Presse Med. 2015; 44: 30–36

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Dossier thématique

Angiœdème : diagnostics différentiels David Launay 1,2,3,4

Disponible sur internet le : 18 décembre 2014

1. Université de Lille, faculté de médecine, 59045 Lille cedex, France 2. CHRU de Lille, hôpital Claude-Huriez, Centre national de référence de la sclérodermie systémique, service de médecine interne, 59037 Lille cedex, France 3. EA2686, 59000 Lille, France 4. Centre national de référence des angiœdèmes à kinine (CREAK), 38700 La Tronche, France

Correspondance : David Launay, CHRU de Lille, hôpital Claude-Huriez, service de médecine interne, rue Michel-Polonovski, 59037 Lille cedex, France. [email protected]

Points essentiels L'angiœdème (AE) est un syndrome clinique défini par un gonflement localisé du derme profond ou des tissus sous-cutanés ou sous-muqueux. Il apparaît rapidement, n'est pas prurigineux, toujours circonscrit, transitoire et disparaît sans séquelles. Un gonflement qui ne répond pas à ces critères n'est pas un AE. La démarche étiologique d'un AE (histaminique ou bradykinique) ne doit être commencée qu'après vérification qu'il s'agit bien d'un AE. Parmi les diagnostics différentiels, deux situations peuvent être particulièrement trompeuses : les œdèmes généralisés mais évoluant par poussées ou semblant prédominer dans une zone corporelle ; les œdèmes localisés permanents mais qui dans la phase d'installation peuvent fluctuer dans le temps et passer pour une « poussée d'angiœdème ». Il faut savoir remettre en cause un diagnostic d'AE lorsque l'évolution est atypique ou devant une résistance au traitement. L'AE héréditaire est une pathologie rare alors que l'AE histaminique est beaucoup plus fréquent (attention au sur-diagnostic de la pathologie rare). Même chez les patients ayant un AE connu et avéré, il faut savoir évoquer un diagnostic différentiel devant toute manifestation compatible avec une poussée mais atypique ou répondant mal au traitement.

Key points Angioedema: Differential diagnosis

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Angioedema (AO) is a clinical syndrome defined by a local swelling of the deep dermis or subcutaneous/submucosal tissues. AO is of rapid installation, non-pruritic, always circumscribed and transitory without any sequellae. A swelling not fulfilling these characteristics is not an AO.

tome 44 > n81 > janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.06.016 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Angiœdème : diagnostics différentiels

Characterization of the bradykinic or histaminic mechanism should not be started until it is firmly established that the patient has an AO. Among differential diagnosis of AO, two clinical situations can be particularly misleading: generalized edema with flare and remission or with a subjective or objective localized predominance; permanent localized edema but with fluctuation during time. Diagnosis of AO should be questioned if the evolution is unusual or if there is a resistance to the treatment. Hereditary AO are rare diseases whereas histaminic AO are much more frequent (beware of overdiagnosis of a rare disease). Even in patients with a known and real AO, a differential diagnosis should be evoked when a new clinical manifestation is atypical or is treatment resistant.

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angiœdème héréditaire dont la « crise abdominale résistante » était en fait une péritonite appendiculaire ou une pancréatique lithiasique. . . Mais c'est aussi exact pour des localisations a priori hors de tout soupçon comme un œdème jugal, résistant au traitement, mais dont l'analyse sémiologique et le suivi a permis de diagnostiquer soit une cellulite dentaire soit une parotidite chez un patient ayant pourtant un angiœdème héréditaire avéré. . . Le troisième élément de réflexion est que les angiœdèmes héréditaires sont des maladies rares, contrairement à d'autres diagnostics différentiels. Il est prudent d'évoquer d'abord les pathologies les plus fréquents, tout en gardant à l'esprit la possibilité d'une maladie rare. Dans cette mise au point, nous aborderons le diagnostic positif et les diagnostics différentiels des angiœdèmes. Nous n'aborderons pas les différents mécanismes (histaminiques versus bradykiniques) des angiœdèmes avérés.

