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PATHOLOGIE DES SURRÉNALES

Dossier thématique

Mise au point

Presse Med. 2014; 43: 401–409 ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Corticosurrénalome : nouveautés en 2014 Rossella Libé1,2, Guillaume Assié1,2

1. Hôpital Cochin, service des maladies endocriniennes et métaboliques, centre de référence des cancers rares – COMETE-Cancer, 75014 Paris, France 2. Inserm U-1016, CNRS UMR8104, institut Cochin, université Paris-5, faculté de médecine Paris Descartes, 75006 Paris, France

Correspondance : Rossella Libé, Hôpital Cochin, service des maladies endocriniennes et métaboliques, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France. [email protected]

Key points Adrenocortical carcinoma: Update in 2014 All adrenal masses with atypical characteristics at conventional imaging must be explored as potential adrenocortical cancer. CT scan with delayed contrast media wash-out and/or abdominal MRI including chemical shift and/or wash-out analysis and 18F-FDG PET help to characterize the adrenal mass. Open adrenalectomy is the first step in the treatment of resectables adrenocortical cancer, as potentially curative. It must be complete (R0), without tumoral dissemination. The management of the adrenocortical cancer requires a multidisciplinary approach, including the endocrinologist, oncologist, surgeons, radiologist, nuclear medicine, pathologist, and geneticians in order to guarantee to the patient the best care. At the national level, the French network COMETE (supported by the Institut National du Cancer) and the international level, the European Network for the Study of Adrenal tumors -ENS@T(supported by ESF and FP7) contribute to improve the clinical management and the understanding of the pathogenesis of the adrenocortical cancers. Recently, a new insight on molecular markers has been done. These approaches will be soon used ‘‘in routine’’.

tome 43 > n84 > avril 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.01.009

Points essentiels Bien que rare, le diagnostic de corticosurrénalome (CS) doit être évoqué devant toute tumeur surrénalienne atypique en imagerie. Des examens d’imagerie de deuxième ligne, incluant une mesure du wash-out à 10 min au scanner et/ou l’IRM surrénalienne, et/ou la scintigraphie par TEP-Scan au 18-FDG, doivent être réalisés devant toute image atypique. La chirurgie d’une tumeur suspecte de CS doit être large, différente de celle d’une tumeur bénigne, visant l’exérèse complète et sans effraction tumorale, seule chance de guérison du patient. La prise en charge optimale des corticosurrénalomes réclame l’intervention coordonnée d’endocrinologues, cancérologues, chirurgiens, radiologues, médecins nucléaires, anatomopathologistes et oncogénéticiens spécialisés, au mieux garantie par des réseaux de soins experts. Ces réseaux sont coordonnés au niveau national et international (COMETE, avec le soutien de l’INCa en France, European Network for the Study of @drenal Tumors [ENS@T] avec le soutien de l’European Science Foundation [ESF] et le programme FP7 en Europe) et contribuent à l’amélioration de cette prise en charge, et au développement de la recherche et de nos connaissances. Des avancées récentes de la génétique émergent des marqueurs moléculaires, lus dans la tumeur, permettant de préciser sa nature et son pronostic. La mise en oeuvre en routine de ces marqueurs est en cours.

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Disponible sur internet le : 7 mars 2014

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e corticosurrénalome (CS) est un cancer rare dont l’incidence varie de 0,7 à 2,0 cas par million d’habitant [1]. Il s’agit d’un cancer agressif, la survie à 5 ans étant inférieure à 40 % [2]. La distribution des âges montre deux pics : le premier dans la petite enfance et le second entre 40 et 50 ans. Il y a une modeste prédominance féminine.

transcriptome, le miRNome et les anomalies chromosomiques, on peut discriminer les CS des adénomes. Le transcriptome distingue également deux types de CS, l’un de mauvais pronostic et l’autre de meilleur pronostic, et cela indépendamment de l’extension tumorale. Enfin, le méthylome identifie un sousgroupe de CS hyperméthylés dans la région promotrice de leurs gènes, et qui est associé à un pronostic péjoratif.

