Pour citer cet article : Commereuc M et al., Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.07.030. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Néphrologie / Gériatrie

Mise au point

Presse Med. 2014; //: /// ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques [TD$FIRSNAME]Morgane[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Commereuc[TD$SURNAME.], [TD$FIRSNAME]Eric[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Rondeau[TD$SURNAME.], [TD$FIRSNAME]Christophe[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Ridel[TD$SURNAME.]

Hôpital Tenon, service d’urgences néphrologiques et transplantation rénale, 75020 Paris, France

Correspondance : Morgane Commereuc, Hôpital Tenon, service d’urgences néphrologiques et transplantation rénale, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France. [email protected]

Key points Acute kidney injury in elderly patient: Diagnostic and therapeutic aspects Acute renal failure in elderly patient is a public health problem. It is worsen by physiological status and anatomical changes associated with age, polymedication and chronic diseases. The etiologies of acute renal failure in the elderly are the same as in adults. Their distribution is specific with a large proportion of obstructive acute renal failure. The diagnostic and therapeutic strategies are the same as for young adults; the injection of iodinated-contrast should be avoided. Therapeutic strategies are discussed in terms of quality of life pre-morbid. Age is not considered a determinant of intensive treatment decisions. Renal replacement therapy in the elderly is not associated with excess mortality. Prevention of acute renal failure should be a permanent concern.

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e vieillissement de la population est une réalité de santé publique qui va devenir de plus en plus préoccupante dans les années à venir. Le seuil définissant la personne âgée ne cesse

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Points essentiels L’insuffisance rénale aiguë (IRA) chez la personne âgée est un problème de santé publique. Les modifications physiologiques et anatomiques rénales liées à l’âge sont associées à une polymédication et aux maladies chroniques inhérentes à cette population. Les causes de l’IRA de la personne âgée sont les mêmes que pour la population générale, seule la répartition est différente, avec une proportion plus importante d’IRA obstructive. Les moyens diagnostiques ne sont pas différents de ceux de l’adulte plus jeune. L’injection de produit de contraste doit être au maximum évitée. Les stratégies thérapeutiques sont discutées en fonction de l’autonomie physique et cognitive avant l’hospitalisation. L’âge ne doit plus être considéré comme un facteur limitant les décisions de traitements intensifs. L’épuration extrarénale chez la personne âgée n’est pas associée à une surmortalité. La prévention de l’IRA doit être une préoccupation permanente pour cette population fragilisée.

d’être reculé avec l’allongement de l’espérance de vie. Actuellement, selon la définition de l’INSEE, il est de 75 ans. En France, cette tranche représente 8 % de la population générale, elle sera de 14 % en 2030 et proche de 20 % en 2050.

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LPM-2361

Pour citer cet article : Commereuc M et al., Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.07.030.

M Commereuc, E Rondeau, C Ridel

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est un motif fréquent d’hospitalisation en réanimation et son incidence augmente avec l’âge [1]. Le taux d’admission en réanimation des personnes âgées croît chaque année de 5,6 %. Les patients de plus de 80 ans représentent jusqu’à 13 % des admissions d’après une étude multicentrique de l’Australian and New Zealand Intensive Care Society (ANZICS) [2]. L’IRA est un facteur de risque d’évolution vers l’insuffisance rénale chronique (IRC). La fibrose tubulo-interstielle par réparation incomplète des tubules est l’une des hypothèses physiopathologiques avancées [3,4]. En revanche, bien que peu d’études renseignent spécifiquement sur le pronostic vital des personnes âgées souffrant d’IRA, cette défaillance ne semble pas être associée à une surmortalité liée à l’âge. En 1998, une étude avait comparé la mortalité des sujets de trois classes d’âge (< 65 ans, entre 65 et 80 ans, et > 80 ans) ayant une IRA dialysée [5]. Il n’existait pas de différence entre les patients de plus de 80 ans et ceux de moins de 65 ans (OR = 1,09, 95 % CI [0,86–1,36], p = 0,562). Cette absence d’effet de l’âge sur la mortalité était retrouvée en 2003 dans une étude s’intéressant au pronostic vital des patients âgés de plus de 70 ans, hémodialysés, en réanimation pour une insuffisance rénale aiguë dans les suites d’une chirurgie cardiaque. La mortalité des patients âgés était comparable à celle des plus jeunes (50 % versus 61,9 %). Elle était par ailleurs corrélée à l’hypotension lors du branchement de la dialyse (p = 0,002) [6].