Diagnostic positif Un angiœdème est un syndrome clinique défini par un gonflement localisé du derme profond ou des tissus sous-cutanés ou sous-muqueux, lié à une dilatation et une augmentation de la perméabilité vasculaire locale. Ce gonflement est d'apparition rapide, en quelques minutes ou en quelques heures [3,4]. Il n'est pas prurigineux mais peut être douloureux. Il est souvent blanc ou légèrement rosé, mou, déformant et toujours circonscrit. Il est toujours transitoire et dure de quelques heures à quelques jours. Il disparaît complètement, généralement en moins de 7 jours, sans exception, et sans aucune séquelle. Il est le plus souvent récidivant. Les localisations les plus fréquentes de l'angiœdème sont les extrémités, la face, les voies aériennes supérieures et l'abdomen [5,6]. D'autres localisations sont possibles mais moins fréquentes : appareil génital, système urinaire. . .

Diagnostic différentiel Les caractéristiques cliniques décrites ci-dessus peuvent également se décliner en miroir : tout gonflement généralisé et/ou

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angiœdème ou sa suspicion est un motif fréquent de consultation dans les services d'accueil des urgences ainsi que dans différents services de spécialité [1]. À côté de certaines situations relativement simples mais assez rares, telle une nouvelle poussée d'angiœdème typique chez un patient ayant un diagnostic connu (angiœdème héréditaire ou angiœdème histaminique, par exemple), la plupart des situations nécessitent une démarche diagnostique précise. La première question à se poser est : s'agit-il bien d'un angiœdème ? Pour triviale qu'elle puisse apparaître, cette question est cependant, comme nous le verrons, fondamentale mais pas toujours aisée. Y répondre peut éviter une errance diagnostique ou thérapeutique ou des examens complémentaires inadaptés. Il est également essentiel de ne se poser la question du mécanisme éventuel d'un hypothétique angiœdème qu'une fois certain qu'il s'agisse bien d'un angiœdème ou que la présentation clinique soit effectivement compatible. Faire l'inverse, c'està-dire, par exemple, doser le C1 inhibiteur (C1 Inh) quantitatif ou fonctionnel devant un tableau non compatible avec un angiœdème, est s'exposer à des erreurs diagnostiques et notamment un diagnostic par excès. Il faut cependant reconnaître que certains diagnostics différentiels de l'angiœdème sont particulièrement trompeurs, notamment par le caractère récidivant et évoluant par crise de leurs manifestations, et que seul l'examen clinique attentif, l'interprétation des examens complémentaires comprenant la recherche de pathologies se manifestant par des angiœdèmes et parfois seule l'évolution permettront un diagnostic correct. Il faut d'ailleurs savoir remettre en cause régulièrement un diagnostic posé d'angiœdème lorsque cette évolution devient atypique soit cliniquement soit par la résistance à un traitement bien conduit. Le deuxième élément de réflexion découle de la pratique clinique : il faut savoir évoquer un diagnostic différentiel de l'angiœdème même si le patient a un angiœdème connu. C'est particulièrement vrai pour les localisations viscérales de l'angiœdème ou en cas d'atypie et notamment de résistance à un traitement bien conduit [2]. Les médecins ayant en charge ces patients ont de multiples exemples de patients ayant un

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inflammatoire et/ou permanent et/ou durant plusieurs semaines et/ou laissant des séquelles ne peut pas être un angiœdème et la démarche étiologique d'un angiœdème, tel le dosage de C1 Inh, est inutile, voire peut fausser les pistes en mettant en évidence des petites anomalies qui seront finalement sans rapport avec la pathologie en cause [7]. La présence de fièvre ou de lésions cutanées en regard du gonflement, tels des vésicules ou un placard inflammatoire, est également en défaveur d'un diagnostic d'angiœdème. Une mauvaise démarche diagnostique est illustrée par l'exemple suivant : mise en évidence d'une altération modérée de la fonction du C1 Inh, liée par exemple à la prise d'estrogènes, et aboutissant à tort à un diagnostic d'angiœdème héréditaire de type III, ce dosage ayant été demandé chez une patiente ayant finalement, par exemple, une cellulite de la face ou un syndrome de Melkersson-Rosenthal ou une tumeur orofaciale se manifestant par un gonflement permanent. D'autre part, chaque localisation (extrémités, voies aériennes supérieures ou face, abdomen) de l'angiœdème à ses propres diagnostics différentiels. Certaines situations sont cependant particulièrement difficiles à différencier de l'angiœdème. C'est notamment le cas d'un œdème généralisé évoluant par crise avec une rémission complète, ou alors d'un œdème généralisé mais prédominant objectivement ou subjectivement à un endroit passant ainsi pour des « poussées d'angiœdème localisé ». C'est aussi

le cas d'un œdème localisé, finalement permanent, mais initialement fluctuant avec des périodes de rémissions plus ou moins longues, avant de devenir effectivement permanent. Cette période faite de rémissions et de récidives de l'œdème localisé, finalement permanent, peut assez facilement passer pour des poussées d'angiœdème. La démarche diagnostique simplifiée face à un œdème est résumée sur la figure 1.

