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Antibiothérapie des infections ORL sévères du nourrisson et de l’enfant : infections péripharyngées Disponible en ligne sur
Antibiotherapy of severe ENT infections in children: peripharyngeal abscesses
www.sciencedirect.com
M. Lorrot1,2,3,4,*, H. Haas1,5, V. Hentgen1,6, T. Van Den Abbeele4,7, S. Bonacorsi4,8, C. Doit4,8, R. Cohen1,9,10, E. Grimprel1,11,12 1Groupe
de pathologie infectieuse pédiatrique de la Société française de pédiatrie
2Service de pédiatrie générale, hôpital Robert-Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris, France 3Inserm, CIE
5, Centre d’investigation clinique épidémiologie clinique, Essais cliniques, hôpital Robert-Debré, 48 boulevard Serurier, 75019 Paris, France 4Université Paris-Diderot, Sorbonne Paris Cité, 5 rue Thomas-Mann, 75013 Paris, France 5Service d’urgences pédiatriques – Infectiologie, hôpitaux pédiatriques, CHU Lenval, 57 avenue de la Californie, 06200 Nice, France 6Service de pédiatrie, hôpital Mignot, centre hospitalier de Versailles, 177 rue de Versailles, 78150 le Chesnay, France 7Service d’ORL pédiatrique, hôpital Robert-Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris, France 8Service de microbiologie, hôpital Robert-Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris, France 9Service de néonatalogie, hôpital intercommunal de Créteil, 40 avenue de Verdun, 94010 Créteil Cedex, France 10Association clinique et thérapeutique infantile du Val-de-Marne (ACTIV), 27 rue Inkermann, 94100 Saint-Maur-des-Faussés, France 11Service de pédiatrie générale, hôpital Armand-Trousseau, 26 avenue du Docteur-ArnoldNetter, 75571 Paris Cedex 12, France 12Université Pierre-et-Marie-Curie Paris 6, 4 place Jussieu, 75005 Paris, France
Résumé Les infections cervicales de l’enfant comportent les infections périamygdaliennes et les infections profondes latéro- et rétropharyngées. Les caractéristiques cliniques et la sévérité de ces infections varient en fonction de l’âge des enfants, en lien avec leur localisation. Elles sont souvent plurimicrobiennes et l’antibiothérapie probabiliste intraveineuse initiale doit cibler S. aureus sensible à la méticilline, le streptocoque de groupe A et les germes anaérobies. L’antibiothérapie probabiliste intraveineuse recommandée est l’association amoxicilline-acide clavulanique à forte dose (150 mg/kg/j en 3 ou 4 injections par jour) relayée, au bout de quelques jours, quand l’évolution est favorable, par l’amoxicilline-acide clavulanique per os (80 mg/kg/j). La durée totale du traitement antibiotique varie entre 10 et 14 jours. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Neck infections in children are categorized as peritonsillar infections, latero and retroparapharyngeal infections. The clinical features and severity of these infections vary according to different pædiatric age groups, in relation to the location of the infection. In France, the antimicrobial therapy should consider meticillin sensitive S. aureus, Streptococcus pyogenes and anerobic bacteria. Empiric initial antimicrobial therapy consists in high doses of parenteral amoxicillin-clavulanate (150 mg/kg d. in 3-4 doses) during a few days then changed to oral amoxicillin-clavulanate (80 mg/kg/d). The total course of therapy should be 10 to 14 days. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
*Auteur correspondant. e-mail :
[email protected] (M. Lorrot).
e1 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2013;20: e1-S4
M. Lorrot
Archives de Pédiatrie 2013;20: e1-S4
1. Introduction
3. Quels sont les germes cibles ?
Les infections cervicales de l’enfant comportent les infections
Ces infections sont souvent plurimicrobiennes et retrouvent
péripharyngées superficielles, périamygdaliennes et les infections
plusieurs germes de la flore oropharyngée. Les étiologies bac-
péripharyngées profondes : latéro- et rétropharyngées. Leur inci-
tériennes varient suivant les études en fonction des modalités
dence a été évaluée aux États-Unis à 30 pour 100 000 habitants
de réalisation des prélèvements microbiologiques : utilisation
par an (entre 5 et 59 ans), soit 45 000 cas par an [1]. Les infections
de milieu de culture anaérobie rarement effectuée, hémocul-
périamygdaliennes sont les plus fréquentes et représentent 30 %
tures non faites systématiquement [3,4,6-9]. Certaines études
des infections du cou [1-16]. Leur incidence a été évaluée en Irlande
soulignent la rentabilité des cultures de pus d’abcès (prélevé
à 1 cas pour 10 000 habitants par an [17]. Plusieurs études ont
à l’aiguille ou lors du drainage chirurgical) qui restent souvent
suggéré une augmentation de l’incidence des abcès du cou ces der-
positives malgré une antibiothérapie préalable : dans 85 % des
nières années. Cette tendance n’est pas confirmée et des limitations
cas dans l’étude de Craig et al. et dans 91 % des cas dans l’étude
importantes à l’interprétation de ces études sont à souligner : elles
de Coticchia et al.
