation of the betaIGH3 gene in patients with lattice corneal dystrophy with deep stromal opacities. Hum Genet 1998;103:286—9. [6] Pablo R, Vogel M, Diaz JM, Romero MP, Herrera L. Anticipation in familial lattice corneal dystrophy type I with R124C mutation in the TGFBI (BIGH3) gene. Mol Vis 2008;14:829—35. [7] Weiss JS, Møller HU, Lisch W, Kinoshita S, Aldave AJ, Belin MW, et al. The IC3D classification of the corneal dystrophies. Cornea 2008;27:S1—83. [8] Edelstein Sean L, Huang AJW, Harocopos GJ, Waltman SR. Genotype of lattice corneal dystrophy (R124C mutation in TGFBI) in a patient presenting with features of avellino corneal dystrophy. Cornea 2010;29:698—700. [9] Hou YC, Wang IJ, Hsiao CH, Chen WL, Hu FR. Phenotypegenotype correlations in patients with TGFBI-linked corneal dystrophies in Taiwan. Mol Vis 2012;18:362—71. [10] Paliwal P, Sharma A, Tandon R, Sharma N, Titiyal JS, Sen S, et al. TGFBI mutation screening and genotype-phenotype correlation in north Indian patients with corneal dystrophies. Mol Vis 2010;16:1429—38. [11] Zhe L, Wang YQ, Gong QH, Xie LX. An R124C mutation in TGFBI caused lattice corneal dystrophy type I with a variable phenotype in three Chinese families. Mol Vis 2008;14:1234—9.

Dystrophie de Cogan et dystrophie grillagee de type I chez un enfant de 10 ans E. Daniel ∗ , H. Nezzar , L.M. Coulangeon , N. Monneyron , F. Chiambaretta Service d’ophtalmologie, pôle médecine interne-ophtalmologie-ORL, CHU de Clermont-Ferrand, 58, rue Montalembert, 63003 Clermont-Ferrand, France

e31 ∗ Auteur

correspondant. 22, rue des Salins, 63000 Clermont-Ferrand, France. Adresse e-mail : [email protected] (E. Daniel) Disponible sur Internet le 29 octobre 2013

[Case report of Cogan-like dystrophy diagnosed as confirmed type I lattice corneal dystrophy in a 10-year-old child].

[Case report of Cogan-like dystrophy diagnosed as confirmed type I lattice corneal dystrophy in a 10-year-old child]. - PDF Download Free
2MB Sizes 0 Downloads 0 Views