LETTRE

À LA

Thérapie 2014 Mai-Juin; 69 (3): 259–261 DOI: 10.2515/therapie/2014036

RÉDACTION

© 2014 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

La notification d’effet indésirable au secours de l’ordonnance « non substituable » ! Julien Jacquot, Haleh Bagheri et Jean-Louis Montastruc Laboratoire de pharmacologie médicale et clinique, Centre MidiPyrénées de pharmacovigilance, de pharmacoépidémiologie et d’informations sur le médicament, Université de Toulouse, Faculté de médecine, Centre hospitalier universitaire, Toulouse, France Texte reçu le 27 janvier 2014 ; accepté le 27 février 2014 Résumé – En août 2012, les médecins généralistes de la Haute-Garonne ont reçu un courrier de la caisse d’Assurance maladie rappelant que la mention « non substituable » peut être apposée sur l’ordonnance suite à une déclaration d'effet indésirable (EI). Comparée à une période équivalente antérieure à ce courrier, nous avons observé une augmentation des déclarations d'EI sous génériques, en particulier, des EI digestifs et des inefficacités. Mots clés : génériques ; substitution ; effet indésirable ; médecins généralistes. Abstract – Adverse Drug Reactions Reporting is Helping “Non Substituable” Prescription! In August 2012, general practitioners of HauteGaronne received a letter from Health insurance system, informing that prescriptions could be endorsed by "not substituable" after reporting an adverse drug reactions (ADR). Compared to an equivalent period before this letter, we observed an increase of ADRs reports for generics, mainly concerning gastrointestinal ADR and lack of efficacy. Keywords: generic; substitution; adverse drug reaction; general practitioners. Abréviations : voir en fin d’article.

1. Introduction La déclaration d’un effet indésirable (EI) s’avère souvent perçue comme une tâche contraignante, nécessitant du temps pour renseigner les différents items d’une notification. Plusieurs études ont analysé les freins à la déclaration d’EI par les praticiens : la lourdeur de la tâche reste souvent la première cause citée.[1,2] Néanmoins, depuis 2012, le centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Toulouse reçoit un nombre croissant de notification spontanée d’EI avec les médicaments génériques (Gé). Les Gé sont une des clés pour respecter l’objectif national des dépenses

d’Assurance maladie.[3-5] Dans le cadre d’une campagne de promotion de la prescription des Gé auprès des médecins généralistes (MG), la Caisse régionale d’Assurance maladie de HauteGaronne (CRAM) a adressé un courrier en août 2012 aux MG.[6] Ce courrier précisait le cadre de la dérogation et du refus du Gé par le patient avec d’une part, la rédaction manuscrite de la mention « non substituable » sur l’ordonnance et, d’autre part, la déclaration d’un EI au CRPV pour justifier cette mention. L’objectif de ce travail est d’étudier l’impact du courrier de la CRAM de Haute-Garonne sur l’augmentation des notifications des EI des Gé par les MG observée depuis août 2012.

2. Méthode Il s’agit d’une étude rétrospective. Nous avons comparé les notifications d’EI avec les Gé provenant des MG de la Haute-Garonne déclarées au CRPV de Midi-Pyrénées avant (du 1er août 2011 au 31 juillet 2012 correspondant à la période P1) et après (1er août 2012 au 31 juillet 2013 correspondant à la période P2) l’envoi du courrier de sensibilisation par la CRAM. Pour chaque EI, nous avons récupéré l’âge et le sexe des patients, la marque du médicament Gé suspecté, les caractéristiques d’EI, le critère de « gravité »,[7] le délai entre la survenue et la notification de l’EI, la substitution d’un médicament pris au long cours ou pour une affection aiguë, le type d’EI classé selon le medical dictionary for regulatory activities (MedDRA).[8] Les médicaments ont été classés selon la classification anatomique, thérapeutique et chimique (ATC).[9]

3. Résultats Au total, nous avons reçu 15 notifications d’EI de Gé en P1 et 131 en P2, soit une augmentation d’environ 9 fois (tableau I). Par rapport au nombre total de notifications (princeps ou Gé) reçu durant ces 2 périodes, la part des EI liés à la substitution représente 8,0 % en P1 contre 50,5 % en P2. Par ailleurs, durant P2, les notifications concernent principalement la substitution d’un médicament pris au long cours. Nous avons réalisé une analyse descriptive des notifications d’EI concernant les génériques : • Caractéristiques démographiques : les déclarations concernent plus les femmes (60 % pour P1, 59 % pour P2). L’âge moyen est similaire entre P1 et P2 (61,9 ans ± 15,0 contre 59,7 ans ± 17,3). • Médicaments suspects : les classes médicamenteuses des Gé suspectées à l’origine de l’EI sont majoritairement les médicaments cardiovasculaires avec les sartans (candesartan, valsartan) et les bêtabloquants (bisoprolol) avec 24 % en P1 et 32 % en P2, les inhibiteurs de la pompe à protons (ésoméprazole et rabeprazole) avec 12 % en P1 et 14 % en P2 et les

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Jacquot et al.

Tableau I. Nombre de notifications d’EI liés aux princeps et Gé ainsi que la part des déclarations des Gé dans le cadre d’une substitution d’un traitement chronique durant les périodes P1 et P2 par les MG en Haute-Garonne.

