Annales de pathologie (2013) 33, 398—401

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CAS ANATOMOCLINIQUE

L’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires : une tumeur de description très récente. À propos d’une observation Adenocarcinoma of minor salivary gland origin: A recently described lesion. A case report Anne-Sophie Advenier a, Marc Poupart b, Mojgan Devouassoux-Shisheboran a, Raphaëlle Barnoud a,∗ a

Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital de la Croix-Rousse, 103, Grande-Rue-de-la-Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex 04, France b Service de chirurgie otorhinolaryngologique, hôpital de la Croix-Rousse, 103, Grande-Rue-de-la-Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex 04, France Accepté pour publication le 25 octobre 2013 Disponible sur Internet le 26 novembre 2013

MOTS CLÉS Adénocarcinome cribriforme ; Langue ; Glandes salivaires accessoires

KEYWORDS Cribriform adenocarcinoma; Tongue; Minor salivary gland origin



Résumé L’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires est une tumeur rare de description récente. Nous rapportons l’observation d’un homme âgé de 64 ans, présentant une lésion similaire de la base de la langue et pour laquelle un diagnostic d’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires a été porté. À l’heure actuelle, le patient va bien, sans métastase ou recidive mise en évidence 43 mois après traitement. Il s’agit d’une entité à connaître compte-tenu de son bon pronostic et ses similitudes morphologiques avec le carcinome papillaire de la thyroïde et le carcinome adénoïde kystique avec lesquels elle ne doit pas être confondue. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Cribriform adenocarcinoma of salivary gland origin is a rare and recently described lesion. In spite of the high incidence of metastatic spread, the prognosis remains very good. We report a case of a 64-year-old man with cribriform adenocarcinoma of salivary gland origin of the ventral tongue without locoregional or distant metastasis. The patient is currently 43-month post treatment without any local or regional recurrence of the disease. This entity should be kept in mind regarding its good prognosis and its resemblances with papillary carcinoma of the thyroid and adenoid cystic carcinoma with which it should not be confused. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Barnoud).

0242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.10.023

L’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires

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Introduction L’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires est une tumeur rare, décrite pour la première fois en 1999 sous la dénomination d’adénocarcinome cribriforme de langue [1]. Les auteurs ont ainsi rapporté 8 observations de localisation exclusivement linguale qui, malgré la présence constante de métastases ganglionnaires lymphatiques cervicales, présentaient un pronostic très favorable. De rares cas ont ensuite été rapportés dans la littérature [2,3] si bien que, jusque très récemment, l’individualisation de cette tumeur en tant qu’entité à part entière a été discutée. Dans la classification de l’OMS de 2005, elle est considérée comme une variante possible de l’adénocarcinome polymorphe de bas grade [4]. Très récemment, l’équipe qui avait décrit cette tumeur pour la première fois en 1999 a rapporté une série de 23 nouvelles observations de localisations linguales, palatines, rétromolaires, amygdaliennes et de la lèvre supérieure associées, pour 16 d’entre elles, à des métastases ganglionnaires lymphatiques [5]. La description de localisations extra-linguales a amené les auteurs à modifier la terminologie pour celle d’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires. Nous rapportons l’observation d’une tumeur de la base de langue gauche, sans métastase ganglionnaire lymphatique.

Figure 1. Tumeur épithéliale d’architecture lobulée, tubulée et cribriforme (coloration HES, ×200). The lobular, tubular and cribriform tumor architecture (HES, 200×).

Observation clinique Un homme de 64 ans, sans antécédent notable, avec un tabagisme non sevré (30 paquets-années), présentait une lésion de la base de langue gauche, exclusivement sousmuqueuse et mesurant 56 × 45 mm. Cette lésion s’étendait dans le vestibule laryngé, dépassant légèrement la ligne médiane. L’examen clinique ne mettait pas en évidence d’adénopathie cervicale. Le reste du bilan d’extension (en particulier otorhinolaryngologique et tomodensitométrique thoracoabdominopelvien) était normal. Les biopsies réalisées, n’intéressant que la muqueuse buccale, ne permettaient aucun diagnostic. Il fut donc décidé d’en réaliser l’exérèse, suivie d’une lymphadénectomie jugulocarotidienne et suprahyoïdienne gauche.

