Annales de pathologie (2014) 34, 104—106

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CAS POUR DIAGNOSTIC

Une curieuse tumeur digestive à cellules rondes A curious round cell digestive tumor Alia Zehani a,∗, Ines Chelly a, Beya Chelly a, Jean-Michel Coindre b, Slim Haouet a, Nidhameddine Kchir a a b

Service d’anatomie pathologique, hôpital La Rabta, Tunis, Tunisie Service de pathologie, groupe hospitalier Haut-Lévêque, 33604 Bordeaux, France

evrier 2014 Accepté pour publication le 9 f´ Disponible sur Internet le 16 mars 2014

Observation Il s’agit d’un patient âgé de 50 ans qui consultait pour des douleurs abdominales. La fibroscopie et l’imagerie notaient la présence d’une tumeur au niveau du grêle. Une résection du segment grêlique ainsi qu’une omentectomie étaient réalisées. À l’examen macroscopique, l’intestin grêle mesurait 60 cm de long. Les anses intestinales étaient adhérentes et agglutinées les unes aux autres, recouvertes de fausses membranes sur environ 30 cm. À l’ouverture, il existait une néoformation bourgeonnante et ulcéro-infiltrante, d’aspect blanchâtre, mesurant 14 × 10 × 8 cm. Histologiquement, cette néoformation correspondait à une prolifération tumorale maligne ulcérée en surface qui envahissait en profondeur toutes les couches pariétales avec effraction de la séreuse péritonéale. Elle se disposait en nappes, en plages diffuses ou en lobules (Fig. 1). Les cellules tumorales étaient arrondies, à cytoplasme réduit tantôt éosinophile pâle tantôt clair. Les noyaux étaient arrondis à ovalaires, volumineux, monomorphes et hyperchromatiques (Fig. 2). Les figures de mitose étaient nombreuses. Sur les 10 ganglions mésentériques prélevés, deux étaient métastatiques. Devant ces aspects morphologiques, les diagnostics évoqués étaient ceux d’une prolifération carcinomateuse ou d’un lymphome. Une étude immuno-histochimique était ainsi effectuée utilisant la cytokératine, le CD3 et le CD20. Les cellules tumorales exprimaient seulement la cytokératine. Les marqueurs lymphoïdes étaient négatifs. Ainsi, le diagnostic retenu était celui d’une tumeur à cellules rondes de l’intestin grêle cadrant avec un carcinome indifférencié. L’évolution était marquée par la récidive de la tumeur au niveau du côlon sigmoïde au bout de huit mois. Une sigmoïdectomie était alors réalisée. Macroscopiquement, la pièce mesurait 20 cm de long. À l’ouverture, il existait une néoformation extrinsèque de 6 × 4 × 2 cm, d’aspect blanchâtre, siège de remaniements



Auteur correspondant. rue Mohamed Rached Béji, résidence Ichbilia n : 1. Ennasr, Tunis 1007, Tunisie. Adresse e-mail : [email protected] (A. Zehani).

0242-6498/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.02.013

Une curieuse tumeur digestive à cellules rondes

Figure 1. Prolifération tumorale organisée en plages diffuses ou en lobules (HE × 10). The tumor is composed of lobules of small round cells (HE × 10).

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Figure 3. Les cellules tumorales expriment le CD99 de fac ¸on intense et diffuse avec un marquage membranaire immunohistochimie (IHC). Tumor cells are positive for CD99 showing reactivity on the cell membranes (IHC).

nécrotico-hémorragiques. La muqueuse en regard était saine, non ulcérée. À l’examen histologique, cette néoformation correspondait à une prolifération tumorale maligne qui infiltrait la paroi colique de dehors en dedans, envahissant la sous-séreuse et atteignant la musculeuse. Elle présentait les mêmes aspects histologiques que la tumeur initialement réséquée au niveau du grêle. En immunohistochimie, les cellules tumorales exprimaient de fac ¸on intense et diffuse le CD99 avec un marquage membranaire (Fig. 3). L’EMA, la kératine de type AE1/AE3, la protéine S100, la desmine, le CD34, la MDM2, la cycline B3 ainsi que les marqueurs neuroendocrines étaient négatifs. Une analyse par FISH était réalisée. Elle mettait en évidence un réarrangement EWXR1 22q. Figure 2. Cellules tumorales arrondies, à cytoplasme réduit clair, aux noyaux monomorphes (HE × 40). Round cells containing uniform nuclei; scanty clear cytoplasm (HE × 40).

Quel est votre diagnostic ?

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Diagnostic proposé Sarcome d’Ewing extra-osseux de l’intestin grêle.