Mécanismes de tumorigenèse surrénalienne

Présentation et diagnostic

Exceptionnellement, les CS peuvent survenir dans le cadre de syndromes de prédisposition congénitaux, potentiellement familiaux, et qui apportent alors des renseignements sur les anomalies moléculaires à l’origine de ces tumeurs. Il s’agit principalement du syndrome de Wiedemann-Beckwith (anomalies congénitales avec hémihyperplasie, macroglossie, hypoglycémie néonatale, omphalocèle, prédisposition à certaines tumeurs embryonnaires ; lié à anomalie chromosomique de la région 11p15, responsable entre autres de la surexpression d’IGF2) et du syndrome de Li-Fraumeni (prédisposition aux cancers, notamment sarcomes, cancers du sein et hémopathies malignes ; lié à des mutations inactivatrices du gène suppresseur de tumeur TP53) [3]. Les mutations germinales de TP53 sont présentes chez 50 à 80 % des enfants ayant un CS associées à un syndrome de Li-Fraumeni, mais seulement chez 4 % des adultes [3]. Des cas rares de CS ont également été rapportés dans le cadre du syndrome de polypose familiale colique, du syndrome de Lynch et de la néoplasie endocrinienne multiple de type 1 [3]. En dehors de ces rares formes syndromiques (qui doivent toujours être évoquées), les CS sont le plus souvent sporadiques. Plusieurs anomalies moléculaires, observées uniquement dans la tumeur, ont été décrites. La plupart des CS (90 %) surexpriment le facteur de croissance IGF2. Cette surexpression est liée à un réarrangement spécifique du locus du gène IGF2 dans la région 11p15, avec perte de l’allèle maternel qui ne s’exprime habituellement pas (phénomène « d’empreinte » génétique), et duplication de l’allèle paternel (qui lui s’exprime habituellement), à l’image de ce qui se passe chez certains patients atteints de syndrome de WiedemannBeckwith [3]. Un tiers présente une activation constitutive de la voie de signalisation Wnt/bêta-caténine, le plus souvent par mutation somatique activatrice du gène de la bêta-caténine [4]. Enfin, un quart des CS présente des mutations somatiques inactivatrices de TP53. Plus récemment [5–7], des méthodes génétiques d’une nouvelle ère, appelée génomique, ont été développées pour l’analyse des tumeurs. Ces approches sont pan-génomiques et portent sur l’expression des gènes (transcriptome) et des micro-ARN (ou miRNA, petits ARNs non codants régulant l’expression des gènes), les anomalies chromosomiques (pertes et gains) et les anomalies de méthylation de l’ADN. La caractérisation génomique des CS est en cours (figure 1). Par le

Les circonstances de découvertes peuvent être :  un syndrome d’hypersécrétion hormonale (glucocorticoïdes et/ou minéralocorticoïdes et/ou androgènes) ;  des manifestations liées à un syndrome tumoral : douleurs de l’hypochondre, découverte fortuite d’une masse tumorale à la palpation de l’hypochondre, plus rarement découverte de métastases à distance ;  un examen d’imagerie (incidentalome surrénalien) ;  un syndrome paranéoplasique (perte de poids, asthénie, fièvre, douleurs, altération de l’état général) ;  plus rarement, l’évaluation d’une des rares maladies génétiques énoncées ci-dessus.

Évaluation endocrinienne En 2005, le European Network for the Study of Adrenal Tumors (ENS@T) a proposé un panel d’examens biologiques en préopératoire dans le cas de suspicion de CS (www.ensat.org/ ACC.htm). Ils permettent de confirmer l’origine de la lésion, de suggérer sa malignité et de documenter un excès de glucocorticoïdes qui, si non réalisé en préopératoire, pourrait conduire à une insuffisance surrénalienne non adéquatement substituée en postopératoire. Ce panel prévoit le dosage du cortisol libre urinaire, du cortisol après test de freinage par la dexaméthasone 1 mg, de l’ACTH plasmatique, du sulfate de DHEA, de la 17-hydroxy-progestérone, de la delta 4-androstènedione, de la testostérone chez les femmes, de l’oestradiol chez les hommes. Le rapport aldostérone/ rénine est mesuré chez les patients ayant une hypertension artérielle et une hypokaliémie. Une sécrétion hormonale autonome est observée dans environ 80 % des cas. Récemment, une étude sur le profil urinaire des différents métabolites stéroïdiens (« métabolome ») a montré que plus de 80 % des masses surrénaliennes présentaient une sécrétion autonome de stéroïdes. De plus, cette analyse des métabolites urinaires peut constituer une sorte d’« empreinte pré-traitement » et être utile pour le suivi des patients avec CS pour mettre en évidence une éventuelle récidive [8].