Figure 2. Aspects des noyaux rappelant ceux du carcinome papillaire de la thyroïde (coloration HES, ×400). Nuclei similar to those of papillary carcinoma of the thyroid (HES, 400×).

Examen anatomopathologique La lésion fut adressée en deux fragments mesurant respectivement 40 × 30 × 25 mm et 50 × 45 × 25 mm. Elle correspondait à une tumeur de consistance ferme, homogène, beige, assez bien limitée en périphérie et sans remaniement nécrotico-hémorragique. Du point de vue microscopique, la tumeur s’organisait en lobules compacts, en tubes de diamètre variable, et en massifs cribriformes entourés d’un stroma collagène dense ou fibro-hyalin. Elle était de nature épithéliale, constituée d’une prolifération de cellules de taille moyenne, assez monomorphes, au rapport nucléo-cytoplasmique élevé (Fig. 1). Les noyaux étaient ronds ou ovalaires, parfois anguleux, avec un nucléole le plus souvent absent ou de petite taille. Certains d’entre eux pouvaient également présenter un aspect en verre dépoli (Fig. 2). Le cytoplasme, pâle, était par endroits mal limité. L’activité mitotique était faible (2 à 3 mitoses pour 10 champs à fort grandissement [objectif 40]). La tumeur était plus ou moins bien délimitée et envahissait en périphérie le muscle strié et les glandes salivaires accessoires (Fig. 3). Aucun engainement

Figure 3. Infiltration du muscle strié lingual (coloration HES, ×200). Infiltration of the muscular layer of the tongue (HES, 200×).

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A.-S. Advenier et al.

Tableau 1 Principales caractéristiques de l’adénocarcinome cribriforme des GSA et de l’adénocarcinome polymorphe de bas grade. Cribriform adenocarcinoma of minor salivary gland origin and polymorphous low-grade adenocarcinoma main characteristics.

Adénocarcinome cribriforme des GSA Localisation Métastases locorégionales Macroscopie Microscopie Architecture

Noyau Envahissement nerveux Mitoses Pronostic

Adénocarcinome polymorphe de bas grade de malignité

Base de langue +++, lèvre, palais Palais +++, muqueuse buccale Fréquentes (70 %), synchrones Rares (9—15 %) Nodule bien limité, non encapsulé, non ulcéré, infiltration focale Monomorphe : massifs cribriformes, pseudopapillaire ou pseudo-glomérulaire

Uniforme, pseudopapillaire thyroïdien Absents Rares Excellent Un cas avec récidives Pas de métastases à distance décrites

Polymorphe : lobulaire, papillaire et micro-kystique, solide, cribriforme, trabéculaire, files indiennes, œil de cyclone Rond ou oval, ± nucléole, chromatine fine Fréquents Rares Excellent Récidives possibles (0—30 %) Métastases à distance rares

GSA : glandes salivaires accessoires.

nerveux et aucun embole vasculaire n’était observé. L’étude immuno-histochimique révélait le caractère mixte de cette tumeur, qui était constituée de cellules épithéliales luminales exprimant les cytokératines 7 et 19, et de cellules basales myoépithéliales, exprimant les cytokératine 5/6 et 14, la p63 et la protéine S100. D’autre part, ces cellules n’exprimaient ni le TTF1 ni la thyroglobuline. Le curage ganglionnaire lymphatique ramenait 22 ganglions indemnes de métastase. L’exérèse chirurgicale a été suivie d’une radiothérapie externe. Quarante-trois mois après ce traitement, le patient se porte bien avec un examen clinique strictement normal et un bilan paraclinique (biologie, imagerie) ne montrant pas de signe de récidive.