Nombre d’EI pour les princeps 46

P1 P2 TOTAL

73 119

Nombre d’EI pour les Gé 15

Total des notifications par période 61

131 146

Part des EI des Gé déclarés dans le cadre de la substitution d'un traitement chronique (%) 5 (8,0 %)

204 265

103 (50,5 %) 108 (40,7 %)

EI : effet indésirable ; Gé : médicament générique ; P1 : période 1 (1er août 2011 au 31 juillet 2012) ; P2 : période 2 (1er août 2012 au 31 juillet 2013)





anti-infectieux représentés essentiellement par l’association amoxicilline plus acide clavulanique avec 9 % en P1 et 13 % en P2. L’information par rapport à la marque du générique était plus souvent mentionnée en P2 qu’en P1 (79 % contre 33 %). Caractéristiques de l’EI : les EI ont été classés comme « graves » dans 40,0 % des cas en P1 contre 21,3 % en P2. Les EI des Gé correspondent dans l’ordre décroissant aux effets digestifs dont essentiellement nausée, dyspepsie (n = 44), neuropsychiatriques type asthénie ou céphalée (n = 29), cardiovasculaires avec essentiellement hypertension artérielle (n = 21), immunologiques type œdème de Quincke, œdème palpébral (n = 18) et 9 EI cutanés. La part des EI type céphalées, vertiges, douleurs augmente entre P1 (n = 2, 13,3 %) et P2 (n = 52, 39,7 %). De même, les cas d’ « inefficacité médicamenteuse» évoluent de 20 % en P1 à 31 % en P2 (augmentation de 11 %). Délai de déclaration : il faut souligner l’accroissement net du délai de notification des EI des Gé, avec un délai moyen de 70,0 ± 55,8 jours (10-181 jours) durant la période P1 et de 231,7 ± 603,5 jours (de 3 à 4 177 jours) en P2.

4. Discussion Ces résultats montrent une augmentation du taux de notifications des EI des médicaments Gé après l’envoi du courrier de la CRAM de Haute-Garonne en août 2012. La contrainte imposée aux prescripteurs par rapport à la justification de la mention « non substituable » a pu influencer la notification d’EI des Gé. Celle-ci se fait principalement suite à la substitution du princeps dans le cadre d’une pathologie chronique avec des délais de déclaration parfois très longs (de plusieurs mois à plusieurs années), pour lesquels nous pouvons discuter leur vraie pertinence clinique. En effet, on peut s’interroger sur l’intérêt de ce type de déclaration en dehors de la justification de la mention « non substituable ». Concernant la déclaration d’inefficacité médicamenteuse avec les Gé, nous avons retrouvé une augmentation de 11 % entre les 2 périodes d’études. Il s’avère difficile d’évaluer de manière objective ce type d’EI (exemple : gastralgie). Comme mentionné dans le rapport de l’Académie nationale de pharmacie, cette « inefficacité » peut être liée à la perception du médicament par le patient et l’effet

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nocebo lié au changement de médicament (forme, couleur, conditionnement) suite à la substitution. L’effet nocebo s’avère d'autant plus important lors du passage du princeps vers le Gé.[10,11] On peut regretter la possible motivation « administrative » de ces déclarations : la pharmacovigilance semble être le levier d’une politique budgétaire et les CRPV des témoins passifs d’enregistrement des plaintes servant de médiateur pour atteindre l’objectif « non substituable ». Tout ceci peut être lié au climat de dénigrement des Gé en France. Suite à la condamnation du laboratoire Sanofi dans l’affaire des Gé du Plavix® (clopidogrel) en mai 2013, la revue internationale des firmes Scrip s’est étonnée que le déni soit autant en vogue en France et a condamné la pratique de Sanofi nuisible à l’image du secteur pharmaceutique.[12] En conclusion, il semble nécessaire que les autorités sanitaires envisagent une campagne d’information pertinente pour les patients permettant d’atténuer leur inquiétude par rapport aux Gé (mode et lieu de fabrication, procédure d’enregistrement…). Ceci permettra secondairement réduire leur pression sur les médecins. Ainsi, médecins et patients, pourront déployer leur énergie dans des déclarations de pharmacovigilance pertinentes permettant une bonne évaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments. Conflits d’intérêts. Aucun. Abréviations. ATC : (classe) anatomique, chimique, thérapeutique ; CRAM : Caisse régionale d’Assurance maladie ; CRPV : centre régional de pharmacovigilance ; EI : effet indésirable ; Gé : (médicaments) génériques ; MeDRA : medical dictionary for regulatory activities ; MG : médecins généralistes.

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La pharmacovigilance et le « non substituable »

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5.

6.

7. 8. 9.

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Consulté le 17 mars 2014 (91 pages) 11. Faasse K, Cundy T, Gamble G, et al. The effect of an apparent change to a branded or generic medication on drug effectiveness and side effects. Psychosom Med 2013; 75(1): 90-6 12. Prescrire. Dénigrer les génériques : efficace… et condamné. Revue Prescrire Octobre 2013; 33(360): 773

Correspondance et offprints : Julien Jacquot, Laboratoire de pharmacologie médicale et clinique, Centre Midi-Pyrénées de pharmacovigilance, de pharmacoépidémiologie et d’informations sur le médicament, Université de Toulouse, Faculté de médecine, Centre hospitalier universitaire, 37 allées Jules Guesde, 31000 Toulouse, France. E-mail : [email protected]

Thérapie 2014 Mai-Juin; 69 (3)

[Adverse drug reactions reporting is helping "non substituable" prescription!].

In August 2012, general practitioners of Haute- Garonne received a letter from Health insurance system, informing that prescriptions could be endorsed...
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