Imagerie Les trois principaux rôles de l’imagerie sont de caractériser la masse surrénalienne, de rechercher des manifestations évocatrices de malignité et de contribuer au bilan d’extension (staging) de la tumeur. tome 43 > n84 > avril 2014

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Figure 1 Transcriptome des tumeurs de la corticosurrénale La classification non supervisée distingue les tumeurs malignes des adénomes et sépare deux groupes de CS de bon ou mauvais pronostic.

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le caractère bénin de la tumeur. L’IRM peut également compléter les données du scanner abdominal pour affiner le bilan d’extension locorégionale, métastatique, vasculaire ou ganglionnaire. Les données de la littérature concernant cet examen sont encore peu nombreuses [9]. La tomodensitométrie à émission de positrons (TEP) au 18 fluoro-déoxyglucose (18 FGD) permet de distinguer les lésions bénignes des tumeurs malignes et participe à la recherche de métastases à distance qui sont parfois silencieuses et uniquement révélées par cet examen. Le TEP-FDG est également utile au suivi des patients traités [10]. La figure 2 montre un exemple de TDM et PET au FDG chez un patient ayant un CS métastatique. L’origine corticosurrénalienne d’une masse peut être mise en évidence avec un nouveau traceur, le métomidate, qui se lie spécifiquement aux enzymes de la stéroïdogenèse (CYP11B1). La spécificité est élevée, mais la sensibilité est moindre dans le contexte du CS, en comparaison aux adénomes [11]. Des imageries cérébrale ou osseuse ciblées pourront être proposées en cas de symptômes cliniques.

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La tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdominopelvienne est l’examen de référence. La densité spontanée de la tumeur (avant injection de produit de contraste) constitue l’information principale : toute tumeur de densité inférieure à 10 UH peut être considérée comme bénigne. Les autres tumeurs doivent être davantage analysées. La plupart des CS ont un diamètre supérieur à 5 cm lors du diagnostic, sont hétérogènes avec des marges irrégulières, une densité spontanée > 10 UH avec un wash-out < 50 % après injection du produit de contraste [9]. Cet examen permet aussi d’évaluer la présence d’une invasion locorégionale (tissu adipeux, ganglions abdominauxmédiastinaux-pelviens, veine cave, veine rénale, organes adjacents) ou des métastases à distance (foie, poumon, os, péritoine, le plus souvent) [9]. Enfin, la TDM thoracoabdominopelvienne est essentielle pour le suivi des patients en postopératoire, la surveillance rapprochée (tous les 3 mois, en général, dans la période postopératoire) et prolongée étant en général recommandée. L’IRM abdominale est un examen de deuxième intention. Devant une tumeur atypique au scanner (densité > 10 UH), une chute de signal en opposition de phase permet d’affirmer

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Figure 2 TDM et PET au FDG chez un patient ayant un corticosurrénalome (CS) métastatique A. Aspect TDM d’une volumineuse masse correspondant à un CS gauche. B. PET-Scan au 18-FDG chez une patiente avec un CS métastatique. Intense fixation du CS, nombreuses métastases pulmonaires, détection d’une lésion osseuse pelvienne asymptomatique.