sont rétrospectives et souvent réalisées dans un seul centre, et com-
Les germes les plus fréquemment retrouvés sont Staphylococcus
portent le plus souvent peu de patients [2-4,6-9]. Une seule étude
aureus et le streptocoque de groupe A (SGA). Streptococcus
a été effectuée à l’échelon national, en Grande-Bretagne. Elle a
pneumoniae, Haemophilus influenzae peuvent également être
montré, entre 1993 et 2003, alors que la prescription d’antibiotiques
retrouvés, plus rarement Klebsiella pneumoniae et Escherichia
avait diminué de 40 %, qu’il n’y avait pas eu d’augmentation de
coli. Les bactéries anaérobies (Fusobacterium, Prevotella, Porphy-
l’incidence des abcès périamygdaliens qui restait aux alentours de
romonas, Peptostreptococcus species, streptocoques anaérobies,
4 pour 100 000 par an [16].
Bacteroides, etc.) ne sont pas recherchées systématiquement et sont retrouvées de manière variable suivant les études : entre 3 % dans celle de Federici et al. à Toulouse et jusqu’à 19 % dans
2. Classification anatomique
celle de Lee et al. aux États-Unis [12]. Une des plus importantes séries publiées est celle réalisée par Coticchia et al., en 2004, qui
On distingue 3 types d’infections cervicales selon leur localisation
reprend 169 abcès du cou chez des enfants hospitalisés à l’hôpital
anatomique : les infections périamygdaliennes, latéropharyngées
pédiatrique de Chicago. La culture de pus était positive dans 91 %
et rétropharyngées. Elles se différencient par leur point de départ,
des cas : S. aureus dans 28 % des cas et SGA dans 25 % des
l’âge électif des patients, la symptomatologie clinique et leurs
cas. L’épidémiologie variait suivant l’âge de l’enfant : le SGA était
complications (Tableau I). Elles débutent par une infection des
majoritaire chez le sujet de plus de 1 an et S. aureus prédominait
structures ganglionnaires profondes (adénite) puis évoluent vers
avant cet âge [4].
une cellulite, ensuite un phlegmon qui s’organise en un abcès mature du cou. Il peut y avoir un risque vital par obstruction des voies respiratoires et/ou par sepsis, notamment en cas de retard diagnostique et/ou thérapeutique. Les complications sont parti-
4. Quelles sont les recommandations de prise en charge existantes ?
culièrement fréquentes dans les infections latéropharyngées du fait de la proximité avec les structures vasculaires de voisinage
Les recommandations existantes sont peu nombreuses et peu
(carotide, veine jugulaire interne) et la possibilité de throm-
précises sur les modalités du traitement antibiotique de ces infec-
bophlébites infectieuses responsables de la dissémination de
tions [18,19]. Elles définissent surtout les indications de l’imagerie
l’infection (extension intracrânienne ou au poumon, médiastinite,
et de la prise en charge chirurgicale [3,6,10,18]. Pourtant l’antibio-
septicémie, thrombophlébite de la veine jugulaire, érosion de la
thérapie est essentielle à la prise en charge de ces infections car
carotide). Les complications sont plus rares chez l’enfant que chez
son initiation rapide et efficace au stade de cellulite peut éviter
l’adulte.
l’évolution vers l’abcédation et surseoir au drainage chirurgical.
Le syndrome de Lemierre ou « syndrome angine-phlébite jugulaire
Ainsi, environ la moitié de ces infections évoluent favorablement
– abcès du poumon » est une entité à part. Il s’agit d’une septicémie
sous antibiothérapie seule.
qui fait suite à une angine ou à une pharyngite nécrosante à Fuso-
Le scanner cervical à la recherche d’une complication (abcès à drai-
bacterium necrophorum avec la formation d’une thrombophlébite
ner, thrombose veineuse) n’est effectué initialement qu’en cas de
septique de la veine jugulaire interne permettant la diffusion de
signe de gravité (torticolis fébrile, signes de sepsis, dyspnée, signes
l’infection et l’apparition de foyers septiques secondaires pulmo-
neurologiques, évolution rapidement extensive), et/ou chez l’enfant
naires, cérébraux, hépatiques, ostéoarticulaires [14,15].
de moins de 6 mois ou en l’absence d’amélioration clinique au bout
e2
Antibiothérapie des infections ORL sévères du nourrisson et de l’enfant : infections péripharyngées
Tableau I Classification des infections péripharyngées de l’enfant.
Infections péri-amygdaliennes
Point de départ
Localisation Risques évolutifs
Âge
Signes cliniques
Angine +++ Pharyngite
Capsule amygdalienne et espace sous le muscle constricteur sup
Adolescent Adulte jeune
Pas de tuméfaction cervicale Trismus Sialorrhée Voix assourdie Odynophagie Gonflement de l’amygdale Bombement du pilier antérieur Déplacement controlatéral de la luette
> 8 ans Adolescent Adulte
Tuméfaction cervicale (parotidienne, sous mandibulaire) Trismus Sialorrhée Tuméfaction paroi pharyngée latérale