Physiopathologie du vieillissement rénal Vieillissement physiologique

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Le vieillissement correspond à l’ensemble des processus physiologiques et psychologiques qui modifient la structure et les fonctions de l’organisme à partir de l’âge mûr. Il est la résultante des effets intriqués de facteurs génétiques (vieillissement intrinsèque) et de facteurs environnementaux auxquels est soumis l’organisme tout au long de sa vie. Des échelles permettent « l’évaluation globale » de la personne âgée. Ces outils de mesure, couramment utilisés en gériatrie, évaluent l’autonomie (capacité de se gouverner soi-même) et la dépendance (capacité de réaliser seules les activités de la vie quotidienne). Il existe différentes échelles d’évaluation. On peut citer celle des activités de la vie quotidienne ADL (disponible en comple´ment e´lectronique). Cette échelle est intéressante puisqu’elle prédit fortement le pronostic en termes de morbimortalité. D’autres comme l’IALD (activités instrumentales de la vie courante) ou la grille AGGIR (Autonomie Gérontologie Groupes Iso-Ressources) peuvent être utilisées. Les fonctions cognitives sont quant à elles évaluées couramment avec le Mini Mental Status (MMS). L’évaluation cognitive et de la dépendance de la personne âgée est nécessaire à la prise en charge de cette population.

Cependant, même chez les personnes âgées ayant un vieillissement modéré, c’est-à-dire avec maintien de leurs capacités physiques et mentales, le vieillissement rénal physiologique persiste et prédispose au risque d’insuffisance rénale aiguë.

Modification de l’hémodynamique rénale Au niveau vasculaire, le flux rénal effectif diminue de 10 % par décennie à partir de 40 ans. L’augmentation des résistances vasculaires intrarénales est liée à un équilibre inadéquat entre les facteurs vasodilatateurs (NO) et vasoconstricteurs (système sympathique et sécrétion d’angiotensine 2).

Diminution de la filtration glomérulaire Au niveau glomérulaire, différents types d’atteintes histologiques sont observés : une réduction quantitative du capital néphronique avec des lésions histologiques de glomérulosclérose à prédominance corticale, une hypertrophie médullaire, une prolifération des cellules mésangiales et un appauvrissement des cellules épithéliales [7]. Ces modifications morphologiques aboutissent à une réduction de la surface de filtration glomérulaire [7].

Altération des fonctions tubulaires Au niveau tubulaire, le vieillissement rénal se traduit par des modifications structurelles et fonctionnelles. Le capital tubulaire se réduit et les fonctions tubulaires s’altèrent aboutissant à une diminution du pouvoir de concentration des urines avec une insensibilité partielle des tubules à l’arginine vasopressine. Il existe une diminution des capacités de réabsorption des électrolytes et du glucose dans le tube contourné proximal. Les capacités de dilution et de concentration des urines sont conservées alors qu’elles sont altérées dans le tube contourné distal [8]. La branche de Henlé du rein du sujet âgé se caractérise par un trouble intrinsèque de la réabsorption chloro sodé. On observe également une altération de la réabsorption sodée au niveau du tube contourné distal probablement liée à une insensibilité du néphron à l’aldostérone. À l’ensemble de ces modifications anatomiques s’ajoute une diminution de la sensation de soif et des apports sodés contribuant à la réduction volémique et au développement d’une insuffisance rénale aiguë [9,10].