Discussion Le sarcome d’Ewing extra-osseux (SEE) est une tumeur rare, à petites cellules rondes, hautement maligne. Elle représente 1,1 % de l’ensemble des tumeurs malignes des tissus mous [1]. Cette tumeur appartient à la famille des tumeurs neuro-ectodermiques primitives périphériques qui associe également le neuroépithéliome périphérique, la tumeur d’Askin de la paroi thoraco-pulmonaire et le neuroblastome périphérique [2]. Le SEE dérive des cellules de la crête neurale, pouvant présenter une différenciation bidirectionnelle ou multidirectionnelle. Il se localise essentiellement dans les régions paravertébrales, aux extrémités et en rétropéritoine [3]. La localisation digestive est rare. En effet, moins de 10 cas de localisation grêlique et deux cas coliques ont été rapportés dans la littérature [2—4]. Le SEE affecte essentiellement l’enfant et l’adulte jeune avec un âge moyen de 17 ans [1]. La symptomatologie clinique varie en fonction de la localisation. Au niveau de l’intestin grêle, il s’agit le plus souvent de douleurs abdominales. À l’examen macroscopique, la tumeur est de consistance molle, d’aspect blanc-grisâtre avec des remaniements nécrotiques et hémorragiques. La taille moyenne est de 8 cm [5]. L’examen histologique met en évidence une prolifération tumorale organisée en lobules ou en plages séparées par des travées fibreuses. Les cellules tumorales sont indifférenciées, de petite taille, arrondies, à cytoplasme réduit parfois PAS positif. Les noyaux sont arrondis ou ovoïdes, monomorphes, à chromatine fine. Ces cellules s’agencent parfois en rosettes de Homer Wright. Les plages de nécrose sont étendues et fréquentes. Par ailleurs une différenciation gliale, épendymaire, cartilagineuse, épithéliale ou même osseuse sont possibles [2]. En immunohistochimie, l’anticorps anti-CD99 (MIC2) est un marqueur utile, bien que non spécifique. En effet, il est exprimé dans plus de 90 % des cas, avec un marquage membranaire caractéristique, diffus et intense. Toutefois, cet anticorps n’est pas un marqueur spécifique du SEE ; il peut être positif dans plusieurs autres lésions [2]. D’autres anticorps sont positifs tels que la vimentine et la NSE. La tumeur peut, dans de rares cas, exprimer la cytokératine comme dans notre observation. La biologie moléculaire est actuellement un outil

A. Zehani et al. indispensable pour le diagnostic. Elle met en évidence dans 87 % des cas la translocation t(11 ;22) qui conduit à la fusion du gène EWS du chromosome 22 et du gène FLI 1 du chromosome 11. D’autres anomalies moléculaires peuvent se voir comme la t(21,22), la t(7,22) ou t(17,22). Cette tumeur pose un problème de diagnostic différentiel avec d’autres tumeurs à cellules rondes notamment un lymphome lymphoblastique, un rhabdomyosarcome ou un synovialosarcome, d’autant plus que ces tumeurs expriment le CD99. Le recours à la biologie moléculaire permet de confirmer le diagnostic. Elle peut également prêter à confusion avec un carcinome neuroendocrine, une tumeur stromale, un carcinome indifférencié ou une tumeur desmoplastique à petites cellules rondes. L’évolution est péjorative malgré une prise en charge multidisciplinaire associant chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie. La survie globale à 3 ans est de 43 % [5]. Le pronostic dépend essentiellement de la taille de la tumeur, le siège et la présence de métastases au moment du diagnostic.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Xie CF, Liu MZ, Xi M. Extraskeletal Ewing’s sarcoma: a report of 18 cases and literature review. Chin J Cancer 2010;29: 420—4. [2] Kim JM, Chu YC, Choi HC, Kim L, Choi SJ, Park IS, et al. Peripheral primitive neuroectodermal tumor with osseous component of the small bowel mesentery: a case study. Korean J Pathol 2013;47:77—81. [3] Batziou C, Stathopoulos GP, Petraki K, Papadimitriou C, Rigatos SK, Kondopodis E, et al. Primitive neurectodermal tumors: a case of extraosseous Ewing’s sarcoma of the small intestine and review of the literature. J BUON 2006;11:519—22. [4] Vignali M, Zacchè MM, Messori P, Natale A, Busacca M. Ewing’s sarcoma of the small intestine misdiagnosed as a voluminous pedunculated uterine leiomyoma. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2012;162:234—5. [5] Tao HT, Hu Y, Wang JL, Cheng Y, Zhang X, Wang H, et al. Extraskeletal ewing sarcomas in late adolescence and adults: a study of 37 patients. Asian Pac J Cancer Prev 2013;14:2967—71.

[A curious round cell digestive tumor].

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