Œdème généralisé

Par définition, l'angiœdème n'est pas un gonflement ou œdème généralisé et de ce fait certains diagnostics sont relativement faciles à éliminer tels que la rétention hydrosodée d'origine cardiaque, rénale ou hépatique, les hypoprotidémies et l'hypothyroïdie. Les causes médicamenteuses méritent également d'être évoquées tel les inhibiteurs calciques. Cependant, la présentation est parfois trompeuse, notamment lorsque l'œdème diffus apparaît faussement localisé par la pesanteur ou les contraintes mécaniques et/ou qu'il évolue par poussée. Ainsi, le ou la patiente va se plaindre « d'œdème des mains » alors qu'il est en fait généralisé. Parmi les œdèmes généralisés évoluant par poussées, deux diagnostics liés à un trouble de la perméabilité capillaire doivent être évoqués, l'un parce qu'il est fréquent et l'autre parce qu'il est grave : l'œdème cyclique idiopathique et les syndromes d'hyperperméabilité capillaire paroxystiques.

Figure 1

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Démarche diagnostique simplifiée face à un œdème généralisé ou localisé

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Angiœdème : diagnostics différentiels

Œdème permanent ou inflammatoire des extrémités Certaines pathologies s'accompagnent de gonflements des extrémités pouvant mimer un angiœdème mais s'en différencient par leur caractère permanent et/ou inflammatoire. Parmi les œdèmes permanents et non inflammatoires, les lymphœdèmes sont les plus fréquents. En cas d'installation subaiguë, il faudra évoquer les thromboses ou compressions veineuses. En cas d'œdème inflammatoire aigu, les causes infectieuses sont bien sûr à privilégier. Ainsi, les dermohypodermites infectieuses peuvent parfois avoir un début rapide, ne se manifestant que par un œdème isolé d'un membre ou de l'appareil génital et pouvant mimer un angiœdème. Le terrain et l'évolution permettent de redresser le diagnostic et il faut surtout se méfier alors d'un test par des corticoïdes dans une hypothèse allergique qui aggraverait bien sûr cette complication infectieuse. Un aspect de pseudo-érysipèle avec un œdème localisé aigu peut s'observer au cours de certaines maladies auto-inflammatoires, en particulier le syndrome TRAPS [10,11]. Enfin, les envenimations peuvent également se manifester par un œdème aigu inflammatoire. En cas d'installation plus subaiguë de l'œdème, une arthrite ou une ténosynovite importante doivent être évoquées et peuvent mimer un angiœdème. L'atteinte est le plus souvent

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Mise au point Figure 2 Remitting symmetrical seronegative synovitis with pitting edema (RS3PE) Noter l'œdème du dos de la main et la polyarthrite touchant les articulations métacarpophalangiennes et interphalangiennes.

permanente, très localisée ou circonscrite aux articulations et l'existence d'un syndrome inflammatoire permettra aussi d'évoquer un diagnostic différentiel. Certaines connectivites ou maladies systémiques peuvent avoir un début œdémateux au niveau des doigts et des mains. C'est notamment le cas du RS3PE pour remitting symmetrical seronegative synovitis with pitting edema (figure 2). Cette pathologie touche électivement le sujet âgé de plus de 60 ans. Son début est rapide avec un œdème bilatéral, symétrique et distal, blanc et mou et qui a la particularité de prendre de manière évidente le godet. L'œdème atteint préférentiellement le dos des mains. Ce qui permet d'évoquer un diagnostic différentiel avec un angiœdème sont la présence d'une polyarthrite associée, le godet majeur et le syndrome inflammatoire biologique souvent considérable [12]. D'autres connectivites ou vascularites peuvent débuter par un aspect très œdémateux des mains et des doigts comme la sclérodermie systémique, le syndrome de Sharp ou la panartérite noueuse. Là encore, plusieurs éléments et notamment le caractère le plus souvent permanent de l'œdème, le contexte général et les anomalies cliniques et biologiques permettront de redresser le diagnostic.