Discussion C’est en 1999 que l’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires est décrit pour la première fois sous la dénomination d’adénocarcinome cribriforme de la langue [1]. Cette description princeps regroupait huit observations. Il s’agissait de 4 femmes et de 4 hommes de 25 à 70 ans, avec un âge moyen de 50,4 ans. Les patients présentaient tous une tumeur linguale sous-muqueuse (principalement de la partie postérieure) avec, dans tous les cas, une ou plusieurs métastases ganglionnaires lymphatiques cervicales. Le traitement consistait en une exérèse tumorale, avec un curage cervical suivi d’une radiothérapie. Malgré ces métastases, le pronostic restait excellent, sans récidive ni métastase observée lors du suivi, qui s’étendait de 2 à 6 ans. Avant l’année 2011, nous avons répertorié dans la littérature une seule observation supplémentaire par Prasad et al. [2], avec une tumeur de la base de langue caractérisée par sa présentation polypoïde et, comme dans notre observation, l’absence de métastase ganglionnaire lymphatique locorégionale. L’individualisation de cette tumeur comme une entité à part entière a été discutée et la classification de l’OMS de 2005 la considère comme une variante de l’adénocarcinome polymorphe de bas grade des glandes

salivaires avec laquelle elle partage de nombreuses caractéristiques [4]. En 2011, l’équipe qui avait décrit cette tumeur pour la première fois publiait une série de 23 nouveaux cas avec des localisations non plus exclusivement linguales mais survenant dans le palais (3 cas), la région rétromolaire (2 cas), les amygdales (3 cas) ou la lèvre supérieure (1 cas), incitant donc à élargir la terminologie pour celle d’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires (cribriform adenocarcinoma of minor salivary gland origin) [5]. Par ailleurs, la présence des métastases ganglionnaires lymphatiques cervicales, très fréquentes, (69,5 %), n’était cependant pas systématique. Malgré ce fort taux de métastases, les auteurs confirmaient le pronostic très favorable de cette tumeur. Ce dernier point doit cependant être modulé par la description récente par Borowski-Borowy et al. [3] du cas d’une patiente de 63 ans : celle-ci présentait une tumeur de la base de langue avec une métastase ganglionnaire. Les suites évolutives ont été moins favorables puisque cette patiente a présenté deux récidives tumorales. Malgré ces récidives, l’exérèse chirurgicale était effectuée, permettant de conserver un excellent pronostic. La tumeur que nous présentons dans notre observation partage les caractéristiques cliniques et évolutives rapportées dans la description princeps, mis à part l’absence de métastase ganglionnaire lymphatique. Le traitement était similaire, consistant en une exérèse chirurgicale avec curage cervical ganglionnaire lymphatique suivi d’une radiothérapie externe. Le pronostic est bon, sans récidive ou métastase mises en évidence lors du suivi de trois ans et demi. Sur le plan histopathologique, l’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires a une architecture massive ou lobulée, parfois pseudopapillaire ou pseudo-glomérulaire et, surtout, des aspects cytologiques caractéristiques, rappelant ceux du carcinome papillaire de la thyroïde : il est effectivement mis en évidence un aspect pâle, en verre dépoli et à contours irréguliers des noyaux qui peuvent se chevaucher [1—5]. De plus, les cellules en périphérie des lobules peuvent prendre une disposition palissadique et des artéfacts de rétraction sont parfois observés, avec une assise cellulaire périphérique

