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30 mg/kg e´tait imme´diatement de´bute´e, associe´e a` une corticothe´rapie par de´xame´thasone 10 mg/8 h intraveineux. Le re´veil de la patiente e´tait rapide et agite´, conduisant a` une extubation le jour de l’admission. L’e´volution clinique e´tait marque´e par la persistance d’une obnubilation a` 24 heures et la re´gression comple`te des troubles neurologiques en 48 heures. Les examens bacte´riologiques du LCR (coloration Gram, PCR) e´tant tous ne´gatifs a` 72 heures, conduisant a` l’arreˆt de l’antibiothe´rapie et de la corticothe´rapie. Le diagnostic retenu e´tait celui d’une me´ningite aseptique a` la bupivacaı¨ne. La patiente e´tait transfe´re´e a` la maternite´ de la clinique apre`s 4 jours d’hospitalisation en re´animation. La conscience e´tait normale, la patiente e´tait parfaitement oriente´e et asymptomatique. Le diagnostic de me´ningite aseptique a` la bupivacaı¨ne est le plus probable en raison des e´le´ments suivants :  les anomalies du LCR, caracte´rise´es par une ple´iocytose importante (1900 e´le´ments/mm3) et une prote´inorachie e´leve´e (450 mg/dL) quelques heures apre`s la re´alisation de la rachianesthe´sie concordent avec les rares cas de me´ningite a` la bupivacaı¨ne de´crits dans la litte´rature (Tableau 1) [1–5] ;  la ne´gativite´ de l’ensemble des examens bacte´riologiques du LCR et sanguins. La patiente a rec¸u 1 g de ce´fazoline en prophylaxie en pre´ope´ratoire. La diffusion dans le LCR de cet antibiotique e´tant tre`s mauvaise, cette administration n’a pas faussement ne´gative´ les examens bacte´riologiques du LCR. En outre, les PCR me´ningocoque et pneumocoque dans le LCR se sont aussi re´ve´le´es ne´gatives ;  le de´lai d’apparition des symptoˆmes, relativement bref apre`s la rachianesthe´sie et la ne´gativite´ des examens permettent d’e´carter une me´ningite bacte´rienne, a fortiori nosocomiale ;  l’e´volution rapidement e´tait favorable en moins de 48 heures. Diffe´rents agents ont de´ja` e´te´ incrimine´s dans les me´ningites aseptiques chimiques post-ponction lombaire : produits de contraste lors de mye´lographies, chimiothe´rapies intrathe´cales, de´sinfectants cutane´s, talc des gants, produits anesthe´siques [4]. Des me´ningites aseptiques ont e´galement e´te´ rapporte´es en l’absence de ponction lombaire apre`s prise d’anti-inflammatoires non ste´roı¨diens, d’antibiotiques, d’immunoglobulines IV, d’OKT3 – principalement – mais aussi de carbamaze´pine, de sulfasalazine, de phe´nazopiridine, de zilmenidine, de cytarabine, d’azathioprine, de ranitidine, du vaccin contre l’he´patite B et d’intoxication a` l’acide salicylique [6]. Le tableau clinique de me´ningite a` la bupivacaı¨ne est celui d’une me´ningite bacte´rienne : syndrome me´ninge´ fe´brile, toujours associe´ a` des signes d’ence´phalopathie : syndrome confusionnel ou troubles de la vigilance, ple´iocytose importante a` pre´dominance de polynucle´aires neutrophiles, hyperprote´inorachie importante avec ou sans hypoglycorachie. Notre cas est le seul rapportant une imagerie ce´re´brale anormale. Le de´lai se´parant le geste de l’apparition des symptoˆmes varie de 1 h a` 24 h. La gue´rison est toujours totale, sans se´quelle, survenant dans un de´lai variant de 10 h a` 3 jours. Les anesthe´siques locaux, dont la bupivacaı¨ne, auraient des proprie´te´s bacte´riostatiques in vitro [7,8]. Leur influence sur la modification du LCR au cours d’une me´ningite infectieuse n’est pas e´tablie. A` noter d’autres cas rapporte´s de me´ningites aseptiques post-anesthe´sie pe´ridurale ou rachianesthe´sie re´alise´es avec des mole´cules proches de la bupivacaı¨ne : te´tracaı¨ne, dibucaı¨ne [9,10]. Les tableaux clinico-biologiques de´crits sont similaires a` ceux de´crits pour la bupivacaı¨ne. Le me´canisme de survenue de me´ningite a` la bupivacaı¨ne est inconnu. Il pourrait eˆtre re´actionnel par toxicite´ directe de l’anesthe´sique ou immunoallergique. Devant un tableau de me´ningite post-rachianesthe´sie, le diagnostic de me´ningite a` la bupivacaı¨ne reste un diagnostic d’e´limination et la prise en charge devra toujours comprendre une