Diagnostic de certitude et pronostic Anatomopathologie

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L’analyse anatomopathologique reste la pierre angulaire du diagnostic de tumeurs de la surrénale et en particulier du CS. Cependant, il reste un véritable défi, y compris pour les anatomopathologistes les plus expérimentés pour deux raisons essentiellement. La première difficulté est d’établir avec certitude l’origine corticosurrénalienne de la lésion. Pour cela, l’immunomarquage du steroidogenic factor 1 (SF-1) apparaît comme le marqueur le plus sensible et le plus spécifique [12,13]. La deuxième difficulté est de discriminer la bénignité et la malignité de la lésion. Le score le plus utilisé est celui de Weiss qui comporte 9 items différents [14] : chaque item vaut 1 lorsqu’il est présent, ou 0 lorsqu’il est absent. Le score final est obtenu en additionnant les valeurs des 9 items. Il est admis qu’un score égal ou supérieur à 3 est plus que vraisemblablement indicateur de la nature maligne de la tumeur. Pour autant, les scores de Weiss de 2 et 3 représentent une zone de malignité incertaine. Par ailleurs, certains sous-types particuliers de CS (comme le sous-type oxyphile) ne peuvent être classés par ce système. D’autres scores ont été proposés, avec l’idée de

renforcer la commodité et la reproductibilité du diagnostic anatomopathologique [14]. Une étude récente a montré également les limites du score de Weiss en termes de reproductibilité [15]. L’importance de cet examen, sur lequel repose in fine le diagnostic, avec toutes ses conséquences, a poussé le Réseau national COMETE, sous l’égide de l’INCa, à créer un vaste programme national d’harmonisation de cette lecture anatomopathologique, sur la base d’un répertoire de lames virtuelles balayant toute la gamme du score de Weiss à partir de 50 tumeurs.

Extension et pronostic tumoral Depuis 4 ans, le stade ENS@T [16] qui apporte une meilleure discrimination pronostique a remplacé la classification de MacFarlane :  stade I : tumeur localisée de moins de 5 cm ;  stade II : tumeur localisée de plus de 5 cm ;  stade III : quelle que soit la taille de la tumeur, présence de ganglions métastatiques et/ou d’une infiltration atteignant les organes de voisinage (tissu adipeux, veine cave, veine rénale) ;  stade IV : quelle que soit la taille de la tumeur, présence de métastases à distance. tome 43 > n84 > avril 2014

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Figure 3 Pronostic des corticosurrénalomes (CS) selon la classification ENS@T [16]

Grade tumoral et pronostic tumoral De nombreux paramètres ont été étudiés. Un critère semble émerger : le grade de la tumeur évalué par le comptage des mitoses dans la tumeur et/ou par l’immunohistochimie dirigée contre le Ki-67 qui quantifie la proportion de cellules en mitose. Les tumeurs de haut grade semblent associées à un pronostic péjoratif [14,17]. Cependant, plusieurs problèmes restent en suspens : quel doit être le seuil discriminant les tumeurs de bas et de haut grade ? Comment améliorer la fiabilité du comptage des mitoses ? Comment gommer l’hétérogénéité du marquage Ki-67 d’un centre à l’autre, liée aux variations de protocole technique ? Comment prendre en compte l’hétérogénéité de la tumeur (faut-il compter les cellules en mitose dans le pire endroit de la tumeur ou globalement) ? Autres facteurs pronostiques Un âge avancé et la sécrétion de cortisol semblent associés à un pronostic plus sévère [18]. Plusieurs marqueurs moléculaires semblent également associés à un mauvais pronostic, ils sont mesurés en immunohistochimie (accumulation nucléaire de p53, forte intensité du marquage de SF-1, accumulation nucléaire de la bêta-caténine), ou par des techniques de biologie moléculaire (profil d’expression des gènes en faveur d’une tome 43 > n84 > avril 2014

tumeur de mauvais pronostic, niveau de méthylation élevée de la région promotrice des gènes, combinaison particulière de pertes et de gains chromosomiques) [6,7,12]. La place précise de ces anomalies en routine clinique, notamment leur intérêt par rapport aux évaluations non moléculaires du pronostic des CS, reste à établir. L’émergence d’un large réseau européen (ENSAT) devrait permettre prochainement, malgré la rareté du CS, d’atteindre les effectifs de patients suffisants pour pouvoir répondre à cette question.

