Presse Med. 2015; 44: 48–51

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ANGIŒD EME

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Dossier thématique

Angiœdèmes bradykiniques acquis non médicamenteux Olivier Fain 1, Delphine Gobert 1, Cam Anh Khau 1, Arsène Mekinian 1, Nicolas Javaud 2

Disponible sur internet le : 18 décembre 2014

1. AP–HP, DHU i2B, université Paris 6, hôpital Saint-Antoine, centre de références des angioedèmes à kinines (CREAK), service de médecine interne, 75012 Paris, France 2. AP–HP, université Paris 7, urgences, hôpital Louis-Mounier, 92700 Colombes, France

Correspondance : Olivier Fain, AP–HP, DHU i2B, université Paris 6, hôpital Saint-Antoine, centre de références des angioedèmes à kinines (CREAK), service de médecine interne, 75012 Paris, France. [email protected]

Points essentiels Les angiœdèmes bradykiniques acquis non médicamenteux sont rares. Ils sont associés aux gammapathies monoclonales de signification indéterminée (MGUS) ou aux syndromes lymphoprolifératifs. Ils sont responsables de la même symptomatologie que celle des angiœdèmes héréditaires et donc exposent au même risque d'atteinte laryngée. Ils sont caractérisés par un déficit en C4, en C1Inh pondéral et fonctionnel et en C1q. Ils sont liés à la consommation de C1Inh par les cellules lymphoïdes (type I) ou à la présence d'anticorps anti-C1Inh (type II). Ils doivent bénéficier d'un traitement symptomatique des crises : concentré de C1Inh ou icatibant. La place du rituximab reste à déterminer.

Key points Acquired angioedema

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Acquired angioedema are rare. They are associated with monoclonal gammapathies of uncertain significance (MGUS) or lymphomas. They give the same symptoms as the hereditary form and the same laryngeal risk. They are characterized by a low level of C4, C1Inh and C1q. They are linked to the consumption of C1Inh by the lymphoid cells or to the presence of anti-C1Inh autoantibodies. They must be treated by symptomatic treatment when attack occur (C1Inh concentrate and icatibant). The use of rituximab needs to prove its efficiency.

tome 44 > n81 > janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.09.010 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Angiœdèmes bradykiniques acquis non médicamenteux

es angiœdèmes bradykiniques sont héréditaires (AOH) ou acquis (AOA), secondaires à un déficit en C1 inhibiteur (C1Inh) ou liés uniquement à une anomalie du métabolisme de la bradykinine. Les formes acquises peuvent être :  d'origine médicamenteuse ; ce sont les plus fréquentes, principalement secondaires à la prise d'inhibiteurs de l'enzyme de conversion (le C1Inh est normal) ;  ou non médicamenteuses ; elles sont rares, le plus souvent associées à une gammapathie monoclonale ou une hémopathie lymphoïde (le C1Inh est alors abaissé). Alors que la forme héréditaire de déficit en C1Inh (AO type I et II) est liée à une mutation du gène de la SERPING1, responsable d'un défaut de synthèse ou de la synthèse d'une protéine non fonctionnelle, la forme acquise est caractérisée par une consommation excessive de C1Inh.

TABLEAU I Pathologies associées aux angiœdèmes acquis Cicardi [3] n = 105 n (%)

Cicardi [1] n = 42 n (%)

MGUS

41 (32)

19 (45)

Hémopathie lymphoïde

45 (35)

12 (28) 3 avec MGUS

Autre néoplasie

8 (6)

3 (7) 2 avec MGUS

Maladie auto-immune

10 (8)

?

Autres

5 (4)

?

1

1 avec MGUS

19 (15)

6 (14)

Hydatidose Aucune pathologie associée

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L

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Épidémiologie

Manifestations cliniques Les angiœdèmes acquis ont la même présentation clinique que les AOH : angiœdèmes touchant la face, la langue et le larynx, les extrémités, les régions génitales et le tractus

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gastro-intestinal, d'apparition brutale, de durée limitée (2 à 5 jours), non accompagnés d'urticaire, résistants aux corticoïdes et aux antihistaminiques [1]. L'atteinte de la face, notamment de la langue, et des membres semble plus fréquente, l'atteinte abdominale plus rare que dans la forme héréditaire. Ils exposent au même risque de mortalité par atteinte laryngée, si aucun traitement spécifique n'est administré. Les déficits acquis en C1 inhibiteur sont parfois asymptomatiques. Hory et al. mettaient en évidence 3 déficits acquis en C1Inh asymptomatiques parmi 45 hémopathies lymphoïdes [7] et Grosbois et al., 3 cas parmi 100 patients atteints de syndromes lymphoprolifératifs [8].

