Revue des Maladies Respiratoires (2014) 31, 259—262

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CAS CLINIQUE

Le carcinome bronchiolo-alvéolaire, une cause exceptionnelle de pneumopathie infiltrante diffuse au cours d’une leucémie aiguë myéloïde Bronchiolo-alveolar carcinoma: An exceptional cause of diffuse lung disease in a patient with acute myeloid leukaemia A. Boubaya a, E. Gomez a, A. Guerder a, H. Ropion-Michaux b, A. Kheir a, J.-M. Vignaud c, A. Chaouat a, F. Chabot a,∗ a

Service des maladies respiratoires et réanimation respiratoire, université de Lorraine, hôpitaux de Brabois, CHU de Nancy, rue du Morvan, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy, France b Service de radiologie, université de Lorraine, hôpitaux de Brabois, CHU de Nancy, rue du Morvan, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy, France c Service d’anatomie et cytologie pathologiques, université de Lorraine, hôpital Central, CHU de Nancy, 54000 Nancy, France Rec ¸u le 18 octobre 2012 ; accepté le 20 juin 2013 Disponible sur Internet le 23 aoˆ ut 2013

MOTS CLÉS Carcinome bronchioloalvéolaire ; Leucémie aiguë myéloïde ; Insuffisance respiratoire aiguë ; Pneumopathie diffuse



Résumé Introduction. — Le carcinome bronchiolo-alvéolaire (CBA) est un adénocarcinome pulmonaire primitif développé aux dépens des cellules de l’unité respiratoire terminale. Observation. — Une femme de 84 ans, non fumeuse ayant une leucémie aiguë myéloïde (LAM) non traitée, a été hospitalisée pour une pneumopathie bilatérale hypoxémiante sévère. Depuis trois mois, elle décrivait une dyspnée croissante associée à une toux productive, sans amélioration après une antibiothérapie associée secondairement à une corticothérapie. Au scanner thoracique, il existait des condensations alvéolaires diffuses et des nodules multiples. Le bilan microbiologique était négatif et l’évolution était fatale en 72 heures en dépit d’une antibiothérapie probabiliste et d’une ventilation non invasive. À l’étude histologique d’une biopsie

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Chabot).

0761-8425/$ — see front matter © 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2013.07.003

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A. Boubaya et al. pulmonaire post-mortem, le diagnostic de CBA mucineux et non mucineux (mixte) était retenu en montrant une prolifération épithéliale monocouche à la surface des alvéoles, dont les septa étaient discrètement épaissis, non fibrosés et non inflammatoires et sans foyer d’invasion retrouvé. Conclusion. — Le diagnostic de CBA constitue un diagnostic alternatif devant des condensations pneumoniques associées à des nodules pulmonaires même chez le sujet immunodéprimé. Un diagnostic précoce permet dans certains cas un traitement curatif. © 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Bronchiolo-alveolar carcinoma; Acute myeloid leukaemia; Acute respiratory failure; Diffuse lung disease

Summary Introduction. — Bronchiolo-alveolar carcinoma is a primary pulmonary adenocarcinoma developing in the terminal respiratory unit. Case report. — An 84-year-old non-smoker woman with a history of untreated acute myeloid leukaemia was referred to the intensive care unit for pneumonia and acute respiratory failure. The patient reported dyspnoea and a productive cough for 3 months, treated by antibiotics and steroids without improvement. Thoracic CT-scan showed alveolar condensations and multiple nodular lesions. All microbiological samples were negative and the evolution was fatal within 72 hours despite empirical antibiotic therapy and noninvasive ventilation. Post-mortem lung biopsies gave a diagnosis of mucinous and non-mucinous bronchiolo-alveolar carcinoma with typical lepidic growth pattern of tumor cells and discrete septal thickening but no fibrosis, inflammation or local invasion. Conclusion. — Bronchiolo-alveolar carcinoma is an alternative diagnosis in alveolar condensations associated with pulmonary nodules even in a patient with immunosupression. Early diagnosis allows effective treatment in some cases. © 2013 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Le carcinome bronchiolo-alvéolaire (CBA) est un adénocarcinome pulmonaire primitif avec une définition histologique stricte et des particularités épidémiologiques, biologiques, cliniques, pronostiques et thérapeutiques le distinguant des autres cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) [1]. La progression tumorale, essentiellement lépidique, explique la présentation pneumonique multifocale parfois responsable d’une hypoxémie sévère réfractaire déterminant le pronostic à court terme [2]. L’origine du CBA est discutée chez l’homme.

