Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 374—380

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LETTRES À LA RÉDACTION Prurit brachioradial révélant un astrocytome médullaire cervical et traité par patchs de capsaïcine à 8 % Brachioradial pruritus revealing cervicomedullary astrocytoma and treated with 8% capsaicin patches En 2009, Fleuret et al. [1] présentaient dans les Annales de Dermatologie et Vénéréologie un cas de prurit brachioradial (PBR) révélant un épendymome. Nous rapportons un cas analogue, secondaire à un astrocytome pilocytique de siège C6-C7. Il s’agit du quatrième cas publié de PBR en relation avec une tumeur médullaire. Il souligne le rôle, déjà soupc ¸onné, des altérations nerveuses d’origine cervicale dans la pathogénie du PBR. Il suggère aussi que les patchs de capsaïcine pourraient être un outil supplémentaire dans l’arsenal thérapeutique de cette dermatose volontiers résistante aux traitements symptomatiques de la douleur, notamment quand la tumeur causale n’est pas extirpable en totalité. Observation Une femme de 65 ans présentait un prurit bilatéral des faces dorso-latérales des bras, des avant-bras ainsi que du deuxième espace interdigital droit et de l’omoplate du même côté. Ce prurit était intense, insomniant, permanent avec des paroxysmes ; il s’associait à des sensations de décharge électrique dans le même territoire et à des cervicalgies. Aucun facteur calmant ou aggravant n’était relevé. Le contexte était celui d’un diabète de type 2 équilibré, sans complications neurologiques. L’examen neurologique trouvait des dysesthésies dans les dermatomes C6-C7, des difficultés de l’opposition pouce — cinquième doigt à droite et des troubles de la pallesthésie aux membres inférieurs. L’electroneuromyogramme, effectué aux membres supérieurs, confirmait les troubles de la vitesse de conduction dans les territoires du PBR ainsi qu’un ralentissement de la conduction motrice des nerfs ulnaires aux deux coudes. L’imagerie en résonance magnétique (IRM) rachidienne authentifiait une tumeur médullaire située en arrière des corps vertébraux de C6-C7, avec une stricte superposition du PBR aux dermatomes correspondant à l’atteinte tumorale. Une biopsie partielle de la tumeur concluait à un astrocytome pilocytique de grade 1. L’exérèse radicale de la tumeur

n’était pas envisageable en raison de son caractère infiltrant. Divers traitements systémiques du prurit neuropathique (titrations successives par prégabaline, amitriptyline, duloxétine) et un traitement par une crème la capsaïcine à 0,075 % étaient inefficaces. Finalement, seule la mise en place en hospitalisation de jour deux fois à trois mois d’intervalle de patchs de capsaïcine concentrée à 8 % sur les bras et les avant-bras permettait d’obtenir une sédation temporaire mais indéniable de la douleur et des dysesthésies. La patiente était ensuite perdue de vue. Discussion Le prurit brachioradial est un prurit neuropathique chronique siégeant électivement sur la face dorso-latérale des bras, sur les épaules et occasionnellement dans le dos. Il s’associe fréquemment à des paresthésies et/ou à des douleurs à type de brûlure ou de décharge électrique. Il est souvent amélioré par l’application de glace et certains ont voulu faire de cette manœuvre un critère pour le diagnostic (« ice pack sign [2] »). Parfois simple prurit sine materia, il peut cependant occasionner une lichénification ou un prurigo. Une pigmentation est fréquente, sa physiopathologie n’est pas clairement expliquée : amylose cutanée secondaire au grattage, souvent difficile à mettre en évidence, ou bien simple hypermélanose de friction par incontinence pigmentaire. La physiopathologie du PBR est encore débattue. Chronologiquement, il a d’abord été considéré comme étant secondaire à des lésions cutanéo-nerveuses induites par l’exposition solaire chronique (« prurit solaire »[3]). Il fallut attendre 1983 pour que l’éventualité que le PBR soit dû à des altérations nerveuses à l’étage cervical soit envisagée [4]. Depuis, plusieurs études ont signalé son association à des radiculopathies, à des côtes cervicales [5], à une sténose foraminale par ostéophytose, à une protrusion discale et, beaucoup plus rarement, à une tumeur médullaire [1,6—8]. La découverte, par la pratique large de radiographies ou d’IRM, de conflits disco-vertébro-radiculaires de siège cervical chez un grand nombre de patients atteints de PBR [9] est un argument convergent, même si un biais est vraisemblable dans ce type d’étude du fait de la forte prévalence des pathologies dégénératives chez des sujets sains du même âge. La topographie du PBR, généralement strictement limitée à certains dermatomes (C5-C6) laisse néanmoins supposer une lésion nerveuse proximale, localisée au niveau