Diagnostic Comorbidités et iatrogénie Le retentissement rénal de nombreuses pathologies chroniques, dont l’incidence augmente avec l’âge, participe à la fréquence de l’IRA chez la personne âgée. Par ailleurs, l’iatrogénie serait responsable de plus de 20 % des hospitalisations chez les octogénaires [11]. Les modifications pharmacodynamiques et pharmacocinétiques rénales exposent la personne âgée à un risque accru d’IRA. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion tome // > n8/ > /

Pour citer cet article : Commereuc M et al., Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.07.030. Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques

Diagnostic de l’IRA et place des biomarqueurs Le diagnostic précoce des maladies rénales est indispensable à l’initiation rapide d’un traitement visant à la préservation de la fonction rénale. Quel que soit le mécanisme responsable de l’IRA, il existe systématiquement des dégradations des propriétés de filtration du rein avec une altération de la filtration glomérulaire. Mais il n’y a pas actuellement de définition consensuelle de l’IRA. L’estimation de la clairance de la créatinine à partir des formules de Cockroft, MDRD (modified diet renal disease) et CKDepi (chronique kidney disease epidemiology collaboration) est peu fiable car ces formules ne sont pas validées chez les patients de plus de 80 ans. En 2004 et 2007, deux définitions de l’IRA ont été proposées : RIFLE (Risk, Injury, Failure, Loss of kidney function, and End-stage kidney disease) et AKIN (Acute Kidney Injury Network). Ces nouvelles classifications sont basées sur le degré de récupération du débit urinaire ainsi que sur l’élévation du débit de filtration glomérulaire (DFG) [13]. Elles n’ont qu’une utilité épidémiologique actuellement et ne sont pas validées pour estimer le degré d’atteinte rénale à l’échelon individuel. La classification RIFLE (disponible en annexe e´lectronique) doit être utilisée avec précaution chez la personne âgée car elle n’a pas été étudiée dans une cohorte gériatrique et l’IRA semble être un facteur indépendant de décès dans cette population. Une étude de juin 2012 rapporte qu’il n’existe pas de différence significative de mortalité hospitalière entre le stade RIFLE R (risk) et RIFLE I (injury) dans le sous-groupe des patients de plus de 76 ans [14]. En pratique courante, le diagnostic d’IRA chez la personne âgée est posé sur l’élévation de la créatinine plasmatique et/ou une baisse de la diurèse. Mais ce critère est insuffisant à un diagnostic précoce car la relation entre la filtration glomérulaire et la valeur de la créatinine n’est pas linéaire. Les lésions rénales précèdent l’élévation de la créatinine. Le taux de créatinine dépend de la filtration glomérulaire mais aussi de la masse musculaire, il est donc couramment sousestimé chez la femme et le sujet âgé. La créatinine plasmatique peut être encore normale alors que la filtration glomérulaire est inférieure à 60 mL/min, voire 50 mL/min. L’utilisation du taux de créatinine plasmatique et de l’estimation du débit de filtration glomérulaire qui en découle dans l’insuffisance rénale aiguë peut être un outil de suivi cinétique mais ne doit pas être considéré comme le DFG réel. tome // > n8/ > /

C’est parce qu’il existe un décalage temporel entre l’apparition des premières lésions rénales et l’augmentation de la créatinine que la recherche de biomarqueurs urinaires spécifiques de l’IRA, permettant de guider la thérapeutique et d’orienter vers un diagnostic précoce, se développe. Certains comme le NGAL, l’IL18, le cystatin C semblent prometteurs bien que leur utilité en pratique clinique ne soit pas encore clairement démontrée. Une étude récente publiée en 2012 met en évidence que la cystatin C pourrait être supérieure au DFG classique déterminé à partir de la créatinine plasmatique, dans le diagnostic d’une IRA chez la personne âgée. Cette protéine est éliminée de manière continue et indépendante de la masse musculaire et du sexe [15].