et l’absence de syndrome tumoral palpable. À la biologie, la protéine C-réactive était à 66 mg/L, la procalcitonine à 0,23 ng/mL, l’hémoglobine à 10 g/dL, le volume globulaire moyen à 124 fl, les leucocytes à 3,6 G/L (dont 0,42 G/L de PNN) et les plaquettes à 30 G/L. À La radiographie thoracique, il existait des opacités alvéolaires denses bilatérales et systématisées, avec un bronchogramme aérien prédominant à gauche (Fig. 1). Au scanner thoracique, des condensations étaient associées à des lésions nodulaires et des plages de verre dépoli (Fig. 2). Les hémocultures, la recherche de l’antigène de Legionella pneumophila

Observation Une femme âgée de 84 ans, non fumeuse et sans exposition professionnelle était hospitalisée pour une pneumopathie bilatérale hypoxémiante sévère (pH 7,42, PaCO2 43 mmHg, PaO2 36 mmHg en air ambiant). Depuis trois mois, elle rapportait une toux productive séro-muqueuse et une dyspnée d’effort croissante sans fièvre, non améliorée par une antibiothérapie par amoxicilline et une corticothérapie orale. Le principal antécédent était une leucémie aiguë myéloïde (LAM) non traitée, révélée 15 mois auparavant par une pancytopénie découverte lors d’un bilan d’altération de l’état général. À l’admission en unité de soins intensifs respiratoires, l’état général était altéré, la pression artérielle à 115/60 mmHg, la fréquence cardiaque à 120/minute, la fréquence respiratoire à 23 cycles/minute et la température à 36,7 ◦ C. L’examen physique révélait un syndrome de condensation pulmonaire bilatérale à prédominance gauche

Figure 1. Radiographie thoracique de face. Opacités alvéolaires bilatérales occupant la quasi-totalité du poumon gauche, avec bronchogramme aérique (flèche).

Carcinome bronchiolo-alvéolaire et leucémie

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Discussion

Figure 2. Coupe axiale scannographique, fenêtre parenchymateuse. Condensations alvéolaires confluentes prenant un aspect pneumonique à gauche (étoile) et nodulaire à droite (flèche).

sérogroupe 1 et de Streptococcus pneumoniae dans les urines et l’examen cytobactériologique de l’expectoration étaient négatifs. Le diagnostic de pneumopathie infectieuse était évoqué et une antibiothérapie par ceftriaxone instaurée associée à une oxygénothérapie et une ventilation non invasive en raison d’une acidose respiratoire (pH 7,32, PaCO2 61 mmHg, PaO2 76 mmHg). L’évolution était rapidement défavorable et le décès était constaté à 72 heures. Une biopsie pulmonaire par thoracotomie était réalisée en post-mortem. À l’étude histologique, il était mis en évidence une prolifération épithéliale monocouche à la surface des alvéoles, dont les septa étaient discrètement épaissis, non fibrosés et non inflammatoires. Aucun foyer d’invasion n’était retrouvé (Fig. 3). Le diagnostic de CBA non mucineux et mucineux (mixte) était retenu. L’analyse moléculaire montrait la présence d’une mutation HER2 (insertion 12 pb) et l’absence de mutation EGFR (exons 18, 19, 20 et 21).

Figure 3. Biopsie pulmonaire (grossissement × 400). Adénocarcinome in situ, anciennement carcinome bronchiolo-alveolaire ; cellules tumorales avec une croissance lépidique typique sans foyer d’invasion.