analyse du LCR et la mise en place d’une antibiothe´rapie probabiliste pre´coce. La connaissance de cette entite´ e´tiologique parait toutefois importante afin d’e´viter une nouvelle exposition a` la bupivacaı¨ne et une antibiothe´rapie prolonge´e inutile. ˆ ts De´claration d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Tateno F, Sakakibara R, Kishi M, Ogawa E. Bupivacaine-induced chemical meningitis. J Neurol 2010;257:1327–9. [2] Lambotte O, Bafounta J, Bouvet E. Un cas de me´ningite aseptique a` la bupivacaı¨ne. Med Mal Infect 1997;27:314–6. [3] Besocke AG, Santamarina R, Romano LM, Femminini RA. [Bupivacaine induced aseptic meningitis]. Neurologia 2007;22:551–2. [4] Francois B, Duval X, Le Moing V, Bruneel F, Leport C, Vilde JL. Me´ningite a` la bupivacaı¨ne. Rev Med Interne 1999;20:719–20. [5] Santos MC, de Albuquerque BC, Monte RL, Filho GG, Alecrim M. Outbreak of chemical meningitis following spinal anesthesia caused by chemically related bupivacaine. Infect Control Hosp Epidemiol 2009;30:922–4. [6] Moris G, Garcia-Monco JC. The challenge of drug-induced aseptic meningitis. Arch Intern Med 1999;159:1185–94. [7] Rosenberg PH, Renkonen OV. Antimicrobial activity of bupivacaine and morphine. Anesthesiology 1985;62:178–9. [8] Aydin ON, Eyigor M, Aydin N. Antimicrobial activity of ropivacaine and other local anaesthetics. Eur J Anaesthesiol 2001;18:687–94. [9] Easley RB, George R, Connors D, Tobias JD. Aseptic meningitis after spinal anesthesia in an infant. Anesthesiology 1999;91:305–7. [10] Bert AA, Laasberg LH. Aseptic meningitis following spinal anesthesia – a complication of the past? Anesthesiology 1985;62:674–7.

A. Ducornet, F. Brousous, C. Jacob, P.-Y. Egreteau, J.-M. Tonnelier* Service de re´animation me´dicale, poˆle ARSIBOU, CHRU de la Cavale-Blanche, boulevard Tanguy-Prigent, 29609 Brest cedex, France *Auteur correspondant Adresse e-mail : [email protected] (A. Ducornet) Disponible sur Internet le 26 mars 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2014.02.019

Acute kidney injury et cancer Acute kidney injury and cancer

I N F O A R T I C L E

Mots cle´s : Acute kidney injury Cancer He´mopathies malignes Keywords: Acute kidney injury Cancer Haematological malignancies

Le de´veloppement d’un acute kidney injury (AKI) complique fortement la prise en charge des patients atteints de cancer. L’enjeu est marque´ non seulement par la morbidite´ et la mortalite´ propre de l’AKI, mais aussi par son influence sur les traitements

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Fig. 1. E´tiologies particulie`res d’AKI chez le patient atteint de cancer.

anti-tumoraux qu’il peut contre-indiquer [1]. En re´animation, si la question de la limitation des the´rapeutiques actives se pose fre´quemment chez les patients souffrant de cancer, l’e´puration extrare´nale (EER) doit-elle pour autant eˆtre conside´re´e comme disproportionne´e ? L’AKI est fre´quent chez les patients atteints de cancer. L’incidence est de 32 % tous types de cancers confondus [2], variant de 18 % pour les cancers les moins a` risque comme le me´lanome a` 90 % en cas d’allogreffe de cellules souches he´matopoı¨e´tiques (CSH) [3,4]. Les e´tiologies de l’atteinte re´nale sont multiples et l’AKI re´sulte le plus souvent d’un processus multifactoriel [1–3,5] (Fig. 1). Les principaux facteurs de risques d’AKI chez le patient souffrant de cancer sont l’aˆge supe´rieur a` 65 ans, une maladie re´nale pre´existante, et des comorbidite´s comme un diabe`te ou une cardiopathie [5]. Dans les he´mopathies, l’AKI survient le plus souvent apre`s chimiothe´rapie d’induction ou greffe de CSH, avec une incidence et une se´ve´rite´ plus marque´es apre`s allogreffe classique qu’apre`s auto- ou mini-allogreffe [3]. Au-dela` du traitement symptomatique, il existe une prise en charge spe´cifique pour certaines pathologies malignes. Dans la ne´phropathie a` cylindres mye´lomateux, des the´rapeutiques extracorporelles adjuvantes a` la chimiothe´rapie ont e´te´ propose´es afin de diminuer la concentration des chaıˆnes le´ge`res libres, et ainsi limiter leur pre´cipitation intratubulaire [6]. La plasmaphe´re`se ne semble pas avoir de´montre´ d’ame´lioration du pronostic re´nal et de la mortalite´ [6] ; en revanche, l’he´modialyse utilisant des membranes a` haut point de coupure semble prometteuse, avec une relation line´aire entre le pourcentage de re´duction du taux de chaıˆnes le´ge`res libres plasmatiques et l’inde´pendance a` la dialyse apre`s AKI se´ve`re [7]. Les e´tudes MYRE (NCT01208818) et EuLITE (NCT00700531), en cours, permettront probablement d’apporter des donne´es comple´mentaires concernant cette the´rapeutique. Dans la greffe de CSH, le traitement du syndrome d’obstruction sinusoı¨dale fait appel aux anticoagulants, a` l’acide ursode´soxycholique, au de´fibrotide, et parfois au N-ace´tyl-cyste´ine [1]. Enfin, on peut souligner la place centrale de la rasburicase dans la prise en charge pre´ventive et curative du syndrome de lyse tumorale [1]. La mortalite´ des patients souffrant de cancer et de´veloppant un AKI est e´leve´e et corre´le´e a` la se´ve´rite´ de l’AKI. En cas de ne´cessite´ d’EER, le pronostic devient tre`s pe´joratif avec une mortalite´ a` 6 mois entre 73 et 78 % [2,8]. Cependant, celui-ci semble meilleur si l’EER est de´bute´e de`s l’entre´e en re´animation par rapport a` une initiation plus tardive [2,7]. Ne´anmoins, chez les survivants,