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Lettres à la rédaction de la moelle épinière ou des racines sensitives [10]. La disparition du prurit après décompression nerveuse accrédite ce point de vue [5,7,9], ainsi que l’action occasionnellement favorable des manipulations vertébrales [11]. La découverte d’une tumeur médullaire est exceptionnelle dans le PBR et notre cas est, à notre connaissance, le quatrième publié. Ce type d’observation a une forte valeur démonstrative en faveur de la théorie de la compression nerveuse, surtout quand la tumeur peut être enlevée en totalité et qu’il en résulte une guérison ou du moins une amélioration nette du PBR. Comme chez notre patiente, cette condition n’est pas toujours réunie pour les astrocytomes, tumeurs bénignes à évolution lente dont le traitement radical peut être difficile en raison de leur caractère souvent infiltrant. Un autre cas de PBR dû à un astrocytome de bas grade a été rapporté en 1992, mais il ne s’agissait que d’un diagnostic présomptif en l’absence de preuve histologique [8]. Les deux autres cas concernaient des épendymomes, autre grand type de tumeur médullaire dont les images en IRM peuvent être très voisines [1,12]. En pratique, la bilatéralité des symptômes, l’absence de saisonnalité de ceux-ci, l’association à des signes neurologiques déficitaires, notamment des troubles de la sensibilité aux membres supérieurs, doivent faire suspecter une origine tumorale du PBR et faire discuter une IRM cervicale. Chez notre patiente, le traitement étiologique n’était pas envisageable. En définitive, seules deux applications de patchs de capsaïcine à 8 % (Qutenza® ) sur les bras et avantbras pendant 60 minutes ont pu entraîner une rémission, certes temporaire, mais incontestable chez cette patiente en échec thérapeutique. Qutenza® est utilisé dans le traitement des douleurs neuropathiques périphériques. Son mécanisme d’action repose sur le principe de la saturation des nocicepteurs par de fortes doses de capsaïcine libérée en un temps court par le support, de manière à provoquer une excitation initiale de ces récepteurs, puis une désensibilisation plus ciblée des récepteurs vanilloïdes de type 1. L’utilisation de patchs de capsaïcine à 8 % dans la prise en charge du PBR n’a pas encore été publiée à notre connaissance, mais ce traitement mériterait sa place dans l’arsenal thérapeutique du prurit brachioradial, ne serait-ce qu’en raison de sa bonne tolérance si on la compare à celle de la plupart des traitements systémiques à visée neuropathique, notamment chez le sujet âgé. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Fleuret C, Dupré-Goetghebeur D, Person H, Pillette-Delarue M, Conan-Charlet V, Mériot P, et al. Prurit brachio-radial révélant un épendymome. Ann Dermatol Venereol 2009;136: 435—7. [2] Bernhard JD, Bordeaux JS. Medical pearl: the ice-pack sign in brachioradial pruritus. J Am Acad Dermatol 2005;52:1073. [3] Waisman M. Solar pruritus of the elbows (brachioradial summer pruritus). Arch Dermatol 1968;98:481—5. [4] Heyl T. Brachioradial pruritus. Arch Dermatol 1983;119:115—6. [5] Rongioletti F. Pruritus as presenting sign of cervical rib. Lancet 1992;339:55.

375 [6] Goodkin R, Wingard E, Bernhard JD. Brachioradial pruritus: cervical spine disease and neurogenic/neuropathic [corrected] pruritus. J Am Acad Dermatol 2003;48:521—4. [7] Binder A, Fölster-Holst R, Sahan G, Koroschetz J, Stengel M, Mehdorn HM, et al. A case of neuropathic brachioradial pruritus caused by cervical disc herniation. Nat Clin Pract Neurol 2008;4:338—42. [8] Kinsella LJ, Carney-Godley K, Feldmann E. Lichen simplex chronicus as the initial manifestation of intramedullary neoplasm and syringomyelia. Neurosurgery 1992;30:418—21. [9] Marziniak M, Phan NQ, Raap U, Siepmann D, Schürmeyer-Horst F, Pogatzki-Zahn E, et al. Brachioradial pruritus as a result of cervical spine pathology: the results of a magnetic resonance tomography study. J Am Acad Dermatol 2011;65:756—62. [10] Stumpf A, Ständer S. Neuropathic itch: diagnosis and management. Dermatol Ther 2013;26:104—9. [11] Tait CP, Grigg E, Quirk CJ. Brachioradial pruritus and cervical spine manipulation. Australas J Dermatol 1998;39:168—70. [12] Kavak A, Dosoglu M. Can a spinal cord tumor cause brachioradial pruritus? J Am Acad Dermatol 2002;46:437—40.

J. Hardy a,∗,b , C. Uthurriague a,b , N. Bibas a,b , E. Bon c , C. Paul b , J. Nougué a a Service de dermatologie, CHG de Montauban, 100, rue Léon-Cladel, BP 765, 82013 Montauban cedex, France b Service de dermatologie, CHU hôpital Larrey, 24, chemin de Pouvourville, TSA 30030, 31059 Toulouse cedex 9, France c CLUD du CHG de Montauban, 100, rue Léon-Cladel, BP 765, 82013 Montauban cedex, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Hardy)

Rec ¸u le 21 mai 2013 ; accepté le 10 janvier 2014 Disponible sur Internet le 24 f´ evrier 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.01.011

Apport d’une consultation de dermatologie d’urgence dans un centre de lutte contre le cancer franc ¸ais Contribution of an emergency dermatology consultation in a French cancer centre Avec le développement de nombreux nouveaux traitements anticancéreux et de leurs toxicités cutanées spécifiques, la demande d’avis dermatologiques en cancérologie est en augmentation. Elle est souvent présentée comme urgente par les services de cancérologie, car ces effets secondaires cutanés peuvent être invalidants, altérer de manière significative la qualité de vie et obliger à suspendre le traitement anticancéreux. Une consultation dermatologique spécialisée ponctuelle est mise en place dans la plupart de centres de lutte contre le cancer (CLCC) pour répondre à cette demande. Néanmoins, certaines pathologies ne peuvent pas toujours être vues en consultations programmées du fait des

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