Étapes diagnostiques L’étude morphologique est indispensable. L’échographie rénale permet d’apprécier la taille des reins, le degré de différenciation corticomédullaire et la dilatation des cavités pyélocalicielles. De manière physiologique, la taille des reins des sujets âgés est diminuée d’environ 20 % par rapport au sujet jeune et le parenchyme cortical est amincit. Les cavités pyélocalicielles peuvent être non dilatées dans les fibroses rétropéritonéales et les tumeurs pelviennes engainant les uretères. L’échographie rénale doit être complétée par un doppler des artères rénales si le contexte clinique le suggère (facteurs de risque cardiovasculaire, IRA après introduction d’un traitement par IEC ou ARA2). Les indices biochimiques urinaires, nécessaires au calcul de la fraction d’excrétion du sodium (FE Na) et de l’urée (FE urée), sont utiles pour faire la distinction entre insuffisance rénale aiguë fonctionnelle et organique. Une FE Na < 1 % oriente vers une cause fonctionnelle, une FE Na > 2 % vers une cause organique, pour la FE urée les valeurs sont respectivement < 35 % et > 50 %. La démarche diagnostique comprend également la recherche d’une protéinurie et d’une hématurie par la réalisation d’une bandelette urinaire et, de manière plus précise, une protéinurie des 24 h sur échantillon et un sédiment urinaire. Dans la population des sujets âgés, l’interprétation de marqueurs urinaires doit être rigoureuse. Le recueil des urines sur 24 h doit être fiable si possible, sous réserve des nombreuses incontinences qui touchent cette population. L’interprétation de l’ionogramme urinaire doit tenir compte des médicaments interférant avec la réabsorption tubulaire de sodium et de potassium (diurétiques, IEC, ARA2), dans ce sens la fraction d’excrétion de l’urée doit être préférée. Le diagnostic histologique par la ponction biopsie rénale doit être réalisé au moindre doute ou devant une présentation clinique atypique. L’âge ne doit plus être considéré comme une contre-indication. La ponction biopsie rénale (PBR) nécessite la signature d’un consentement, une tension artérielle contrôlée (< 140/90 mmHg), des reins de taille supérieure à 8 cm et une absence de troubles de l’hémostase. En pratique, elle est réalisée par le néphrologue, par voie transpariétale au

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(IEC)/antagonistes du récepteur de l’angiotensine 2 (ARA2) et les diurétiques sont les molécules les plus incriminées. Les produits de contraste iodés sont responsables d’une incidence significativement plus importante de tubulopathies induites chez les personnes âgées [12]. Le diabète, l’insuffisance rénale chronique sous-jacente, les cardiopathies, le sexe féminin les rendent plus vulnérables.

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Néphrologie / Gériatrie

Pour citer cet article : Commereuc M et al., Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.07.030.

M Commereuc, E Rondeau, C Ridel

lit du malade et requiert un patient calme placé en décubitus dorsal. Elle peut être faite par voie transjugulaire par le radiologue interventionnel en cas de troubles de l’hémostase, impossibilité de suspendre un traitement anticoagulant, rein unique ou de petite taille. Les techniques récentes de biopsies écho-guidées font que ce geste n’est pas associé à un risque plus important de complications chez les personnes âgées. L’indication de la biopsie est posée en fonction du rapport risque/bénéfice, indépendamment de l’âge. L’IRA représente 47 % des indications de PBR chez le sujet de plus de 85 ans (l’amylose est le diagnostic histologique de glomérulopathie le plus fréquent, 17 %) [16]. Le retentissement biologique de l’insuffisance rénale est apprécié par la réalisation d’un ionogramme sanguin (recherche d’une hyperkaliémie), d’un bilan phosphocalcique et de gaz du sang artériel à la recherche d’une acidose métabolique.

Étiologie Les causes d’IRA chez la personne âgée ne sont pas différentes de celles de la population générale. Elles diffèrent uniquement par la représentation plus importante de certaines, classiquement l’insuffisance rénale obstructive et l’insuffisance rénale fonctionnelle (pré-rénale) [17]. Cependant, il ne faut pas négliger les IRA organiques dans cette population de personnes âgées fragilisées par de multiples comorbidités.

