Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 295—297

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LETTRES À LA RÉDACTION Pelade sous antituberculeux Alopecia areata in a patient treated with antitubercular drugs Mots clés : Pelade ; Anti-tuberculeux ; Effet secondaire ; Enfant Keywords: Alopecia aerata; Antitubercular drugs; Adverse effects; Child La pelade est une affection relativement fréquente chez l’enfant et l’adulte. Sa pathogénie reste mal connue. Elle est caractérisée par une chute de cheveux en rapport avec un infiltrat lymphocytaire T folliculaire. Différents travaux suggèrent l’hypothèse d’un mécanisme immunologique associé à des facteurs environnementaux dans la genèse du trouble. Elle est souvent considérée comme une maladie auto-immune, mais la cible immunologique reste inconnue [1]. Les cas de pelade où l’imputabilité de certains médicaments peut être suspectée sont rares. Il s’agit essentiellement de médicaments immunomodulateurs comme la ciclosporine [2], les anti-TNF alpha [3] ou l’ustékinumab (anti-interleukines 12/23) [4]. Nous rapportons le cas d’un enfant ayant présenté une plaque de pelade après introduction d’un traitement antituberculeux et discutons de l’imputabilité de ce traitement en nous appuyant sur une analyse de la littérature. Observation ¸on de sept ans consultait pour une alopécie cirUn garc conscrite apparue six semaines auparavant. Il ne présentait pas d’antécédents notables, ni personnels, ni familiaux, en dehors d’un traitement par rifampicine et isoniazide qu’il recevait depuis deux mois à titre préventif, à la suite d’un contage tuberculeux. Quinze jours après le début de ce traitement, l’enfant avait commencé à développer une alopécie non cicatricielle, en plaque unique du vertex (Fig. 1). Le diagnostic clinique de pelade était retenu. Un traitement local par dermocorticoides très forts (propionate de clobétasol, Dermoval® ) était prescrit. Le traitement par antituberculeux a été poursuivi pour une durée totale de 120 jours. La repousse des cheveux au niveau de la zone atteinte a débuté sous traitement local avant la fin du traitement antituberculeux. L’enfant a été

Figure 1. Plaque de pelade développée 15 jours après le début du traitement par isoniazide et rifampicine.

revu en consultation trois mois après la fin de la bithérapie antituberculeuse. Il présentait une guérison totale de sa pelade. La pelade n’a pas récidivé après l’arrêt du traitement avec un recul de deux ans. Le diagnostic final était celui d’une pelade possiblement induite par le traitement antituberculeux. Discussion Huit observations de pelade associées à la prise d’antituberculeux conventionnels ont été rapportées dans la littérature (Tableau 1) [5—7]. Il s’agissait d’enfants (n = 2) et d’adultes (n = 6) des deux sexes. Trois adultes étaient infectés par le VIH. Dans les huit observations, la rifampicine (prise seule dans deux cas, en prévention méningococcique) ou l’isoniazide étaient imputées. Le délai d’apparition après le début du traitement et la découverte de l’alopécie variait de deux semaines à quatre mois. Une régression et/ou une absence de rechute de la pelade étaient rapportées à l’arrêt du traitement antibiotique. La tuberculose et de la pelade sont deux pathologies relativement fréquentes ; la conjonction fortuite des deux n’est donc pas impossible. D’autre part, la tuberculose est volontiers associée à des maladies auto-immunes telles que maladie d’Addison, syndrome de Goodpasture, polymyosites, péri-artérite noueuse ou anémies hémolytiques [8] ;

0151-9638/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.01.008

296 Tableau 1

Lettres à la rédaction Observations de pelades apparues sous antituberculeux.

Sexe, âge

Anti-tuberculeux

Indication

Type de la pelade

Délai d’apparition

Évolution

F, 43 ans [5]

Rifampicine, isoniazide, éthambutol, pyrazinamide Rifampicine, isoniazide, éthambutol, pyrazinamide

Tuberculose

Diffuse

1 mois

Non communiquée

Tuberculose

Diffuse

4 mois

H, 40 ans [5]

Rifampicine, isoniazide, éthambutol, pyrazinamide

Tuberculose

Diffuse

1 mois

H, 29 ans [5]

Rifampicine, isoniazide, éthambutol, pyrazinamide

Tuberculose

Diffuse

2 mois

H, 21 ans [5]

Rifampicine, isoniazide, éthambutol, pyrazinamide

Tuberculose

Diffuse

6 semaines

F, 9 ans [6]

Rifampicine

Prophylaxie Plaque méningococccique

2 semaines

F, 11 ans [6]

Rifampicine

Prophylaxie Diffuse méningococccique

4 semaines Récidive à 6 mois

F, 30 ans [7]

