Journal français d’ophtalmologie (2015) 38, e101—e106

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LETTRE À L’ÉDITEUR Neuropathie optique ischémique bilatérale. Forme clinique rare夽 A rare form of bilateral ischemic optic neuropathy Introduction La neuropathie optique ischémique antérieure (NOIA), aiguë ou subaiguë, résulte de divers mécanismes étiologiques artéritiques ou non artéritiques (athéromateux ou hémodynamique). Elle est classiquement associée aux facteurs de risques cardiovasculaires. Les formes bilatérales présentent un pronostic fonctionnel sévère et doivent être connues car parfois trompeuses, notamment en cas de tableau infraclinique débutant. Nous rapportons le cas d’une NOIA bilatérale, aigüe à gauche et infraclinique à droite. Observation Une patiente de 25 ans est adressée pour prise en charge d’une NOIAAiguë (NOIAA) étiquetée initialement artéritique devant un contexte néphrologique immunologique et une CRP élevée, éléments ayant conduit à une corticothérapie par bolus. Elle est dialysée pour insuffisance rénale chronique secondaire à une hyalinose segmentaire et focale corticorésistante, compliquée d’hypotension artérielle très sévère (pression artérielle systolique [PAS] = 55 mmHg). Elle décrit depuis un an des épisodes de baisse d’acuité visuelle (AV) uni- ou bilatéraux transitoires (10 à 12 heures) survenant régulièrement après dialyse. L’AV est normale à droite, 10/10 Parinaud (P) 2, et très réduite à gauche, 1/10 P10. Les segments antérieurs sont normaux, la pression intra-oculaire (PIO) est symétrique à 10 mmHg. Le fond d’œil (FO) relève, à droite, une pâleur papillaire sectorielle inférieure et, à gauche, un important œdème papillaire blanchâtre accompagné d’hémorragies en flammèches et de dilatations veineuses marquées (Fig. 1). Il n’existe pas d’anomalie visible morphologique papillaire (drusens, dysversion). Les examens complémentaires montrent à droite un scotome arciforme supérieur absolu dans l’aire de Bjerrum et un amincissement papillaire atrophique sectoriel inférieur à la tomographie par cohérence optique (OCT). À gauche, est objectivé un



Cette lettre à lettre est issue d’un e-poster présenté au 119e congrès annuel de la Société franc ¸aise d’ophtalmologie.

Figure 1. Fond d’œil droit et gauche initiaux. A. OD : pâleur papillaire sectorielle inférieure. B. OG : important œdème papillaire blanchâtre avec hémorragies en flammèches et dilatations veineuses marquées.

déficit périmétrique altitudinal inférieur absolu ainsi qu’un œdème papillaire à l’OCT confirmé par l’angiographie à la fluorescéine et associé à un retard circulatoire veineux choriorétinien mais sans ischémie choroïdienne visible (Fig. 2—4). L’analyse précise de l’IRM cérébrale révèle une discrète atrophie du nerf optique (NO) droit alors que le NO gauche paraît normal, sans anomalie de signal ni rehaussement (Fig. 5). La biologie confirme l’insuffisance rénale majeure (clairance de la créatine = 5 ml/min ; urée = 30 mmol/l), une hémoglobinémie normale et un syndrome inflammatoire modéré (CRP = 33 mg/l). L’ECG et l’échographie doppler des troncs supra-aortiques (EDTSA) sont normaux.

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Figure 2. Champs visuels de Goldman initiaux. A. OD : scotome arciforme supérieur absolu dans l’aire de Bjerrum. B. OD : déficit altitudinal inférieur absolu.

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e103 Discussion

Figure 3. OCT papillaire initiale : A. OD : atrophie péripapillaire sectorielle inférieure. B. OG : œdèmes papillaire et péripapillaire.

Le diagnostic évoqué est celui d’une NOIA bilatérale associant un tableau aigu à gauche et une atteinte infraclinique à droite. Un traitement par midodrine et fludrocortisone permet de normaliser la PAS. Un hypotonisant local (latanoprost) est associé afin de faciliter la perfusion du NO. L’évolution est marquée par une récupération progressive et complète de l’AV à gauche (10/10 à 2 mois) avec résorption de l’œdème papillaire au FO confirmée par l’OCT, mais persistance du déficit campimétrique inférieur (Fig. 6—8). Les éléments cliniques et paracliniques de l’œil droit restent inchangés.