Obstructives Les insuffisances rénales obstructives sont particulièrement fréquentes chez la personne âgée, compte tenu de l’incidence des pathologies urinaires (hypertrophie bénigne de prostate, tumeur de prostate) et pelviennes. Ce type d’IRA est souvent paucisymptomatique et les cavités pyélocalicielles sont dilatées de manière bilatérale à l’échographie rénale. La diurèse est le plus souvent conservée par un mécanisme de miction par regorgement.

Pré-rénales

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L’hypovolémie qu’elle soit efficace ou relative est une cause fréquente d’IRA chez la personne âgée. Le vieillissement rénal se caractérise par une diminution des capacités adaptatives rénales aux agressions, avec notamment une réduction des capacités de réabsorption-excrétion de l’eau et du sodium. Le gradient de pression glomérulaire entre l’artériole efférente et afférente est altéré par l’athérosclérose et peut être aggravé par certains traitements médicamenteux (IEC/ARA2, diurétiques). Dans une situation aiguë de déshydratation extracellulaire, d’hémorragie, de bas débit cardiaque ou d’introduction de traitement antihypertenseur, la filtration glomérulaire s’adapte moins bien. Le diagnostic repose sur l’interprétation de l’ionogramme urinaire et du calcul de la FE Na ou de la FE urée en présence de diurétiques.

Organiques Toutes les causes classiquement connues d’insuffisance rénale organique peuvent s’observer chez le sujet âgé. Nécrose tubulaire La nécrose tubulaire est la cause la plus fréquente d’IRA organique. Les différentes causes de nécrose tubulaire ont une répartition différente de celles de l’adulte plus jeune sans néphropathie sous-jacente. La nécrose tubulaire d’origine médicamenteuse est très fréquente en raison de posologies non adaptées à la fonction rénale qui est souvent surestimée chez la personne âgée, on souligne également l’importance de la polymédication responsable d’une potentialisation des effets tubulaires. La néphropathie secondaire au myélome doit également être systématiquement recherchée chez la personne âgée ayant des douleurs osseuses et une hypercalcémie. Les autres nécroses tubulaires observées sont secondaires au sepsis. La dénutrition et la diminution des défenses immunitaires liées à l’âge favorisent les infections. Un sepsis sans état de choc peut suffire au développement d’une IRA. Bagshaw et al. montrent que 47,5 % des patients âgés ayant un sepsis développent une IRA [18]. La récupération ad integrum de la fonction rénale est attendue, cependant des séquelles rénales avec différents degrés d’insuffisance rénale chronique sont fréquentes chez le sujet âgé. Néphropathie interstitielle aiguë Le diagnostic d’une néphropathie interstitielle immunoallergique, dont le risque théorique s’accroît parallèlement à la polymédication, repose sur la présence de signes allergiques extrarénaux notamment cutanés et d’une classique éosinophilurie. Cependant, la présence de ces différents éléments est inconstante et l’IRA interstitielle peut être isolée. Glomérulopathies Les glomérulopathies s’observent également chez la personne âgée avec une forte proportion, de l’ordre de 30 % des cas contre 10 % chez le sujet plus jeune. Comme principale cause, on retrouve l’amylose (AL ou AA) qui représente 15 % des syndromes néphrotiques chez la personne âgée. Les atteintes glomérulaires des vascularites doivent également être systématiquement recherchées, le pronostic rénal étant corrélé à l’introduction d’un traitement spécifique : corticoïdes et/ou immunosuppresseurs. L’intensité de ces traitements est tout de fois allégée chez la personne âgée, notamment en raison du risque infectieux. Néphropathies vasculaires L’incidence des néphropathies vasculaires augmente avec l’âge. Les embolies de cristaux de cholestérol sont plus fréquentes chez les patients polyvasculaires de plus de 70 ans et représentent 3 à 4 % des IRA. Cette cause d’IRA survient sur un terrain prédisposé après angioplastie rénale dans 2 à 15 % des cas et après coronarographie dans 0,15 à 1,4 % des cas. Les tome // > n8/ > /