Traitements Exérèse chirurgicale de la tumeur primitive surrénalienne La chirurgie est l’élément clé puisque l’ablation « complète » d’une forme localisée, tumeur intra-surrénalienne (stade II) ou faiblement avancée (certains stades III), est la meilleure chance d’une véritable guérison. Elle devra être effectuée par un chirurgien expérimenté, intégré à une équipe multidisciplinaire dans un Centre de référence. Pendant ces cinq dernières années, il y a eu un débat sur la meilleure approche chirurgicale [19]. La laparotomie reste l’approche standard. La surrénalectomie par laparoscopie n’est envisagée que dans des cas très sélectionnés (tumeur de petite taille) et doit être réalisée dans des Centres experts (définis par un nombre de surrénalectomies > 10 par an). La lymphadénectomie locorégionale améliore la stadification tumorale et pourrait être associée à un meilleur pronostic, bien que sa définition ne soit pas encore consensuelle. Il peut être nécessaire de pratiquer une exérèse élargie aux organes de

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Cette simple classification porte une valeur pronostique très importante (figure 3) [16]. L’extension tumorale sera idéalement réévaluée lorsque les patients auront été opérés et que les métastases à distance auront été recherchées de façon soigneuse et sensible avec les meilleurs moyens, c’est-à-dire aujourd’hui le PET-Scan au 18-FDG et le scanner thoraco-abdominopelvien.

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voisinage (rein, veine cave, rate, foie, pancréas et/ou estomac) pour obtenir une résection complète, de type R0 sans effraction capsulaire. Chez des patients qui ont une hypersécrétion glucocorticoïde, l’administration de glucocorticoïdes par voie parentérale est obligatoire, pour prévenir l’insuffisance surrénale lorsque la tumeur est retirée.

Traitement adjuvant après chirurgie complète d’une forme localisée Radiothérapie adjuvante Les bénéfices de la radiothérapie adjuvante dans les stades II-III après chirurgie sont controversés : des études rétrospectives sur des séries modestes laissent penser que la radiothérapie conventionnelle, administrée en adjuvant sur le lit opératoire des formes localisées, peut allonger le délai sans récidive [20]. Par contre, une récente étude américaine ne semble confirmer ces données [21]. Il est donc recommandé une radiothérapie adjuvante seulement dans des cas particuliers, à haut risque de rechute (en particulier grade élevé), comme dans les CS après résection incomplète (R1). Mitotane (LysodrenW) Le mitotane est un adrénolytique assez spécifique qui possède une double action : il est capable de diminuer la sécrétion de cortisol et aussi d’exercer un certain effet anti-tumoral dans les CS. Ce médicament à demi-vie très longue a une toxicité importante (surtout digestive et neurologique) et une fenêtre thérapeutique étroite. La posologie doit être guidée par le dosage de la mitotanémie. À l’heure actuelle, il est conseillé d’obtenir une mitotanémie entre 14 et 20 mg/mL [22,23]. Le monitorage des taux est fondamental pour adapter la posologie du médicament. La société HRA Pharma a mis au point en Europe un système (Lysosafe) accessible à tous. Une étude rétrospective concernant 177 patients a montré que la survie dans le groupe de patients traités systématiquement par mitotane en adjuvant après résection complète était significativement plus importante que dans celui des patients non traités [24]. Cependant, il reste à discuter le réel bénéfice d’un traitement adjuvant par mitotane, chez tous les patients avec CS, en particulier pour ceux dont le risque de rechute est « faible » ou « intermédiaire » (i.e. Ki-67  10 %, R0 et absence de métastase). Pour ces groupes de patients, il a été recommandé l’inclusion dans le protocole ADIUVO (www.adiuvo-trial.org) qui compare le mitotane à la simple surveillance.