Atteinte de la face et des voies aériennes supérieures Œdème permanent Certaines pathologies s'accompagnant d'un œdème permanent de la face ou des voies aériennes supérieures peuvent être difficiles à différencier d'un angiœdème, notamment si initialement elles fluctuent dans le temps.

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L'œdème cyclique idiopathique se manifeste par une prise de poids et des œdèmes lors de la période menstruelle et est lié à une hyperperméabilité capillaire probablement d'origine hormonale [8]. Ces œdèmes évoluent dont par poussées. La prise de poids n'est pas toujours notée par les patientes et le diagnostic différentiel avec un angiœdème peut être parfois difficile. Il est très important de demander aux patientes si elles prennent du poids lors de la « poussée » (et donc de les peser) et d'interroger précisément sur la localisation des œdèmes qui apparaîtront finalement diffus. La recherche d'une hyperperméabilité capillaire par un test isotopique au sérum albumine marquée au 99mTc (test de Landis) peut alors être utile. Le syndrome d'hyperperméabilité capillaire systémique (ou syndrome de Clarkson) se manifeste par des œdèmes généralisés évoluant par poussées avec prise de poids et, dans les formes les plus graves, hypotension et choc [9]. Dans les formes moins sévères, la problématique du diagnostic différentiel avec les angiœdèmes est la même qu'avec les œdèmes cycliques idiopathiques. La notion de prise de poids signe le caractère généralisé de l'œdème et exclut de ce fait le diagnostic d'angiœdème. Là encore, le test de Landis peut aider. Enfin, la présence d'un pic monoclonal est caractéristique de cette maladie et, lors des poussées, il existe une hémoconcentration (augmentation de l'hématocrite) avec une hypoalbuminémie paradoxale, là aussi caractéristique et non retrouvée dans l'angiœdème même sévère.

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Syndrome cave supérieur Il est lié à une compression ou une obstruction de la veine cave supérieure. Il se présente sous la forme d'une cyanose localisée du visage, d'un œdème en pèlerine plus marqué le matin en position couchée, d'une turgescence veineuse jugulaire et d'une circulation collatérale thoracique antérieure. De diagnostic relativement aisé lorsqu'il est avancé, le syndrome cave supérieur peut être un diagnostic différentiel difficile de l'angiœdème lorsqu'il est débutant et fluctuant et que la prédominance matinale peut passer pour une « poussée ». Emphysème sous-cutané Il peut survenir entre autres après une chirurgie de la tête et du cou, un traumatisme ou un pneumothorax. L'œdème est permanent. Une des difficultés diagnostiques est que quelques cas ont été rapportés après des soins dentaires, ce qui est bien sûr important à considérer, notamment chez les patients ayant un angiœdème héréditaire connu et souffrant d'un œdème après soins dentaires [13]. La palpation du gonflement est alors très importante et peut révéler une crépitation neigeuse. Un examen d'imagerie (radiographie, échographie et/ou scanner) va confirmer la présence d'air sous-cutané. Infection des tissus mous : cellulite faciale et abcès odontogènes À point de départ dentaire, la cellulite faciale ou les abcès odontogènes se caractérisent par un œdème douloureux et localisé au niveau de la face. Initialement, ils peuvent assez fidèlement mimer un angiœdème. Le diagnostic différentiel sera évoqué devant le caractère inflammatoire de la peau, la persistance du gonflement, la fièvre et le syndrome inflammatoire biologique. Là aussi, il ne faut pas être trop rapide à faire un test aux corticoïdes devant un « angiœdème » de la face inflammatoire mais évoquer ces complications infectieuses. À noter aussi que dans notre pratique clinique, ces infections à point de départ dentaire sont également un diagnostic différentiel très important des poussées d'angiœdème chez des patients porteurs d'un angiœdème héréditaire. Soit d'emblée s'il existe des atypies soit en cas de résistance de la « poussée » après un traitement spécifique de l'angiœdème héréditaire, il faut évoquer un diagnostic différentiel et les cellulites faciales en sont un important. Autres infections Les filarioses peuvent se présenter sous la forme d'épisode de gonflement circonscrit et transitoire. L'interrogatoire sur les voyages en zones d'endémie, la présence d'une hyperéosinophilie et l'enquête parasitologique permettent de redresser le diagnostic. La trichinose peut donner des œdèmes péri-orbitaux mais ces patients ont souvent des hémorragies sous-conjonctivales et un chemosis ainsi que des signes généraux inhabituels dans l'angiœdème. La trypanosomiase américaine peut également donner un œdème localisé avec le classique signe de Romana (œdème d'un œil). On peut également citer les infections suivantes : herpès, zona, mononucléose infectieuse