Pour citer cet article : Commereuc M et al., Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.07.030. Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques

Traitement Il n’existe pas de spécificité dans les traitements des IRA obstructives ou hypovolémiques. L’IRA obstructive nécessite la pose d’une sonde urinaire et une dérivation des urines par néphrostomie, sonde uréthérale ou sonde JJ. L’IRA fonctionnelle nécessite la suspension des thérapeutiques néphrotoxiques et la réhydratation par un apport d’eau et de sel (sérum physiologique IV). En absence d’autres causes évidentes et d’insuffisance cardiaque, le diagnostic de déshydratation étant très fréquent et souvent sous-évalué chez la personne âgée, un test diagnostique et thérapeutique de remplissage au sérum physiologique (1500 cm3 dans les premières 24 h) est fréquemment utilisé. Le traitement de l’IRA organique ne présente pas de spécificité, en dehors de l’épargne cortisonique dans les causes glomérulaires, et il ne sera pas détaillé. La prévalence de l’IRA requérant de l’épuration extrarénale est de 5 à 6 % [19]. L’épuration extrarénale reste un traitement discuté dans cette population de personnes âgées. Dans la population générale, l’IRA nécessitant l’épuration extrarénale augmente le risque de séquelles rénales aboutissant à l’insuffisance rénale chronique et parfois à la dialyse définitive [20– 22]. Peu d’études se sont intéressées à l’initiation de l’épuration extrarénale et au pronostic vital et rénal des personnes âgées dialysées en réanimation pour une IRA. Certaines suggèrent que les patients âgés dialysés pour une IRA ont un risque plus important d’insuffisance rénale et de dialyse chronique par rapport au sujet jeune [23], d’autres suggèrent que les patients dialysés pour une IRA ont un risque plus important de dialyse chronique et que ce risque persiste plusieurs années après l’épisode aigu mais pas de risque de mortalité plus important [24]. Par ailleurs, de récentes études montrent que le paramètre le plus prédictif dans la survenue d’événements indésirables chez la personne de plus de 80 ans est l’âge physiologique, évalué par le degré d’autonomie et de dépendance et la qualité de vie pré-morbide [25]. La maîtrise des techniques d’épuration extrarénale en réanimation s’est considérablement améliorée ces dernières années [26]. Aucune étude n’a démontré un bénéfice de l’épuration extrarénale continue par rapport à l’hémodialyse intermittente. La tome // > n8/ > /

méthode d’épuration extrarénale sera influencée par la pathologie, la sévérité du patient, son état hémodynamique ainsi que la maîtrise de la technique par l’équipe médicale et paramédicale [27]. Aussi, nous considérons que l’âge ne doit pas être une contre-indication à l’initiation d’une thérapeutique intensive, notamment l’initiation d’une épuration extrarénale [28,29]. La décision thérapeutique doit être prise au cas par cas, en fonction du terrain et des pathologies sous-jacentes. L’évaluation globale de la personne âgée, à l’aide des échelles décrites ci-dessus, est une étape importante de la prise en charge thérapeutique. Il n’existe pas de contre-indication à la dialyse, cependant elle semble raisonnablement non indiquée chez les personnes âgées démentes ou dépendantes.