ou hépatiques, désengagement tumoral ou traitement de métastases osseuses menaçantes. Mitotane À l’heure actuelle, c’est le seul médicament approuvé pour les formes avancées (stade IV ou métastatiques). Dans une récente revue colligeant toutes les études rétrospectives sur le mitotane dans les formes avancées de CS, le taux de réponse objective est de 24 % [25]. Traitement systémique Durant les 15 dernières années, seules 11 études prospectives (1 seul bras), rassemblant au total 239 patients, ont testé des traitements systémiques en association ou non avec le mitotane dans le CS. Le taux de réponse varie entre 7 et 54 %, avec une grande variabilité dans les critères de réponse [26]. La première étude de phase III (essai FIRM-ACT) dans le domaine du CS métastatique a été publiée en 2012. Elle montre un avantage sur la survie et un bénéfice statistiquement significatif sur le temps sans progression et la réponse objective de l’association mitotane-étoposide-doxorubicine-cisplatine (M-EDP) par rapport à l’association mitotane-streptozotocine (M-Sz). Un bénéfice statistiquement significatif a été montré sur le temps à progression (5 vs 2,1 mois) et la réponse objective (23,2 % vs 9,2 %) de l’association M-EDP par rapport à M-Sz (figure 4). Depuis cette étude, malgré l’absence de

Traitement des formes avancées (métastatiques et/ ou non résécables)

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Chirurgie des métastases La chirurgie peut également contribuer au traitement des CS métastatiques avec invasion locale et/ou des métastases à distance, soit à l’occasion de la première opération, soit à l’occasion de récidive : ablation de métastases pulmonaires

Figure 4 Essai FIRM-ACT montrant la supériorité du bras lysodren/ cisplatine/étoposide/doxorubicine (EDP-M) sur le bras lysodren/ streptozotocin (Sz-M) dans le premier essai contrôlé, randomisé, multicentrique dans le corticosurrénalome (CS) métastatique [27] tome 43 > n84 > avril 2014

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Figure 5 Régression des métastases pulmonaires sous mitotane-étoposide-cisplatine

Autres approches interventionnelles Des approches utilisant la radiologie interventionnelle permettent le traitement locorégional de récidives et de métastases, essentiellement hépatiques, par chimio-embolisation et/ou radiofréquence [29]. Des essais sont en cours pour traiter certains CS avancés par des approches radiométaboliques avec un ligand spécifique de la corticosurrénale, le métomidate [30].

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Stratégie thérapeutique La première étape consiste à reconnaître le caractère potentiellement malin d’une tumeur de la surrénale. S’il s’agit de formes localisées (stades I et II) et pour certaines tumeurs de stade III, la chirurgie est la première option thérapeutique, car elle peut être curative. Les survies sans récidive sont de 82 % pour les stades I, 61 % pour les stades II et 50 % pour les stades III, selon les différentes séries. La question est alors de savoir si, dans ces formes, un traitement adjuvant par mitotane limitera le taux de récidive et augmentera la survie de ces patients. Une réponse partielle a été apportée par une étude multicentrique, rétrospective, qui, avec toutes ces limites, semble montrer un effet positif sur la survie sans récidive et la survie globale [24]. À l’heure actuelle, pour répondre à cette question, un essai clinique prospectif est mené au niveau international (ADIUVO trial). Dans les formes avancées, les autres stades III (non résécables) et les stades IV, quand une chirurgie curative n’est pas possible, et dans le cadre de récidive locorégionale, les principes suivants peuvent être appliqués :  le retour chirurgical quand toute la tumeur peut être retirée (récidive locale, métastase du foie ou du poumon isolée), sous réserve de données évolutives plutôt favorables ;  le désengagement tumoral (debulking) peut aider à réduire les complications locorégionales ou l’hypersécrétion tumorale ;

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différence en termes de survie globale entre les 2 associations, l’EDP-M est considérée comme le gold standard en première ligne de chimiothérapie [27]. La figure 5 montre un exemple de réponse objective avec l’association mitotane-étoposide-cisplatine. En cas de progression, les options thérapeutiques ne sont pas très nombreuses. En 2e ligne, Sperone et al. [28] ont proposé l’association gemcitabine et capécitabine, avec des résultats qui montrent une stabilisation de la maladie d’au moins 6 mois dans 29 % des cas. L’échec des différents types de traitement a poussé les investigateurs à tester diverses thérapies ciblées, déjà utilisées avec succès dans d’autres types de cancers. Dans une revue récente de la littérature sont résumées les différentes thérapies testées et le type de réponse. Malheureusement, les résultats restent décevants [3]. Une étude contrôlée, prospective, multicentrique, utilisant l’OSI 906-301, un inhibiteur de l’IGF1 récepteur (contre placebo), est en cours, les résultats sont attendus pour 2014.