Cette observation fait discuter le diagnostic d’une pneumopathie infiltrante diffuse de l’immunodéprimé. La durée d’évolution des symptômes, l’absence de détresse respiratoire aiguë contrastant avec la sévérité de l’hypoxémie puis de l’acidose respiratoire et l’étendue des lésions radiographiques rendent le diagnostic de pneumopathie communautaire à germes pyogènes peu probable. Une infection opportuniste doit être évoquée sur ce terrain et en particulier une nocardiose ou une zygomycose en présence de condensations pneumoniques et de nodules au scanner. L’hémorragie intra-alvéolaire est suspectée devant l’association d’une thrombopénie sévère et des opacités pulmonaires mais cette hypothèse n’est pas retenue au vu de l’aspect tomodensitométrique et l’absence d’aggravation de l’anémie déjà connue. L’infiltration pulmonaire leucémique est décrite dans les stades sévères de la LAM [3]. Dans ce cas, les lésions radiologiques différent de celles observées ici avec une infiltration réticulo-nodulaire le long des axes broncho-vasculaires, des septa et de l’interstitium sous-pleural simulant une lymphangite carcinomateuse. Par ailleurs, il a été rapporté exceptionnellement des cas de condensations pneumoniques parfois associées à des nodules correspondant à une localisation extramédullaire de la LAM, appelé sarcome myéloïde ou chlorome en raison de leur couleur verdâtre par excès de myélopéroxydase chez des patients insuffisamment ou non traités. L’absence de traitement de la LAM était un argument pour cette hypothèse. Une procédure diagnostique invasive était indispensable dans ce cas et n’a pu être réalisée en raison de la sévérité de l’insuffisance respiratoire. La biopsie pulmonaire postmortem a mis en évidence un CBA mixte. Dans la nouvelle classification IASCL/ATS/ERS qui préfigure la nouvelle classification OMS à venir, le CBA est dénommé adénocarcinome in situ pour les petites tumeurs de moins de 3 cm, considérées comme des lésions préinvasives. Il s’agit d’un sous-type d’adénocarcinome pulmonaire développé dans les unités respiratoires terminales, caractérisé par une prolifération uniforme de cellules tumorales le long des parois alvéolaires, sans envahissement vasculaire, lymphatique, pleural ou du stroma et conservant l’architecture normale du poumon. Au stade de lésion invasive, le CBA non mucineux avec un foyer d’invasion de plus de 5 mm, est dénommé adénocarcinome à prédominance lépidique et la variante mucineuse, adénocarcinome mucineux invasif [1]. Cette nouvelle classification, plus complexe et encore peu usitée, n’a pas remplacé dans la pratique clinique celle de l’OMS de 2004, toujours valide, raison de son utilisation ici. Actuellement, le CBA représente moins de 4 % de l’ensemble des CBNPC. L’âge de survenue se situe généralement entre 50 et 70 ans avec une légère prédominance féminine et un tabagisme dans 50 à 80 % des cas. Il existe deux formes radio-cliniques différentes. La forme nodulaire, la plus fréquente (43 % de l’ensemble des cas), est souvent asymptomatique et de découverte fortuite, caractérisée par un nodule (< 3 cm) ou une masse périphérique localisé, pouvant atteindre 10 cm de diamètre et dont l’aspect partiellement en verre dépoli au scanner est très évocateur [1]. L’exérèse chirurgicale constitue la modalité diagnostique et thérapeutique montrant quasi exclusivement un sous-type non mucineux avec une survie à cinq

