Journal de Mycologie Médicale (2014) 24, 44—47

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CAS CLINIQUE/CASE REPORT

Une présentation atypique tumorale d’un mycétome actinomycosique dorsolombaire A dorsolumbar tumoral actinomycosic mycetoma, an unusual mycetoma presentation M. Ndiaye a,*, B.A. Diatta a, D. Sow b, M. Diallo a, A. Diop c, S. Diadie a, S. Diallo a, M.T. Ndiaye a, S.O. Niang a, F. Ly a, M.T. Dieng a, A. Kane a a

´ ne ´ gal Hopital Aristide Le Dantec, Dakar, Se ´ ne ´ gal Service de parasitologie, CHU de Fann, Se c ` ne sociale, Dakar, Se ´ ne ´ gal Institut d’hygie b

Rec¸u le 21 mars 2013 ; rec¸u sous la forme re´vise ´e le 30 September 2013; accepte´ le 7 octobre 2013 Disponible sur Internet le 30 de´cembre 2013

MOTS CLÉS Mycétome ; Actinomycose ; Dorsolombaire ; Sénégal

KEYWORDS Mycetoma; Actinomycosis; Dorsolumbar; Senegal

Résumé Les mycétomes sont des pseudotumeurs inflammatoires de la peau, des tissus souscutanés et éventuellement des os, d’évolution chronique. Nous rapportons l’observation d’une cultivatrice de 40 ans, originaire du Nord du Sénégal qui présentait une tumeur ulcéro-bourgeonnante laissant soudre des grains rouges, siégeant au niveau dorsolombaire. L’aspect clinique des lésions faisait évoquer en premier une tumeur maligne des parties molles. La confirmation du mycétome reposait sur l’histopathologie cutanée et la mise en évidence d’Actinomadura pelletieri à la culture. La tomodensitométrie dorsolombaire ne montrait pas de signes de compression médullaire. L’évolution était favorable sous triple thérapie associant cotrimoxazole, amoxicilline-acide clavulanique et streptomycine pendant 12 mois. # 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Mycetomas are localized chronic inflammatory infectious diseases involving subcutaneous tissues, skin and bones. We report a case of mycetoma in a 40-year-old farmer from the northofSenegal. The clinical appearance ofthe lesionssuggestedprimarily the diagnosisofa soft tissue malignant tumor. Mycetoma diagnosis was confirmed by histopathologic evidences and growth of Actinomadura pelletieri in cultured samples. The evolution was good under a triple antibiotic therapy combining cotrimoxazole, amoxicillin-clavulanic acid and streptomycin for 12 months. # 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Ndiaye). 1156-5233/$ — see front matter # 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.mycmed.2013.10.002

Une présentation atypique tumorale d’un mycétome actinomycosique dorsolombaire [(Figure_2)TD$IG]

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Introduction Les mycétomes sont des pseudotumeurs inflammatoires de la peau, des tissus sous-cutanés et éventuellement des os d’évolution chronique. Ils résultent d’un traumatisme pénétrant inoculant l’agent pathogène aux sujets exposés en zone d’endémie. Les agents étiologiques sont exogènes d’origine fongique ou bactérienne : actinomycosique, produisant des grains [1]. En Afrique de l’Ouest, les plus grands foyers de mycétome sont le Sénégal, la Mauritanie, le Mali et le Niger [2,3]. Ils touchent majoritairement les cultivateurs et siègent de manière élective aux pieds. Les atteintes extrapodales plus rares, peuvent mettre en jeu le pronostic vital par les atteintes viscérales et le pronostic fonctionnel par l’atteinte osseuse. Nous rapportons l’observation d’un mycétome actinomycosique remarquable par sa localisation dorsolombaire et sa présentation clinique tumorale.