Rifampicine, isoniazide, éthambutol, pyrazinamide

Tuberculose

Diffuse

1 mois

H, 7 ans

Rifampicine, isoniazide

Contage tuberculeux

Plaque

2 semaines

Repousse complète 4 mois après l’arrêt des traitements Décès du patient en cours de traitement (d’une overdose) Repousse des cheveux à l’arrêt des traitements antituberculeux Repousse des cheveux après changement de traitement au bout de 5 mois pour éthambuthol + rifampicine. Arrêt de l’isoniazide Repousse des cheveux mais sous forme de cheveux frisés, plus clairs Repousse complète mais sous forme de cheveux plus fins Repousse des cheveux deux mois après l’arrêt de l’isoniazide Poursuite des autres antituberculeux Repousse complète trois mois après l’arrêt du traitement

F, 35 ans [5]

H : homme/garc ¸on ; F : femme/fille.

mais aussi à des pathologies où des mécanismes immunitaires impliquant des bactéries sont discutés, telles que, en dermatologie, l’érythème noueux ou certaines vascularites [9]. L’imputabilité des antituberculeux, essentiellement isoniazide et rifampicine, dans l’apparition de la pelade peut donc être discutée. Plusieurs arguments plaident cependant en la faveur d’un rôle de ces traitements dans la genèse de la pelade. Tout d’abord, dans deux observations, la rifampicine avait été introduite seule en prévention de la méningite à méningocoque : ce lien est donc observé dans d’autres pathologies que la tuberculose. La chronologie aussi est en faveur de cette association : dans les neuf observations (les huit de la littérature et la nôtre), la pelade s’est développée après le début des antituberculeux et a régressé soit pendant le traitement (avec traitements locaux associés), soit à l’arrêt, sans récidiver. Un autre argument de poids est que l’isoniazide et la rifampicine sont impliquées dans l’apparition de maladies inflammatoires telles que des lupus, des méningites aseptiques, des cytopénies, des hépatites [10—14], ou dans la déstabilisation de maladies auto-immunes [15]. Enfin, de fac ¸on troublante,

dans trois observations la pelade s’est développée chez des patients infectés par le VIH. Cela pourrait être rapproché du fait que la majorité des pelades sous ciclosporine ont été rapportées chez des patients transplantés d’organe [3]. Ces constatations peuvent suggérer que, dans un contexte immunologique altéré (infection par le VIH, transplantation d’organe, et tuberculose), isoniazide et rifampicine pourraient favoriser l’émergence de la pelade (ou déstabiliser un terrain prédisposé). La pelade pourrait donc être un effet indésirable possible, mais relativement rare des traitements antituberculeux, isoniazide et rifampicine. La survenue d’une pelade sous antituberculeux ne justifie cependant pas l’arrêt du traitement car, par rapport à la tuberculose, la pelade reste une dermatose bénigne ; il existe une incertitude sur l’existence d’un lien de causalité ; et enfin la pelade a toujours été réversible dans les associations rapportées. Déclaration d’intérêts Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts personnels dans cette observation.

Lettres à la rédaction Références [1] Alkhalifah A. Alopecia areata update. Dermatol Clin 2013;31:93—108. [2] Phillips MA, Graves JE, Nunley JR. Alopecia areata presenting in 2 kidney-pancreas transplant recipients taking cyclosporine. J Am Acad Dermatol 2005;53:S252—5. [3] Le Bidre E, Chaby G, Martin L, Perrussel M, Sassolas B, Sigal ML, et al. Pelade au cours d’un traitement par anti-TNF alpha : neuf cas. Ann Dermatol Venereol 2011;138:285—93. [4] Słowi´ nska M, Kardynal A, Warszawik O, Czuwara J, Rudnicka L. Alopecia areata developing parallel to improvement of psoriasis during ustekinumab therapy. J Dermatol Case Rep 2010;4:15—7. [5] FitzGerald JM, Turner MT, Dean S, Elwood RK. Alopecia sideeffect of antituberculosis drugs. Lancet 1996;347:472. [6] McMillen R, Duvic M. Alopecia areata occurring in sisters after administration of rifampicin. J Am Acad Dermatol 2001;44:142—3. [7] Gupta KB, Kumar V, Vishvkarma S, Shandily R. Isoniazid-induced alopecia. Lung India 2011;28:60—1. [8] Ramagopalan SV, Goldacre R, Skingsley A, Conlon C, Goldacre MJ. Associations between selected immune-mediated diseases and tuberculosis: record-linkage studies. BMC Med 2013;11:97. [9] Papagrigoraki A, Gisondi P, Rosina P, Cannone M, Girolomoni G. Erythema nodosum: etiological factors and relapses in a retrospective cohort study. Eur J Dermatol 2010;20:773—7. [10] Marzano AV, Vezzoli P, Crosti C. Drug-induced lupus: an update on its dermatologic aspects. Lupus 2009;18:935—40.

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E. Tella a , G. Daubercies b , C. Sin a , A. Marchal a , M.-L. Sigal a , E. Mahé a,∗ a

Dermatologie, centre hospitalier Victor-Dupouy, 69, rue du Lieutenant-Colonel Prud’hon, 95107 Argenteuil cedex, France b Cabinet libéral, 95100 Argenteuil, France ∗ Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Mahé) ut 2013 ; accepté le 9 janvier 2014 Rec ¸u le 9 aoˆ Disponible sur Internet le 22 f´ evrier 2014

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