(l'œdème des paupières prend alors le nom de signe de Hoagland [14]) érysipèle et infections d'origine ophtalmologique (dacryocystite. . .). Syndrome de Melkersson-Rosenthal, chéilite de Miescher et autres granulomatoses Le syndrome de Melkersson-Rosenthal est une granulomatose oro-faciale rare, caractérisée par une langue plicaturée ou scrotale, des épisodes récidivants d'œdème labial qui peuvent ensuite devenir permanent et une parésie ou paralysie faciale unilatérale [15]. La chéilite granulomateuse de Miescher peut être considérée comme une forme incomplète de syndrome de Melkersson-Rosenthal, monosymptomatique, touchant la lèvre supérieure le plus souvent et évoluant par poussées œdémateuses, indolores, aboutissant à une infiltration permanente [16]. La phase pendant laquelle l'atteinte des lèvres évolue par poussées est alors clairement un diagnostic différentiel parfois difficile avec l'angiœdème. Cependant, les poussées durent quelquefois plus d'une semaine, ce qui est incompatible avec un angiœdème et l'évolution vers un gonflement permanent permet de redresser un éventuel diagnostic erroné d'angiœdème. La biopsie de la lèvre permet de confirmer le diagnostic lorsqu'elle montre une infiltration granulomateuse. D'autres granulomatoses à possible localisation oro-faciale peuvent poser le même genre de problème diagnostique avec un angiœdème, tels la sarcoïdose ou la maladie de Crohn. Le syndrome du Morbihan associe des œdèmes palpébraux à répétition, corticorésistants, évoluant par poussées, de façon chronique, dans un contexte de rosacée. L'examen anatomopathologique montre une inflammation aspécifique avec parfois des granulomes [17]. La biopsie est indispensable, notamment pour ne pas méconnaître une localisation lymphomateuse ou une maladie de Kaposi. Scléredème de Buschke Il s'agit d'une maladie rare caractérisée par une infiltration œdémateuse de la peau et associée à une infection, au diabète et aux dysglobulinémies monoclonales. Dans sa forme diffuse, elle ne pose pas de problème de diagnostic différentiel avec un angiœdème. En revanche, des formes plus localisées, par exemple aux paupières [18], peuvent initialement mimer un angiœdème mais le caractère permanent permet de redresser le diagnostic. Dermatomyosite et lupus La dermatomyosite peut s'accompagner d'œdème des paupières, parfois intermittent. Cet œdème est plutôt inflammatoire et s'inscrit dans un contexte général permettant d'évoquer le diagnostic. Dans le lupus, des œdèmes palpébraux sont parfois inauguraux. Gonflements ou œdèmes pouvant être transitoires Plusieurs pathologies peuvent se manifester sous la forme d'œdème localisé, transitoire et récidivant, au niveau facial ou des voies aériennes supérieures. Les parotidites, quelle

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Angiœdème : diagnostics différentiels

Atteinte abdominale La problématique est double : tout d'abord, il faut penser à un angiœdème devant des douleurs abdominales récidivantes mais au même titre que les autres causes de douleurs abdominales récidivantes. Ensuite, chez un patient ayant un angiœdème connu, il ne faut pas passer à côté d'un diagnostic différentiel en cas de douleur abdominale mimant une poussée de la maladie. Chez les patients ayant un angiœdème connu, par exemple héréditaire, la survenue d'une douleur abdominale pose la question de sa relation avec l'angiœdème. Au cours de l'angiœdème héréditaire, plus de la moitié des crises concernent l'abdomen avec des douleurs parfois intenses, pseudo-chirurgicales, des nausées et vomissements voire un véritable syndrome occlusif [6]. Si un patient ayant un angiœdème héréditaire connu et des crises douloureuses abdominales habituelles a une douleur abdominale similaire à ces crises antérieures, sans atypie comme par exemple de la fièvre, un test thérapeutique et diagnostique par un traitement