Physiopathologie et explorations biologiques Dans les angiœdèmes de type I, associés à une hémopathie lymphoïde, les cellules lymphoïdes consomment le C1Inh, comme l'ont montré des études in vitro : réduction de l'activité hémolytique du complément, de la fraction C1 et du C1Inh [4]. Dans les types II, l'auto-anticorps anti-C1Inh se fixe sur le C1Inh et favorise le clivage de C1Inh en molécules inactives. Ces deux mécanismes peuvent être présents dans les hémopathies lymphoïdes associées aux MGUS. Cette réduction de l'activité fonctionnelle du C1Inh active la voie classique du complément et le système contact entraînant la formation de bradykinine, ce qui augmente la perméabilité vasculaire à l'origine de l'angiœdème. Dans les AOA de type I et II, le CH50 et le C4 sont effondrés, le dosage pondéral et l'activité fonctionnelle de C1Inh sont

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Les AOA sont dix fois plus rares que les formes héréditaires, soit une estimation de 1/100 000 à 1/500 000 personnes [1]. La plupart sont associés à des syndromes lymphoprolifératifs ou à des gammapathies monoclonales de signification indéterminée (MGUS). Dans la série de Cicardi et al., 47 des 136 AO acquis étaient associés à une MGUS [2] soit 35 % versus 3 % de MGUS dans la population générale (tableau I). Les déficits acquis sont classiquement de 2 types, toutefois, pour certains, il s'agit d'un continuum de la même affection car peuvent coexister auto-immunité et lymphoprolifération [4]. Les déficits de type II sont caractérisés par la présence d'un anticorps anti-C1 inhibiteur et associés dans plus de 60 % des cas à une MGUS ou à un syndrome lymphoprolifératif. Ils peuvent apparaître de façon différée par rapport à l'hémopathie [3– 6]. D'autres associations, pouvant être fortuites, ont été rapportées : tumeurs solides, hydatidose, adénocarcinome gastrique. Cet anticorps n'est pas mis en évidence dans les déficits acquis en C1 inhibiteur de type I, qui sont plus rares et associés à des proliférations lymphoïdes malignes B de bas grade : lymphome de la zone marginale splénique ou ganglionnaire, lymphomes lymphoplasmacytoïdes, maladie de Waldenström. La découverte d'un AOA acquis nécessite donc la recherche d'une MGUS et d'une hémopathie lymphoïde. L'âge de survenue des premiers symptômes est habituellement supérieur à 40 ans, alors qu'il est de moins de 20 ans dans la forme héréditaire. Les AOA surviennent hors contexte familial, cependant 25 % des AOH sont liés à des mutations de novo, donc sans antécédents familiaux.

Mise au point

O. Fain, D. Gobert, C.A. Khau, A. Mekinian, N. Javaud

TABLEAU II Caractéristiques des angiœdèmes bradykiniques acquis et comparaison par rapport aux formes héréditaires Angiœdèmes héréditaires Type I Âge de début

Angiœdèmes acquis Type II

Type I

< 20 ans

Antécédents familiaux

Type II > 40 ans

++

Crises abdominales

90 %

50 %

C1Inh pondéral

Bas

Normal

Bas

Bas

C1Inh fonctionnel

Bas

Bas

Bas

Bas

Normal

Normal

Bas 70 %

Bas 70 %

C1q Anticorps anti-C1Inh Mutation

+ SERPING 1

Absente

Absente

C1Inh : C1 inhibiteur.

abaissés. Le C1q est bas dans 70 % des cas alors qu'il est normal dans les formes héréditaires. L'AOA de type II diffère du type I par la présence d'anticorps anti-C1Inh (tableau II).