262 ans proche de 100 %. L’autre forme dite pneumonique (30 %) et/ou nodulaire multiple (27 %) est souvent symptomatique, révélée par une toux chronique et une dyspnée d’effort croissante sans retentissement sur l’état général. La bronchorrhée séreuse, parfois abondante (> 500 mL/24 h), est rare mais très suggestive du diagnostic. Dans cette forme diffuse, l’imagerie est évocatrice avec des nodules multiples, des condensations alvéolaires confluentes ou encore du verre dépoli avec épaississement des septa, seul ou associé prenant un aspect en « crazy paving » et la différencie des autres CBNPC. Dans cette forme, la biopsie pulmonaire chirurgicale est la méthode diagnostique de choix. Si elle est contre-indiquée, notamment en cas d’hypoxémie sévère, la biopsie transbronchique ou transthoracique à l’aiguille guidée au scanner et la cytologie de l’expectoration ou du lavage bronchiolo-alvéolaire peuvent constituer des alternatives à la biopsie pulmonaire. L’analyse histologique révèle fréquemment un sous-type mucineux de mauvais pronostic parfois associé à un contingent non mucineux (forme mixte comme dans le cas rapporté). Les modalités thérapeutiques dans cette forme diffuse restent indéterminées mais l’utilisation des inhibiteurs de tyrosine kinase pourrait améliorer le pronostic des patients avec une mutation du gène EGFR [4]. La survenue du CBA a été associée à certaines conditions telles la fibrose pulmonaire idiopathique ou secondaire, les pneumoconioses, les séquelles de tuberculose et de radiothérapie [4]. L’originalité de cette observation est l’association à une LAM non traitée qui à notre connaissance n’a pas encore été décrite. Il s’agit probablement d’une association fortuite. En effet, les cas décrits au cours de la lymphadénopathie angio-immunoblastique et du lymphome de Hodgkin ont été associés aux séquelles de radiothérapie [5]. Cependant, l’immunodépression liée à la LAM peut faire évoquer l’hypothèse d’une origine virale du CBA en raison des similitudes avec l’adénocarcinome pulmonaire des bovins lié au virus Jaagsiekte [6]. Par ailleurs, dans une étude cas contrôle récente, il existait une prévalence élevée de CBA chez des patients japonais ayant un cancer du poumon avec une séropositivité pour le virus lymphotrope T humain de type 1 (HTLV-1) [7]. Dans les zones endémiques, HTLV-1 est associé à la leucémie à cellules T et à une bronchiolo-alvéolite à cellules T qui pourrait représenter un facteur de risque de développement du CBA. Ces résultas préliminaires nécessitent d’être confirmés dans des populations plus larges de cancer du poumon. Actuellement, il

A. Boubaya et al. n’existe aucune preuve formelle d’une origine virale du CBA chez l’homme. En conclusion, l’association de nodules pulmonaires multiples et de condensations pneumoniques chez un immunodéprimé fait rechercher une cause infectieuse en premier lieu. L’absence d’argument microbiologique et/ou d’amélioration sous traitement anti-infectieux doit faire évoquer, parmi les diagnostics différentiels, le diagnostic de CBA, dont le traitement peut être curatif dans certains cas.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements Les auteurs remercient le Dr José Vinuela (Nancy), pour sa contribution aux données cliniques.

Références [1] Travis WD, IASLC/ATS/ERS. International multidisciplinary classification of lung adenocarcinoma. J Thorac Oncol 2011;2:244—85. [2] Venkata C, Mireles JA, Venkateshiah SB. Refractory hypoxemic respiratory failure due to adenocarcinoma of the lung with predominant bronchioloalveolar carcinoma component. Respir Care 2009;54:1496—9. [3] Koh TT, Colby TB, Muller NL. Myeloid leukemias and lung involvement. Sem Respir Crit Care Med 2005;5:514—8. [4] Wislez M, Lavolé A, Gounant V, et al. Carcinome bronchioloalvéolaire : du concept aux stratégies thérapeutiques innovantes. Presse Med 2011;40:389—97. [5] Lesser M, Chang JC, Yoo OH, et al. Bronchioalveolar carcinoma arising in areas previously irradiated for Hodgkin’s disease. South Med J 1983;76:689—91. [6] Leroux C, Girard N, Cottin V, et al. Jaagsiekte Sheep. Retrovirus (JSRV): from virus to lung cancer in sheep. Vet Res 2007;38:211—28. [7] Nomori H, Mori T, Iyama K, et al. Risk of bronchioloalveolar carcinoma in patients with human T-cell lymphotropic virus type 1 (HTLV-1): case-control study results. Ann Thorac Cardiovasc Surg 2011;17:19—23.

[Bronchioloalveolar carcinoma: an exceptional cause of diffuse lung disease in a patient with acute myeloid leukemia].

Bronchiolo-alveolar carcinoma is a primary pulmonary adenocarcinoma developing in the terminal respiratory unit...
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