Observation Il s’agissait d’une malade âgée de 40 ans, originaire du Nord du Sénégal, cultivatrice de profession, admise pour une tuméfaction inflammatoire, multi nodulaire dorsolombaire évoluant depuis 20 ans, avec notion d’émission de grains rouges. Le seul traitement effectué, était une phytothérapie orale pendant plusieurs années. L’examen clinique montrait une volumineuse lésion tumorale multi nodulaire, de 30  15 cm de diamètre, polyfistulisée, ulcéro- bourgeonnante, très hémorragique, émettant des grains rouges occupant toute la région dorsolombaire (Fig. 1). Par ailleurs, il n’existait pas de signe de compression médullaire. L’histopathologie cutanée mettait en évidence des granulomes polymorphes du derme, centrés par des abcès contenant des grains (Fig. 2). L’examen direct mettait en évidence les grains rouges et la culture mycologique sur milieu de Lowenstein avait permis d’identifier Actinomadura pelletieri. La tomodensitométrie du rachis dorsolombaire ne montrait pas

[(Figure_1)TD$IG]

Figure 1 Mycétome ulcéro-bourgeonnant dorsolombaire. Ulcerative and budding mycetoma, lower part of the back.

Figure 2 Granulomes polymorphes du derme, centrés par des abcès contenant des grains. Dermis polymorph granuloma with abscess and grains.

d’atteinte osseuse. L’échographie abdominopelvienne était normale. L’hémogramme mettait en évidence une anémie normochrome normocytaire à 10 g/dl et une hyperleucocytose à 13000/mm3 à polynucléaires neutrophiles. La sérologie VIH était négative. La fonction rénale, la glycémie à jeun, les transaminases, l’examen cytobactériologique des urines et la radiographie du thorax étaient sans anomalie. Un traitement per os associant cotrimoxazole 40 mg/kg/j et amoxicilline-acide clavulanique 1,5 g/j a été institué pour une durée d’un an. La streptomycine a été instaurée à la dose de 1 g/jour en IM pendant un mois et demi. L’évolution, après une année de traitement a permis une réduction considérable de la masse tumorale et la fermeture des fistules (Fig. 3).

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M. Ndiaye et al.

Figure 3 Fermeture des fistules après 12 mois de traitement. Healing of fistulae after 12 months of treatment.

Discussion Notre observation est particulière par sa présentation clinique tumorale et sa topographie dorsolombaire. Le caractère tumoral prêtait à confusion d’emblée avec les tumeurs malignes des parties molles notamment le carcinome épidermoïde et les sarcomes des parties molles. Mais l’évolution chronique avec conservation de l’état général et les résultats de l’histopathologie cutanée ne permettaient pas de retenir le diagnostic d’une tumeur maligne. En plus, le tableau clinique faisait évoquer en zone tropicale, les mycoses profondes comme l’histoplasmose africaine et les chromomycoses qui sont toutefois exceptionnelles en Afrique sub saharienne. Notre malade réside dans la région du fleuve Sénégal qui constitue une zone endémique du mycétome. La flore y est essentiellement composée d’arbustes épineux et la pluviométrie varie entre 250 à 500 mm. Elle constitue une zone de prédiction de la forme fongique mais la forme actinomycosique peut s’observer de façon sporadique. Le retard diagnostique confirmé par la très longue durée d’évolution est conforme aux données rapportées dans les autres études menées au Sénégal [2]. Ceci s’expliquerait par le fait que les malades ne consultent qu’au stade de douleur intense ou d’une tuméfaction invalidante empêchant les activités quotidiennes. Mais aussi du fait de l’inaccessibilité des structures sanitaires et de certaines croyances, les malades préfèrent consulter en premier les tradipraticiens. L’orientation vers la médecine moderne ne se fait qu’après échec du traitement traditionnel. La confirmation du mycétome actinomycosique reposait en plus de la clinique et de l’histopathologie cutanée, sur la culture qui avait mis en évidence Actinomadura pelletieri, apparaissant sous la forme de colonies rouges vif à surface plissée dont la pousse à 37 C est lente et sous forme de chainettes de spores à l’examen microscopique. L’espèce A. pelletieri est la plus fréquente des espèces actinomycosiques au Sénégal et donnerait plus volontiers des formes extra-podales [4]. La localisation élective du mycétome est podale, l’atteinte dorsolombaire est moins fréquente. D’ailleurs une étude antérieure portant sur 50 cas de mycétomes extra-podaux