l’inde´pendance de la dialyse a` 6 mois est obtenue dans 85 a` 92 % des cas [2,8]. La mortalite´ n’est pas associe´e au cancer en soi, mais au nombre et a` la se´ve´rite´ des dysfonctions d’organes associe´es et a` l’aggravation de la fonction re´nale durant le se´jour en re´animation [2,8]. Les autres facteurs de risque de mortalite´ sont un aˆge supe´rieur a` 60 ans, un cancer non controˆle´ (mais pas le type de cancer), un performance status alte´re´, et la ne´cessite´ d’une ventilation me´canique [2]. Dans le cadre des AKI post-greffe de CSH, le pronostic est tre`s diffe´rent en fonction de la ne´cessite´ ou non d’une EER, la mortalite´ passant de 18 a` presque 100 % [4]. Au total, la mortalite´ hospitalie`re et a` 6 mois n’est pas diffe´rente de celle des patients non cance´reux pre´sentant un AKI ne´cessitant une EER [9]. Ainsi, hors cancer non controˆle´ et multiples de´faillances d’organes, il semble raisonnable de proposer que l’EER soit accessible aux patients cance´reux pre´sentant un AKI. En conclusion, l’AKI est une complication fre´quente chez les patients atteints de cancer. Des the´rapeutiques spe´cifiques peuvent parfois eˆtre introduites. Bien que le pronostic soit sombre, il ne semble pas lie´ a` la pathologie maligne en soi, mais plutoˆt au nombre de de´faillances d’organes associe´es. C’est donc sur ces donne´es que doivent s’appuyer la de´cision d’initier ou non des se´ances d’EER en cas d’AKI se´ve`re. De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Lameire NH, Flombaum CD, Moreau D, Ronco C. Acute renal failure in cancer patients. Ann Med 2005;37:13–25. [2] Soares M, Salluh JIF, Carvalho MS, Darmon M, Rocco JR, Spector N. Prognosis of critically ill patients with cancer and acute renal dysfunction. J Clin Oncol 2006;24:4003–10. [3] Parikh CR, Coca SG. Acute renal failure in hematopoietic cell transplantation. Kidney Int 2006;69:430–5. [4] Hahn T, Rondeau C, Shaukat A, Jupudy V, Miller A, Alam AR, et al. Acute renal failure requiring dialysis after allogeneic blood and marrow transplantation identifies very poor prognosis patients. Bone Marrow Transplant 2003;32:405–10. [5] Denker B, Robles-Osorio ML, Sabath E. Recent advances in diagnosis and treatment of acute kidney injury in patients with cancer. Eur J Intern Med 2011;22:348–54. [6] Dimopoulos MA, Terpos E, Chanan-Khan A, Leung N, Ludwig H, Jagannath S, et al. Renal impairment in patients with multiple myeloma: a consensus statement on behalf of the International Myeloma Working Group. J Clin Oncol 2010;28:4976–84.

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[7] Hutchison CA, Heyne N, Airia P, Schindler R, Zickler D, Cook M, et al. Immunoglobulin free light chain levels and recovery from myeloma kidney on treatment with chemotherapy and high cut-off haemodialysis. Nephrol Dial Transplant 2012;27:3823–8. [8] Maccariello E, Valente C, Nogueira L, Bonomo Jr H, Ismael M, Machado JE, et al. Outcomes of cancer and non-cancer patients with acute kidney injury and need of renal replacement therapy admitted to general intensive care units. Nephrol Dial Transplant 2011;26:537–43. [9] Darmon M, Thiery G, Ciroldi M, Porcher R, Schlemmer B, Azoulay E. Should dialysis be offered to cancer patients with acute kidney injury? Intensive Care Med 2007;33:765–72.

L. Juillard Service de ne´phrologie, pavillon P, hoˆpital E´douard-Herriot, hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France T. Rimmele´* De´partement d’anesthe´sie-re´animation, service P-re´animation, hoˆpital E´douard-Herriot, hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France *Auteur correspondant Adresse e-mail : [email protected] (T. Rimmele´)

T. Girardot, J. Prothet, M. Page De´partement d’anesthe´sie-re´animation, service P-re´animation, hoˆpital E´douard-Herriot, hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France

Disponible sur Internet le 31 mars 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2014.03.002

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