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spécifique de l'angiœdème héréditaire est licite. L'effet positif doit se faire ressentir dans les 30 à 45 minutes après le traitement. En l'absence d'amélioration, il faudra se poser la question d'un diagnostic différentiel ou d'une crise douloureuse abdominale rebelle, tous deux justifiant une hospitalisation en urgence pour des examens complémentaires, y compris un scanner abdominal si nécessaire. S'il s'agit d'une première crise abdominale, une attitude de prudence consiste à éliminer un diagnostic différentiel et à faire un test thérapeutique. La fièvre et un syndrome inflammatoire, notamment une hyperleucocytose, sont inhabituelles au cours des poussées d'angiœdème. Les endoscopies digestives ne sont pas recommandées. Mais si elles sont réalisées, elles montrent un œdème muqueux diffus. Les biopsies montrent un infiltrat inflammatoire minime non spécifique et un œdème de la lamina propria [21–23]. Il peut exister une ascite liée à l'extravasation de fluide dans la cavité péritonéale. Chez un patient n'ayant pas d'angiœdème connu, la survenue de douleurs abdominales à répétition doit amener à un bilan étiologique. L'existence d'épisode d'angiœdème extra-abdominal facilite grandement l'hypothèse diagnostique mais certains angiœdèmes ne se manifestent que par des crises abdominales. D'autres pathologies peuvent se manifester par des crises douloureuses abdominales à répétition. On peut citer notamment l'intestin irritable, la porphyrie aiguë intermittente, la maladie périodique ou d'autres maladies auto-inflammatoires, ainsi que le saturnisme.

Conclusion Tout gonflement ne remplissant pas clairement les caractéristiques d'un angiœdème n'est pas un angiœdème et il faut résister à la tentation de faire un bilan à la recherche du mécanisme de cet hypothétique angiœdème. Certaines situations cliniques et notamment les œdèmes généralisés et/ou permanents mais évoluant par poussées et/ou fluctuants et/ ou prédominant ou semblant prédominer sur une zone corporelle sont parmi les diagnostics différentiels les plus complexes de l'angiœdème. Il faut donc savoir réévaluer et remettre en cause un diagnostic d'angiœdème lorsque l'évolution devient atypique (caractère finalement permanent) ou devant une résistance au traitement. Enfin, les angiœdèmes héréditaires sont des pathologies rares et si, bien sûr, il ne faut pas les sous-diagnostiquer, il faut aussi avoir la prudence de ne pas les sur-diagnostiquer en s'assurant d'abord de la réalité de l'angiœdème par l'absence de diagnostics différentiels. Déclaration d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

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que soit leur étiologie (syndrome de Sjögren, par exemple), peuvent mimer un angiœdème. Une pathologie sinusienne peut également se manifester par un œdème de la face, évoluant au gré des poussées de cette pathologie. Les eczémas de contact peuvent être également de diagnostic difficile, notamment dans leur forme initiale, le contact avec l'antigène pouvant remonter à 24–48 h. L'examen attentif recherchera des vésicules en pourtour de l'œdème et l'évolution (aspect de suintement et desquamation) permettra de trancher. L'ophtalmopathie basedowienne peut également se présenter par des œdèmes palpébraux pouvant évoluer par poussée au départ avant de devenir permanents. Les œdèmes d'origine lymphatique, notamment les malformations lymphatiques kystiques, sont normalement d'évolution progressive mais peuvent donner des poussées inflammatoires ou infectieuses pouvant mimer une poussée d'angiœdème et sont un diagnostic différentiel difficile lorsqu'ils se situent au niveau du cou, de la face, de la langue ou des voies aériennes supérieures [19]. Une imagerie dédiée est alors d'une grande aide pour dépister et confirmer cette malformation. Certains patients ont des œdèmes récidivants de la luette. Si cela peut correspondre à un authentique angiœdème (se méfier notamment d'une urticaire physique), le reflux gastro-œsophagien, le syndrome d'apnée du sommeil et l'utilisation de certaines drogues (cannabis, cocaïne. . .) peuvent également donner un œdème intermittent de la luette. Enfin, une dysfonction des cordes vocales (paradoxical vocal cord movement) d'origine fonctionnelle, de présentation bruyante, peut parfois passer pour un angiœdème laryngé [20].

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Angioedema (AO) is a clinical syndrome defined by a local swelling of the deep dermis or subcutaneous/submucosal tissues. AO is of rapid installation,...
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