L’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires se détachant du massif cellulaire principal et restant attachée au stroma. Sur le plan immuno-histochimique, les cellules expriment les cytokératines 7 et 19, d’une part, et les cytokératines 5/6 et la protéine p63, d’autre part, indiquant respectivement le caractère à la fois épithélial luminal et basal-myoépithélial de cette tumeur. Skalova et al. précisent, par l’étude des caractéristiques immunohistochimiques et ultra-structurales, que cette tumeur est faite de cellules hybrides, à la fois sécrétoires et myoépithéliales [5]. Cette constatation distinguerait cette lésion des autres tumeurs des glandes salivaires accessoires, en particulier de l’adénocarcinome polymorphe de bas grade. Elle représente par ailleurs un argument supplémentaire pour individualiser cette tumeur comme une entité anatomopathologique à part entière. Pour notre observation, le caractère monomorphe de l’architecture tumorale, essentiellement cribriforme et sans mise en évidence de disposition en file indienne ou d’enroulement concentriques, distinguait notre tumeur de l’adénocarcinome polymorphe de bas grade. Les principales caractéristiques de l’adénocarcinome polymorphe de bas grade et de l’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires sont rappelées dans le Tableau 1. Pour le diagnostic différentiel avec le carcinome papillaire de la thyroïde, les aspects pseudothyroïdiens des noyaux dans notre observation étaient focaux et l’absence de mise en évidence de sécrétion colloïde et la négativité de la thyroglobuline permettait d’éliminer ce diagnostic. Un autre diagnostic possible était le carcinome adénoïde kystique (CAK). Notre tumeur était infiltrante mais ne présentait pas les engainements périnerveux fréquemment décrits dans le CAK. Par ailleurs, le CAK des glandes salivaires est constitué de cellules basaloïdes, avec des noyaux hyperchromatiques et anguleux, un stroma collagène dense et des mitoses assez nombreuses, caractéristiques absentes dans notre observation et dans l’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires. En 2012, Laco et al. ont publié de nouvelles données immunohistochimiques et moléculaires de l’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires. Ils montrent une positivité des cellules tumorales vis-à-vis de la Galectine 3, la CK 19 et l’HBME-1 et confirment l’absence d’immunoreactivité vis-à-vis de la thyroglobuline et du TTF1. Du point de vue moléculaire, ils montrent l’absence de mutation des proto-oncogènes RET, BRAF, K-RAS, HRAS et N-RAS et des polymorphismes des gènes RET (dans 4 cas) et H-RAS (dans 3 cas) [6]. L’absence de mise en évidence de mutation du proto-oncogène RET — présente dans le carcinome papillaire de la thyroïde [7] — est à souligner. Ces données, obtenues à partir d’une petite série de 5 observations, représentent une première approche des caractéristiques moléculaires de cette tumeur mais nécessitent d’être validées par d’autres études.

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Conclusion L’adénocarcinome cribriforme des glandes salivaires accessoires est une tumeur rare, décrite une première fois en 1999 et dont l’individualisation en tant qu’entité anatomoclinique à part entière semble à l’heure actuelle pouvoir être établie. Son pronostic est décrit comme excellent malgré le taux important des métastases ganglionnaires lymphatiques locorégionales. C’est donc une entité anatomoclinique à connaître et à différencier de la métastase d’un carcinome papillaire de la thyroïde, du carcinome adénoïde kystique et de l’adénocarcinome polymorphe de bas grade.

Déclaration d’intérêts Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.

Remerciements Aux Dr Anne-Catherine Baglin et Dr Michel Wassef (hôpital Lariboisière, Paris) pour leur aide diagnostique.

Références [1] Michal M, Skalova A, Simpson RHW, Raslan WF, Curik R, Leivo I, et al. Cribriform adenocarcinoma of the tongue: a hitherto unrecognized type of adenocarcinoma characteristically occurring in the tongue. Histopathology 1999;35:495—501. [2] Prasad KC, Kaniyur V, Pai RR, Nesari SS. Pedunculated cribriform adenocarcinoma of the base of the tongue. Ear Nose Throat J 2004;83:62—4. [3] Borowski-Borowy P, Dyduch G, Papla B, Gabry´s I, Składzie´ n J, Oko´ n K. Cribriform adenocarcinoma of the tongue. Pol J Pathol 2011;3:168—71. [4] Barnes L, Eveson JW, Reichart P, Sidransky D. Pathology and Genetics of Head and Neck Pathology. Lyon: IARC Press; 2005. [5] Skalova A, Sima R, Kaspirkova-Nemcova J, Simpson RHW, Elmberger G, Leivo I, et al. Cribriform adenocarcinoma of minor salivary gland origin principally affecting the tongue: characterization of new entity. Am J Surg Pathol 2011;35: 1168—76. [6] Laco J, Kamarádová K, Vítková P, Sehnálková E, Dvoˇráková S, Václavíková E, et al. Cribriform adenocarcinoma of minor salivary glands may express galectin-3, cytokeratin 19, and HBME-1 and contains polymorphisms of RET and H-RAS protooncogenes. Virchows Arch 2012;461:531—40. [7] Komminoth P. The RET proto-oncogene in medullary and papillary thyroid carcinoma. Molecular features, pathophysiology and clinical implications. Virchows Arch 1997;431:1—9.

[Adenocarcinoma of minor salivary gland origin: a recently described lesion. A case report].

Cribriform adenocarcinoma of salivary gland origin is a rare and recently described lesion. In spite of the high incidence of metastatic spread, the p...
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