réalisée dans le service par Dieng et al. avait trouvé une localisation dorsolombaire dans 4 cas [2]. Elle pourrait s’expliquer par les habitudes à se coucher au sol ou le portage de fagots sur le dos. Cette topographie dorsolombaire est grave car expose au risque de complication neurologique par extension vertébro-médullaire qui peut menacer le pronostic vital [2]. Chez notre malade la tomodensitométrie dorsolombaire était normale. Elle est le meilleur examen pour dépister les lésions osseuses débutantes. L’absence d’atteinte osseuse constitue une autre particularité chez notre malade car les mycétomes actinomycosiques sont classiquement ostéophiles au delà d’une durée d’évolution supérieure à cinq années [5]. L’efficacité du traitement médical seul dans les formes actinomycosiques a été soulignée par de nombreux auteurs [6]. Le cotrimoxazole seul semble avoir un intérêt limité dans les formes très évoluées de mycétome actinomycosique. La triple association cotrimoxazole, streptomycine et amoxicilline-acide clavulanique pourrait représenter une alternative thérapeutique dans ces formes très étendues. L’étude de Welsh et al. a montré une efficacité spectaculaire de cette association thérapeutique dans les formes étendues résistantes au cotrimoxazole seul [7]. Elle suggère l’adjonction d’amoxicilline-acide clavulanique pendant 6 mois en cas de non-réponse ou de résistance thérapeutique. Ceci a permis un affaissement assez considérable de la masse tumorale avec une fermeture complète des fistules. Cependant il persiste toujours par endroit un empâtement musculaire dorsolombaire d’où la nécessité d’une prolongation de la durée du traitement ou l’adjonction d’une chirurgie d’exérèse dirigée.

Conclusion Notre observation est particulière par sa localisation extrapodale notamment dorsolombaire qui est potentiellement grave et par sa présentation clinique faisant évoquer surtout une tumeur maligne des parties molles. Malgré l’évolution très longue, la trithérapie associant cotrimoxazole, streptomycine et amoxicilline-acide clavulanique a permis une amélioration des lésions.

Une présentation atypique tumorale d’un mycétome actinomycosique dorsolombaire

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Tligui H, Aoufi S, Agoumi A. Mycétome du creux poplité à Madurella mycetomatis : à propos d’un cas. J Mycol Med 2006;16:173—6. [2] Dieng MT, Niang SOSY, Ndir MH, Ndiaye OB. Mycétomes extrapodaux : à propos de 50 cas sénégalais. Nouv Dermatol 2001;20:384—6.

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[3] Develoux M, Dieng MT, Ndiaye B. Les mycétomes. J Mycol Med 1999;9:197—209. [4] Strobel M, Ndiaye B, Marchand JP, Ravisse P, Ball M. Note sur les mycétomes à grains rouges : Actinomadura pelletieri : à propos de 20 nouveaux cas dakarois. Bull Soc Exot 1981;75:155—63. [5] Ndiaye D, Ndiaye M, Sène PDMN, et al. Mycétomes diagnostiqués au Sénégal de 2008 à 2010. J Mycol Med 2011;21:173—81. [6] Develoux M, Dieng MT, Kane A, Ndiaye B. Prise en charge des mycétomes en Afrique de l’ouest. Bull Soc Pathol Exot 2003;96:376—82. [7] Welsh O, Vera-Cabrera L, Welsh E, Cesar Salinas M, et al. Actinomycétoma and advances in its treatment. Clin Dermatol 2012;30:372—81.

[A dorsolumbar tumoral actinomycosic mycetoma, an unusual mycetoma presentation].

Mycetomas are localized chronic inflammatory infectious diseases involving subcutaneous tissues, skin and bones. We report a case of mycetoma in a 40-...
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