Il s’agit d’une NOIA bilatérale associant une forme aiguë à gauche et un tableau infraclinique subaigu ou chronique à droite. L’hypothèse initiale d’une NOIAA d’origine artéritique a rapidement été exclue car le syndrome inflammatoire était lié à une rhinopharyngite virale (CRP normale à j5) et surtout l’angiographie ne montre aucune ischémie choroïdienne ni aucun signe de vascularite. L’IRM a permis d’éliminer une cause inflammatoire ou tumorale, l’EDTSA une cause athéromateuse. Le diagnostic le plus probable retenu est celui d’une neuropathie ischémique d’origine hémodynamique dans un contexte d’hypotension artérielle sévère. Cette hypotension est du reste aggravée par les séances de dialyses, sources d’hypovolémie. De nombreux cas de NOIAA liés à un bas débit sont décrits dans d’autres contextes notamment la chirurgie cardiaque [1,2]. Le risque de NOIAA serait augmenté lorsque : hypotension artérielle et PIO élevée coexistent. Ce cas est fréquent chez les patients dialysés, qui présentent classiquement 3 facteurs de risque de NOIAA : athérosclérose, anémie et hypovolémie [3—6]. Peu de NOIAA lors des dialyses sont décrites dans la littérature : 21 cas rapportés [4,7—9] mais l’incidence serait estimée à 1,5 % [6]. En l’absence de surveillance systématique, le caractère paucisymptomatique explique la rareté de diagnostic. L’atteinte du NO droit pourrait correspondre à une séquelle d’un épisode de NOIAA passé inaperc ¸u ou à des séquelles d’épisodes répétés de bas débits lors des dialyses. Ces aspects séquellaires de NOIA méconnue présentent des similitudes cliniques et physiopathologiques pouvant évoquer un diagnostic de glaucome à pression normale, secondaire à des épisodes d’hypoperfusion-reperfusion du NO et caractérisé par un scotome arciforme et une excavation papillaire [10]. Ce cas illustre la possibilité de survenue d’une NOIA bilatérale (aiguë et/ou chronique) à bas débit chez des sujets dialysés atteints d’hypotension artérielle profonde. Ces formes cliniques sévères justifient une surveillance ophtalmologique et la correction des hypotensions artérielles importantes chez tout patient dialysé.

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Figure 4. Angiographie à la fluorescéine initiale œil gauche. A. 14 secondes : remplissage artérielle. B. 19 secondes : retard de remplissage veineux. C. 25 secondes : retard de remplissage veineux. D. 45 secondes : absence d’ischémie choroïdienne.

Figure 5. IRM cérébrale T1 avec injection de gadolinium, coupe coronale. Atrophie modérée du nerf optique droit. Pas de rehaussement du nerf optique gauche.

Figure 6. Fond de l’œil gauche à 4 mois d’évolution. Régression complète de l’œdème papillaire.

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Figure 7. Champs visuels Goldman à 4 mois d’évolution. A. OD : persistance du déficit supérieur. B. OG : persistance du déficit de l’hémichamp visuel inférieur.

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Lettre à l’éditeur [2] Shapira OM, Kimmel WA, Lindsey PS, et al. Anterior ischemic optic neuropathy after open heart operations. Ann Thorac Surg 1996;61:660—6. [3] Hayreh SS, Zimmerman MB, Podhajsky PA, Alward WLM. Nocturnal arterial hypotension and its role in optic nerve head and ocular ischemic disorders. Am J Ophthalmol 1994;117: 603—24. [4] Chutorian AM, Winterkorn JMS, Geffner M. Anterior ischemic optic neuropathy in children: case reports and review of the literature. Pediatr Neurol 2002;26:358—64. [5] Siprija V, Holmes JH, Ellis PP. Intra-ocular pressure changes during artificial kidney therapy. Arch Ophthalmol 1964;72:626—31. [6] Sajjad Haider, Astbury NJ, Hamilton DV. Optic neuropathy in uraemic patients on dialysis. Eye 1993;7:148—51. [7] Basile C, Addabbo G, Montanaro A. Anterior ischemic optic neuropathy and dialysis: role of hypotension and anemia. J Nephrol 2001;14:420—3. [8] Korsets A, Marashek I, Schwartz A. Ischemic optic neuropathy in dialysed patients: a previously unrecognized manifestation of calcific uremic arteriolopathy. Am J Kidney Dis 2004;44: 93—9. [9] Nieto J, Zapata MA. Bilateral anterior ischemic optic neuropathy in patients on dialysis: a report of two cases. Indian J Nephrol 2010;20:48—50. [10] Flammer J, Orgül S, Vital P, Costa VP, et al. The impact of ocular bloof flow in glaucoma. Prog Retin Eye Res 2002;21: 359—93.

Figure 8. OCT papillaire à 4 mois d’évolution. A. OD : OCT inchangée. B. OG : disparition de l’œdème papillaire et apparition d’une atrophie des fibres optiques dans le quadrant supérieur.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.

M. Marechal ∗ , S. Michel , H. El-Chehab , J.-R. Fenolland , M. Delbarre , R. Zerrouk , A.-F. Marill , R. Rosenberg , F. May , J.-P. Renard Service d’ophtalmologie, HIA Val-de-Grâce, 74, boulevard Port-Royal, 75005 Paris, France ∗ Auteur

correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (M. Marechal) Disponible sur Internet le 22 avril 2015

Références [1] Kanabuchi K, Yamaguchi M, Ueda T, et al. A case of ischemic optic neuropathy developed 11 days after an aortic arch replacement. Tokai J Exp Clin Med 2011;36:112—5.

http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.07.014 0181-5512/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

[A rare form of bilateral ischemic optic neuropathy].

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