Prévention La prévention de l’IRA doit être une priorité et une préoccupation constante chez la personne âgée. Elle repose sur la prescription raisonnée en considérant le rapport bénéfice/ risque des médicaments. La néphrotoxicité doit être appréciée en fonction de la mesure de la fonction rénale, des interactions médicamenteuses et des modifications anatomiques et pharmacodynamiques liées à l’âge. Tout examen nécessitant l’injection de produit de contraste iodé doit se faire après évaluation de la fonction rénale et hyperhydratation en milieu hospitalier. Les quantités iodés injectées et la durée de l’examen doivent être réduites au minimum en prenant garde d’utiliser des radiotraceurs peu néphrotoxiques. Une attention particulière doit être portée à la fonction rénale lors de l’introduction de thérapeutiques néphrotoxiques telles que les aminosides, les AINS, les diurétiques, les IEC et les ARA2. Les posologies doivent être adaptées à la fonction rénale, les résiduelles et les pics des antibiotiques doivent être surveillés. Les associations médicamenteuses à risque : AINS, IEC, diurétiques et aldostérone sont déconseillées. Compte tenu de la forte incidence d’IRA fonctionnelle, la personne âgée et son entourage doivent être éduqués et sensibilisés aux situations à risque de déshydratation. Elles doivent apprendre à consulter sans délai leur médecin traitant pour suspendre les traitements néphrotoxiques et assurer une réhydratation avec de l’eau et du sodium, notamment en cas de fortes chaleurs ou de diarrhées.

Éthique Les octogénaires représentent une proportion grandissante de patients admis en réanimation médicale. Le raisonnement diagnostique de l’IRA doit être le même que chez l’adulte jeune. Les personnes âgées restent de plus en plus autonomes et l’âge ne doit plus être considéré comme un facteur limitant les thérapeutiques invasives. Les décisions thérapeutiques doivent impliquer au maximum le patient, sa famille et ses médecins référents et doivent se prendre en fonction de la

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autres causes d’IRA vasculaire (cardiopathies emboligènes) n’ont rien de spécifiques chez le sujet âgé. La microangiopathie thrombotique (MAT), associant un tableau d’hémolyse et d’insuffisance rénale aiguë, peut survenir chez la personne âgée. Il s’agit majoritairement de syndrome hémolytique et urémique (SHU) typique à shigatoxines, plus rarement d’un purpura thrombopénique thrombocytopénique pour lequel les signes neurologiques sont classiquement au premier plan. Dans cette population de personnes âgées, il convient de rechercher également des MAT secondaires, notamment iatrogènes et néoplasiques.

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Pour citer cet article : Commereuc M et al., Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.07.030.

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qualité de vie. Le risque de dialyse chronique chez un patient de plus de 80 ans dialysé en réanimation est cinq fois plus élevé que chez le sujet de moins de 80 ans. Ce risque élevé de dépendance doit être considéré avant de démarrer une épuration extrarénale. Le pronostic vital des sujets âgés en IRA est sombre mais comparable à celui des patients plus jeunes. Le pronostic rénal (insuffisance rénale chronique et dialyse chronique) semble plus défavorable chez les sujets âgés.

Conclusion L’IRA est un motif d’hospitalisation fréquent chez la personne âgée associée à une morbi-mortalité accrue. L’incidence de cette complication s’explique par les modifications anatomiques et structurelles du rein liées au vieillissement, aux

pathologies chroniques sous-jacentes et à la polymédication. Les causes de l’IRA ne sont pas différentes de celles des sujets jeunes mais leur répartition présente certaines spécificités. Les personnes âgées sont celles qui bénéficient le plus de la prévention de l’insuffisance rénale aiguë. Les raisonnements diagnostiques et thérapeutiques ne sont pas différents de ceux du sujet plus jeune. L’âge ne doit plus être considéré comme un facteur limitant le recours aux traitements invasifs. L’épuration extrarénale n’est pas contre-indiquée chez le sujet âgé. La prescription doit être décidée en fonction du terrain, des pathologies sous-jacentes, des choix du patient et être régulièrement réévaluée. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Comple´ment e´lectronique disponible sur le site Internet de La Presse Médicale (http://www. em-consulte.com/revue/lpm). Annexe 1 Échelle des activités de la vie quotidienne Annexe 2 Classification RIFLE

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Pour citer cet article : Commereuc M et al., Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.07.030. Insuffisance rénale aiguë chez la personne âgée : aspects diagnostiques et thérapeutiques

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Mise au point

Néphrologie / Gériatrie

[Acute kidney injury in elderly patient: Diagnostic and therapeutic aspects].

Acute renal failure in elderly patient is a public health problem. It is worsen by physiological status and anatomical changes associated with age, po...
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