Traitement Traitement de la maladie associée

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Les données de la littérature sont rares et éparses, les recommandations inexistantes. La chimiothérapie est proposée lorsque le déficit acquis en C1Inh est associé à un lymphome, et la splénectomie en cas de lymphome splénique. L'évolution du déficit en C1Inh est variable. Une augmentation du C1Inh est rapportée après splénectomie dans des lymphomes spléniques [4,5,9,10]. Dans certains cas, une amélioration clinique est signalée après traitement de l'hémopathie lymphoïde, sans constante normalisation du C1Inh. Dans d'autres cas, le traitement de l'hémopathie lymphoïde ne modifie pas la symptomatologie clinique et les anomalies biologiques. Enfin, certaines situations hématologiques ne nécessitent pas de traitements spécifiques : MGUS, LLC stade A, hémopathies lymphoïdes de bas grade. Les corticoïdes et le cyclophosphamide sont alors proposés. Le rituximab, anticorps monoclonal anti-CD20, a montré son efficacité dans les hémopathies lymphoïdes et certaines maladies auto-immunes. Les résultats au cours des AOA sont inconstants. Dans les travaux de Ziakas et al. [11] et Levi et al. [12], le rituximab contrôlait les manifestations d'angiœdèmes et normalisait les anomalies du complément dans les 4 cas rapportés, dont 3 après échec des corticoïdes et du cyclophosphamide. Un anticorps anti-C1Inh était présent dans 2 cas, un lymphome B de bas grade dans 2 cas et dans un cas une IgM monoclonale.

Notre étude de 7 cas traités par rituximab (6 AOA de type II et 1 de type I), objectivait une efficacité clinique totale dans 3 cas, partielle dans 2 cas avec une amélioration biologique dans 2 cas (normalisation du C1 inhibiteur et baisse de l'anticorps anti-C1 inhibiteur) dans un délai de 1 à 9 mois après les dernières injections, et uniquement après une deuxième cure de rituximab (4 injections hebdomadaires de 375 mg/m2). Les 2 améliorations cliniques et biologiques survenaient après 2 cures de rituximab, soit 8 injections. L'association à une hémopathie lymphoïde ne modifiait pas la réponse au traitement [13].

Traitement symptomatique Il est le même que celui de l'AOH : acide tranéxamique (AT), danazol, concentré de C1Inh. Les androgènes semblent moins efficaces dans la forme acquise que les antifibrinolytiques (AT). La symptomatologie peut être réfractaire au C1Inh du fait de la forte concentration d'anticorps anti-C1Inh nécessitant une augmentation des doses [1]. L'icatibant, antagoniste des récepteurs B2 de la bradykinine, est efficace dans les déficits acquis [14].

Angiœdèmes acquis et lupus érythémateux systémique Une forme acquise d'AO a été décrite chez 3 femmes ayant un lupus systémique [15]. Les manifestations d'angiœdème étaient typiques, le lupus ne présentait pas de signes d'activité clinique, il était connu depuis 20 ans dans 1 cas et concomitant dans les 2 autres. Il existait des signes d'activation de la voie classique du complément avec un C3 et un C4 bas, un C2 indétectable, un C1Inh antigène et fonctionnel abaissé, des taux élevés d'anticorps anti-C1q et l'absence d'anticorps anti-C1Inh. Les corticoïdes (prednisone 0,5 mg/kg/j) permettaient de faire

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Angiœdèmes bradykiniques acquis non médicamenteux

Conclusion Les angiœdèmes acquis sont rares et le plus souvent associés à une gammapathie monoclonale ou une hémopathie lymphoïde de bas grade. L'évolution est variable mais le risque

d'atteinte laryngée existe, nécessitant l'utilisation de traitements spécifiques symptomatiques : concentré de C1Inh et icatibant. Le rituximab pourrait être utile, ses modalités d'administration restent à préciser.

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disparaître les angiœdèmes et normalisaient le C1Inh avec un suivi de 15 à 36 mois.

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Déclaration d'intérêts : Olivier Fain est conseiller scientifique auprès des laboratoires Shire/Viropharma et Behring.

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[Acquired angioedema].

Acquired angioedema are rare. They are associated with monoclonal gammapathies of uncertain significance (MGUS) or lymphomas. They give the same sympt...
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