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la chimio-embolisation et la radiofréquence peuvent également être des gestes utiles ;  le traitement par mitotane devient indispensable, en général comme traitement initial ;  lorsque le mitotane est inefficace ou lorsqu’il perd son efficacité, ou en cas de formes rapidement évolutives, d’autres schémas chimiothérapeutiques doivent être envisagés, en se fondant aujourd’hui sur les résultats de la seule étude prospective qui montre une certaine supériorité de l’association mitotane, étoposide, cisplatine, doxorubicine, sur l’association mitotane-streptozotocine, sur la survie sans progression, sinon sur la survie globale. M-EDP est considéré comme le nouveau standard de première ligne ;  lorsqu’il y a une progression sous M-EDP, l’intérêt de l’association gemcitabine-capécitabine a été rapporté en 2e ligne ;  la chimiothérapie néoadjuvante, si elle s’avère efficace, peut ouvrir la voie à une chirurgie seconde qui peut alors devenir radicale. Plusieurs publications récentes apportent des éléments sur des recommandations raisonnables dans le traitement du CS [3,26] et tentent de définir des standards de prise en charge. 

Encadre´ 1 Réseau COMETE « Cancers de la surrénale ». Programme « Cancers Rares » INCa Missions : 

Optimiser la prise en charge des patients (parcours de soin, réunions de concertations pluridisciplinaires régionales et nationales [RCPs], offre de recours, lecture centralisée des lames, relations avec les associations de patients. . .).



Améliorer la recherche, fondamentale, translationnelle, thérapeutique (bases de données, réunions scientifiques, cohortes, essais thérapeutiques).



Renforcer la formation des professionnels (documents, recommandations, réunions. Harmonisation anatomopathologique).



Développer les réseaux internationaux : liens avec le réseau

européen ENS@T. Organisation :  Le Centre expert national, organisé autour de trois services (endocrinologie à Cochin, X. Bertagna ; génétiquehypertension artérielle à l’hôpital européen GeorgesPompidou, A.P. Gimenez-Roqueplo-L Amar ; cancérologie

Perspectives

endocrinienne à l’institut Gustave-Roussy, E. Baudin).

Dans la mesure où le CS est une maladie rare, il est absolument indispensable que la recherche et la prise en charge des patients soient organisées au niveau national et international à l’intérieur de réseaux. Ces réseaux (COMETE en France, GANIMED en Allemagne, NISGAT en Italie et ENS@T en Europe) rendent possible l’harmonisation des méthodes d’investigations, le recueil en grand nombre de tissus biologiques, la constitution de cohortes de patients pour des essais thérapeutiques (encadre´ 1).

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.



Trente-deux centres experts régionaux et des centres associés en Outre-mer.



Médecin responsable : Rossella Libé ([email protected]).

Assistant de recherche clinique : Denis Bakir ([email protected]). Chiffres clés (quelques chiffres) : 580 présentations en RCP, une réunion scientifique annuelle, 18 essais clinques et/ou translationnels, 40 publications, depuis 2010–2011. RCP (date, fréquence et comment participer) : deux fois par mois (site internet). Autres informations utiles : lien avec « Association Surrénale » (association de patients) et « ENS@T ». Site Internet : www.sfendocrino.org (faire « COMETE Cancers de la surrénale » sur Google). 

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Mise au point

Pathologie des surre´ nales

[Adrenocortical carcinoma: Update in 2014].

All adrenal masses with atypical characteristics at conventional imaging must be explored as potential adrenocortical cancer. CT scan with delayed con...
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